La rédactrice régionale de l'IFEX, Reyhana Masters, revient sur trois sujets importants de 2022 en Afrique : une résolution de la CADHP qui ouvre la porte à la lutte contre la violence en ligne à l'égard des femmes journalistes, la création de solides partenariats régionaux pour la liberté d'expression et la perturbation des radios de la région.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
Luttes pour la radio diffusion
Sortant de l’ère du pic de la pandémie un peu malmené et financièrement fragile, le secteur de la radiodiffusion – qui était déjà aux prises avec des problèmes de pérennité et de viabilité dans la période pré-Covid-19 – s’est retrouvé assiégé.
Incapables de payer les redevances exigées par les autorités nationales de régulation, des stations de radio et, dans certains cas, des chaînes de télévision ont été fermées. Outre la perte d’emplois, ces fermetures massives ont eu un impact dévastateur sur l’accès des citoyens à l’information. La radio reste le média le plus populaire sur le continent africain.
[ Traduction : Journée mondiale de la radio 2022 : En tant que média qui touche les masses populaires, il est impératif que la confiance du public dans la radio soit renforcée à tout moment car il compte sur ses informations pour faire des choix éclairés dans sa vie quotidienne. ]
Sa pertinence en Afrique est clairement énoncée dans la déclaration de l’UNESCO pour la Journée mondiale de la Radio 2022 : « La radio reste abordable et peut être écoutée partout, même lorsque l’électricité ou la connectivité ne sont pas fiables. Ce média est donc l’un des moyens de communication les plus populaires, utilisé par une écrasante majorité de personnes.
C’est précisément pourquoi la fermeture de 79 stations de radio par le gouvernement de la Guinée-Bissau en avril de l’année dernière a été considérée comme une atteinte à la liberté des médias. Augusto Mario da Silva, président de la Ligue guinéenne des droits humains (LGDH), décrit la décision comme le « dernier effort » du gouvernement pour saper l’État de droit et s’immiscer dans le travail éditorial des médias.
La capacité de remédier à leur situation et de finaliser le paiement des droits de licence dans le délai de 72 heures fixé par le ministère de la Communication sociale de la Guinée-Bissau était financièrement difficile pour la majorité des stations de radio. DW [Deutsche Welle] rapporte que « seules 9 des 88 stations de radio enregistrées se sont présentées au ministère de la Communication pour renouveler leurs licences » dans les délais impartis.
L’organisation régionale de défense de la liberté des médias, la Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA), est entrée immédiatement en action et – avec son partenaire local, le Syndicat des journalistes et techniciens des médias (SINJOTECS) et l’association des radiodiffuseurs communautaires (RENARC) – a organisé une réunion avec les responsables concernés du gouvernement de la Guinée-Bissau.
[ Traduction : Guinée Bissau : Suite à la fermeture de quelque 79 radios, MFWA et son partenaire national, SINJOTECS, ont entamé des démarches auprès des autorités pour la réouverture des radios]
La délégation de six membres, conduite par la responsable principale de programme de MFWA, Daisy Prempeh, a réussi à persuader le ministère de revoir sa décision de fermer les stations de radio concernées. Le dialogue entre les parties prenantes s’est concrétisé par l’acceptation par le gouvernement de la Guinée-Bissau d’autoriser le paiement échelonné des redevances impayées et l’approbation de « la réouverture des stations tant qu’elles honoreront leurs obligations ».
Malheureusement, de tels progrès sont souvent suivis de retropédalages. À la mi-novembre, les ministères de la Communication sociale et des Finances de la Guinée-Bissau ont publié une déclaration conjointe annonçant de nouveaux frais réglementaires excessifs pour les médias. Comme l’a souligné Muheeb Saeed, responsable du programme de MFWA pour la liberté d’expression :
« La hausse massive des redevances réglementaires pour les médias va donc encore fragiliser financièrement le secteur. Certains médias pourraient être contraints de fermer et de nouveaux investissements dans le secteur pourraient être découragés. La hausse aura des conséquences néfastes sur le droit du public à l’information ».
