Mai et juin 2022 en Afrique. Un tour d'horizon sur la liberté d'expression réalisé sur la base des rapports des membres de l'IFEX et des nouvelles de la région, par Reyhana Masters, rédactrice régionale de l'IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
Les mois de mai et juin ont offert quelques moments de célébration, notamment le lancement officiel en ligne de la Journée de l’Afrique (25 mai) de « Pounding Pavement, Knocking on Doors » (Battre le pavé et frapper aux portes) par le président du Liberia George Weah, au nom des membres de la Plateforme africaine sur l’accès à l’information – un groupe de travail formé en 2009 dans le but de promouvoir l’accès à l’information sur le continent.
La publication retrace la façon dont les OSC africaines ont mené un processus de plaidoyer durant une décennie qui a abouti à l’adoption à l’unanimité par l’Assemblée générale des Nations Unies de la résolution reconnaissant le 28 septembre comme la Journée internationale de l’accès universel à l’information (IDUAI).
[ Traduction : #CelebratingAfricanAdvocacy #ATI=AGiftFromAfrica @MukelaniSD @opengovpart @InforegulatorSA @achpr_cadhp @_AfricanUnion @MRA_Nigeria @africafoicentre @NamMediaTrust @UNESCO @IFEX @fesmediaAfrica ]
Le titre rend compte de l’effort acharné des membres de l’APAI – et en particulier des protagonistes – qui ont frappé aux portes de diverses parties prenantes sur le continent, ainsi qu’à Paris et à Manhattan, pour obtenir le soutien des États membres à la résolution qui a été adoptée par la suite durant l’Assemblée générale de l’ONU.
Les Seychelles font un bond impressionnant dans le classement de l’Indice mondial de la liberté de la presse 2022
Les Seychelles ont bondi de 39 places pour finir classées comme un havre de la liberté d’expression et des droits des médias en Afrique dans le classement mondial de la liberté de la presse 2022 de Reporters sans frontières. Le classement, qui tient compte du cadre juridique d’un pays, du paysage médiatique, de la sécurité et des marqueurs politiques et économiques, fait des Seychelles un leader inattendu sur le continent africain, classé 13e au niveau mondial.
[ Traduction : Liberté de la presse dans le monde : les Seychelles en tête de liste en Afrique #WorldPressFreedomDay #WorldPressFreedomIndex #Seychelles #Africa ]
Le classement a récompensé la nation-archipel pour son pluralisme des médias, la protection des sources et l’interdiction de la diffamation criminelle. Le transfert pacifique du pouvoir politique à l’opposition suite aux résultats historiques de l’ élection de 2020 a sans doute contribué à la progression de son classement.
À l’autre extrémité du spectre, l’Érythrée a été classée 179ème sur 180 pays, conservant sa réputation tristement célèbre de pays comprenant le plus grand nombre de journalistes détenus sur le continent.
Le Ghana, autrefois classé parmi les meilleurs pays pour sa protection de la liberté des médias, a perdu 30 places pour se classer 60ème au niveau mondial et 10ème en Afrique. Les autres pays d’Afrique de l’Ouest, le Togo et le Sénégal, ont également enregistré de fortes chutes dans le classement. Comme le directeur exécutif de la Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest, Sulemana Braimah, l’avait anticipé plus tôt cette année, la « crise des médias dans la pratique journalistique, l’oppression de la liberté des médias et le musellement de la liberté d’expression […] ont le potentiel d’inverser les modestes gains du Ghana vers la consolidation démocratique, la paix et la sécurité. »
Préoccupé par la régression dans sa région, le Secrétariat régional de l’Institut des médias d’Afrique australe a envoyé une lettre au président tanzanien Jakaya Kikwete en sa qualité de président du Groupe des sages de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC).
Accès à l’information (ATI) : la Namibie sur le point de promulguer une nouvelle loi
Le 21 juin, la Namibie a fait un pas de plus vers la promulgation de son projet de loi sur l’accès à l’information. Après avoir été adopté par l’Assemblée nationale, il doit maintenant être approuvé par le Conseil national avant que le président Hage Geingob puisse le promulguer.
[ Traduction : LE PROJET DE LOI ATI PRÈS DE LA PROMULGATION | Le projet de loi sur l’accès à l’information a été adopté à l’Assemblée nationale aujourd’hui après un long processus au fil des ans. Il doit encore être examiné par le Conseil national avant d’être définitivement promulgué par le président. ]
Le projet de loi a été présenté pour la première fois à l’Assemblée nationale en juin 2020, mais il a été renvoyé au Comité permanent des TIC pour une nouvelle consultation publique suite aux objections des organisations de la société civile. Comme la version actuellement à l’étude n’a pas été partagée publiquement, il n’est pas possible de déterminer si l’une des contributions et propositions faites par la société civile a été incorporée.
Les principales préoccupations concernant le projet initial étaient la confidentialité totale des délibérations et des décisions du Cabinet, le peu de corrélation avec l’intérêt public, la nomination de la commission de l’information et la définition des informations personnelles. Dans son analyse, le Center for Law and Democracy affirme que si les changements nécessaires sont apportés à certain de ses éléments les plus contestables, le projet de loi pourrait figurer parmi les 10 meilleures lois sur l’ATI au monde.
TikTok, désinformation et rétrécissement de l’espace civique au Kenya
Alors que le Kenya se dirige vers ce qui est décrit comme l’un de ses scrutins les plus disputés le 9 août prochain, de nombreuses préoccupations sont soulevées au milieu de ce qui a été décrit comme des « tensions intra-élites aiguës ».