Les autorités malawites et nigérianes emboîtent le pas
À l’instar des mesures prises en Guinée-Bissau, l’Autorité de régulation des communications du Malawi (MACRA) a progressivement commencé à fermer des stations de radio en août 2022, à la suite d’ un avertissement selon lequel elle révoquerait les licences des stations de radiodiffusion incapables de payer les frais requis, ainsi que celles des stations qui ne respectent pas les conditions d’autorisation applicables.
[ Traduction : Malawi Media Advocacy Group s’inquiète après la fermeture de médias : le gouvernement du Malawi a fermé trois stations de télévision et six stations de radio pour avoir omis de payer les frais de licence annuels. L’autorité des médias du pays devrait révoquer les licences… ]
L’opinion publique au Malawi était divisée à l’époque et, comme l’a rapporté DW : « Les experts des médias applaudissent l’application d’une loi qui n’était pas respectée depuis longtemps. D’autres craignent que le gouvernement essaie de faire taire ses détracteurs.
Ce dernier soupçon a été renforcé par une affirmation de Rainbow Television, selon laquelle malgré le paiement des frais impayés d’environ 10 000 dollars US, des médias étaient toujours fermés.
La section malawienne de l’Institut des médias d’Afrique australe a rapidement contacté les autorités compétentes, soulignant que ces fermetures éroderaient « les acquis médiatiques et démocratiques des 29 dernières années ».
Lors de son audition devant la commission parlementaire sur les médias, l’information et la communication, MISA Malawi a reconnu l’obligation du secteur de la radiodiffusion de payer les redevances requises, mais a fait valoir que « la crise économique générale que connaît le pays n’a pas épargné le secteur des médias, car la publicité, principal source de revenus pour la plupart des entreprises de médias, diminue ». Il a poursuivi en recommandant « une approche holistique et proactive pour garantir la survie des médias après la pandémie de Covid-19 ».
Les efforts du MISA au Malawi ont été soutenus par le bureau régional de MISA, qui a écrit au président Lazarus Chakwera pour souligner l’obligation du pays de respecter les principes énoncés dans la Déclaration sur la liberté d’expression et l’accès à l’information de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. La lettre a réitéré « l’appel au dialogue et à l’engagement sur la question des licences de diffusion avant que toute mesure drastique ne soit prise ».
[ Traduction : Dans une lettre franche au président du #Malawi, Lazarus Chakwera, concernant la fermeture de la station de radio et de télévision, le président de @MISARegional souligne le rôle crucial que jouent les radiodiffuseurs dans la promotion de la #LibertéExpression et de l’#AccessALInformation: http://ow.ly/vaVW50KBq4C @achpr_cadhp @SolomonADersso ]
Malgré ce plaidoyer solide et rigoureux, et contrairement aux autorités de la Guinée-Bissau, MACRA n’a accepté aucune forme de sursis, et les stations de radio défaillantes au Malawi restent fermées.
Au moment où MACRA fermait des stations de radio au Malawi, la Commission nationale de radiodiffusion (NBC) du Nigéria a annoncé la révocation de 52 licences de stations de radio et de télévision privées et publiques pour avoir supposément une dette de 2,6 milliards de nairas [environ 5,8 millions de dollars US] au titre des frais de renouvellement de licences depuis 2015.
[ Traduction : FLASH : Liste des entreprises de médias avec des licences révoquées par NBC le 19 août 2022. Aujourd’hui, le National Broadcasting Commission (NBC) a frappé fort sur 52 médias diffuseurs au Nigeria en révoquant leurs licences et en leur ordonnant d’arrêter toute diffusion dans les 24 heures. ]
Cette décision a été immédiatement contestée par la Nigerian Editors Guild et le Socio-Economic Rights and Accountability Project (SERAP), qui ont lancé une action en justice contre le président Muhammadu Buhari et la NBC. Suite à une ordonnance de la Haute Cour fédérale, la NBC a fait marche arrière et a annoncé une suspension temporaire de sa décision de révoquer les licences des stations de diffusion.
Alors que nous nous tournons vers 2023, il convient de noter que les recherches menées par l’Initiative pour le développement des médias en Afrique ont renforcé l’opinion selon laquelle la radio domine le spectre des médias de masse dans la région, les radios contrôlées par l’État conservant encore les plus grandes audiences. Dans cette optique, il est évident que davantage d’efforts doivent être déployés pour soutenir le secteur de la radiodiffusion indépendante et négocier des droits de licence moins prohibitifs.
Persécuter les journalistes au lieu de poursuivre les malfaiteurs
Le secteur des médias a traversé une autre année éprouvante sur le continent.
Les attaques contre les médias se multiplient et sont de plus en plus menaçantes. L’intimidation, les menaces flagrantes hors ligne et en ligne, les agressions physiques, les arrestations et détentions arbitraires et, de plus en plus, l’utilisation de lois et d’autres mesures imposées par les gouvernements pour restreindre la liberté d’expression, contribuent tous à la détérioration du contexte. Les droits des journalistes ainsi que ceux des médias sont continuellement bafoués et la culture de l’impunité continue de se développer, alors que les gouvernements africains persécutent les journalistes au lieu de poursuivre les malfaiteurs.
Lors de circonstances distinctes en 2022, les journalistes Evariste Djaï-Loramadji et Orédjé Narcisse ont été tués au Tchad. En l’espace d’un mois, deux professionnels des médias – Mohamed Isse Koonaa et Ahmed Mohamed Shukur – ont aussi été tués en Somalie. Michel Hangi, technicien radio d’une station de radio de la province du Nord-Kivu, en RDC, a été abattu alors qu’il rentrait chez lui, après avoir terminé sa permanence de travail. Le journaliste d’investigation pakistanais Arshad Sharif, exilé volontaire, a été tué par balle au Kenya.
Jusqu’à présent, seule la fusillade mortelle de Sharif, à un poste de contrôle de la police à trois heures de la capitale du Kenya, a fait l’objet d’une enquête. Une équipe d’enquêteurs composée d’officiers du Bureau de renseignement pakistanais (IB) et de l’Agence fédérale d’enquête (FIA) a rejeté l’explication initiale selon laquelle il s’agissait d’un tir accidentel et a conclu qu’il s’agissait plutôt d’un assassinat ciblé.
Le manque de volonté politique à poursuivre les auteurs et l’insuffisance des enquêtes sur les violations contre les médias enhardissent les auteurs de tels faits. Cette question a dominé cette année les commémorations de la Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes contre les journalistes (IDEI) sur le continent, le 2 novembre 2022.
Gambia Press Union (GPU) a souligné qu’aucun auteur n’a été poursuivi au cours des cinq dernières années, même s’il y a eu plus de 15 agressions physiques contre des journalistes et des professionnels des médias en Gambie.
MFWA a insisté sur ce point, soulignant les nombreuses affaires non résolues et l’impunité pour les meurtres, les enlèvements et les agressions brutales contre des journalistes enregistrés à travers l’Afrique de l’Ouest au cours des cinq dernières années.
Qu’est-ce qui nous attend en 2023 ? Sur la base de la réunion organisée par MFWA et l’atelier Espaces de Solidarité organisé par MISA, nous constatons que l’accent est désormais mis sur la construction de réseaux plus solides et de partenariats de collaboration destinés à assurer la sûreté et la sécurité des journalistes. Une collaboration accrue entre les principales parties prenantes peut soutenir des actions de plaidoyer continentales renforcées autour de la liberté des médias et des violations de la liberté d’expression.
Une nouvelle résolution renforce la lutte contre la violence numérique faite aux femmes
En 2022, la lutte contre le harcèlement, l’intimidation et la discrimination des femmes dans les médias – qui vont croissant et qui se produisent en ligne, hors ligne et dans la salle de rédaction – a été stimulée par l’adoption de la Résolution 552 de l’ACHPR sur la protection des femmes contre la violence numérique en Afrique.
[ Traduction : Dans une initiative progressiste pour la lutte contre la violence en ligne envers les femmes en Afrique, @achpr_cadhp a adopté la résolution 522 sur la protection des femmes contre la violence numérique en Afrique lors de la 72e session ordinaire qui a eu lieu récemment.]
La résolution 522 est la première politique de « soft law » ou « droit souple » [coopération basée sur des instruments qui ne sont pas juridiquement contraignants] adoptée par un organe continental qui reconnaît officiellement la violence en ligne comme une violation des droits des femmes. Comme expliqué sur le site Jumelages et Partenariats, la Résolution fournit également neuf recommandations aux gouvernements africains en matière de violence numérique.
La violence en ligne contre les femmes, y compris contre les femmes journalistes, est un grave problème sur le continent africain, comme partout dans le monde. L’impact réel sur la vie des journalistes chevronnées, même les plus expérimentées, est décrit par la journaliste et rédactrice en chef sud-africaine Ferial Haffajee : « Chaque matin, je prends mon téléphone et je vérifie les messages WhatsApp. Ensuite, j’ouvre mon fil Twitter. « Salope ! » dit une réponse à quelque chose que j’ai posté, écrit ou rapporté. Je le bloque. « Conasse », dit un autre. Bloqué. « Raciste, rentre chez toi », dit un autre. Les abus en ligne sont devenus si courants que les intercepter et les bloquer font maintenant partie de la routine quotidienne. »
Alors que nous entrons dans une nouvelle année, de nouveaux progrès pourraient provenir de l’établissement d’une définition normalisée de la violence en ligne et de l’encouragement des organisations à documenter les attaques en ligne contre les femmes journalistes. Les ONG africaines pourraient conduire un processus visant à inclure les violations en ligne contre les femmes dans le suivi des violations de la liberté des médias. Il est également important que les organisations médiatiques aient des politiques en place pour lutter contre la violence et le harcèlement en ligne dans leurs propres rangs et pour fournir un environnement de travail sûr et favorable à tous les employés.
Les organisations de défense de la liberté des médias et le secteur des médias ont un rôle à jouer pour aborder ce problème de manière plus stratégique. Il est nécessaire que ces organisations intensifient leurs efforts pour fournir un soutien et des ressources aux journalistes et autres professionnelles des médias qui ont été victimes de violence en ligne. Le premier manuel de ce type publié par PEN America en swahili contribuera grandement à soutenir les défenseurs des droits des médias et des droits de l’homme en Afrique de l’Est, quel que soit leur sexe, dans leur lutte contre le harcèlement et les abus en ligne.
[ Traduction : L’abus en ligne est une menace directe à la liberté d’expression. PEN America a lancé un nouveau manuel en swahili pour naviguer parmi les abus en ligne avec des outils et des conseils pour vous protéger et riposter, en collaboration avec @Ddadapodcast https://onlineharassmentfieldmanual.pen.org/sw/ #FightOnlineAbuseNow ]
En bref …
Le cadeau de Noël du président Hichelema aux Zambiens en décembre était le projet de loi numéro 25 de 2022 sur le code pénal (amendement), qui abolit la peine de mort et abroge l’accusation de diffamation criminelle du président.
Le religieux islamique nigérian Sheikh Abduljabbar Nasiru Kabara a été condamné à mort (dead link) par le tribunal supérieur de la charia de l’État de Kano pour blasphème.
Les responsables de la présidence somalienne ont publié une directive exigeant que les rédacteurs en chef des médias et les éditeurs soumettent une copie écrite de leurs titres d’actualité avant leurs émissions quotidiennes.