La Liste de surveillance Civicus, récemment mise à jour, attire l’attention sur les pays où se manifeste un déclin sérieux et rapide du respect de l’espace civique. Elle définit désormais l’espace civique du Kenya comme « obstrué », le décrivant comme un État où « les autorités utilisent systématiquement une force excessive qui peut être mortelle contre des manifestants pacifiques, où les journalistes font face à des attaques brutales et parfois mortelles à cause de leur travail, tandis que la communauté LGBTQI+ y subit des attaques et une répression sans précédent ».
L’accès à l’information est essentiel pour un espace civique sain. Dans ce pays connu comme le centre technologique de l’Afrique, la guerre de l’information s’est déplacée en ligne. CIPESA, membre de l’IFEX, a mis en évidence « un écosystème de l’information à plusieurs niveaux, où la désinformation est alimentée par des intérêts politiques, économiques et personnels. Il s’agit d’une entreprise commerciale sophistiquée, encouragée en partie par la facilité d’accès à différentes technologies numériques. »
Les plateformes de médias sociaux occupent à nouveau le devant de la scène, mais pas nécessairement en termes de redevabilité. Dans « From Dance App to Political Mercenary: How disinformation on TikTok gaslights political tensions in Kenya », [D’une application de vidéos de danse au mercenariat politique : comment la désinformation sur TikTok alimente les tensions politiques au Kenya], Odanga Madung, chercheur associé chez Mozilla, a identifié plus de 130 vidéos sur TikTok contenant des discours de haine, des incitations à la violence et autres formes de désinformation politique. La désinformation est décrite comme similaire à celle de Cambridge Analytica et Harris Media, apparue sur Facebook au Kenya en 2017.
TikTok a depuis supprimé une partie du contenu et des comptes douteux, mais Odanga Madung soutient que « plutôt que d’apprendre des erreurs de plateformes plus établies comme Facebook et Twitter, TikTok suit leurs traces, hébergeant et diffusant de la désinformation politique à l’approche d’une élection africaine délicate. »
CIPESA, adoptant une perspective régionale sur la question de la désinformation dans son dernier rapport, intitulé « Disinformation Pathways and Effects on Democracy and Human Rights in Africa » [Les voies de la désinformation et ses effets sur la démocratie et les droits humains en Afrique], souligne que « les lois connexes, plutôt que de servir à contrer les maux de la désinformation, ont dans la plupart des cas été utilisées pour cibler les opposants politiques, tandis que les responsables gouvernementaux complices de la désinformation sont protégés ».
Journée mondiale de la liberté de la presse à Arusha
Coïncidant avec la célébration mondiale de la Journée mondiale de la liberté de la presse (WPFD) le 3 mai, la East African Editors Society a organisé la toute première Africa Media Convention (AMC) dans la station balnéaire d’Arusha en Tanzanie. Des journalistes, des fournisseurs de services d’information en ligne, des groupes de défense des droits numériques et autres, des responsables gouvernementaux et des organismes régionaux ont assisté à l’événement sous le thème de la WPFD fixé par l’UNESCO, « Le journalisme sous siège numérique ».
La présidente tanzanienne Samia Suluhu Hassan a prononcé le discours d’ouverture de l’AMC. C’était la première fois en une décennie qu’un chef d’État officiait lors d’un événement continental axé sur la liberté des médias. C’était aussi une fin notable de la relation glaciale entre son prédécesseur, feu John Magufuli, et les médias. Plus affectueusement appelé Mama Samia par les Tanzaniens, Mme Hassan a pris des mesures progressives pour changer l’environnement restrictif depuis qu’elle est devenue chef de l’État après la mort de John Magufuli. L’interdiction de quatre journaux a été levée plus tôt dans l’année et elle a réitéré sa promesse de modifier la loi restrictive de 2016 sur les services médiatiques.
Malgré ces mesures prometteuses, l’optimisme quant aux progrès réels est au mieux prudent. Les propos d’introduction de Mme Hassan et du député tanzanien Nape Nnauye étaient assez nuancés. Nnauye « a exhorté les journalistes du pays à travailler avec diligence en respectant les lois et réglementations qui leur sont imposées », tandis que Mme Hassan a appelé les journalistes à être patriotes et à parler positivement de l’Afrique. Mme Hassan a promis de mettre en œuvre des réformes juridiques pour les médias, mais a averti qu’« avant cela, des discussions [seront] menées, pour fixer clairement les limites de la liberté ».
Dénoncer l’homophobie, la biphobie et la transphobie
Dans toute l’Afrique subsaharienne, la communauté lesbienne, gay, bisexuelle, transgenre et intersexuée (LGBTQI+) continue de faire face à des sanctions pénales là où les relations homosexuelles sont interdites. Même dans les pays qui reconnaissent les minorités sexuelles, la discrimination est toujours présente.
Malgré l’interdiction des manifestations, des militants kényans sont descendus dans la rue lors de la Journée internationale contre l’homophobie, la biphobie et la transphobie (IDAHOBIT) 2022, appelant à la dépénalisation de l’homosexualité dans le pays.
La célébration de cette année a eu lieu dans le contexte tragique du meurtre d’une personne non binaire, Sheila Adhiambo Lumumba, au Kenya. Sheila Lumumba a été violée et tuée chez elle, un endroit qui aurait dû être un havre de paix. Cela a incité l’écrivain, journaliste, défenseur des droits humains et podcasteur kenyan Kevin Mwachiro à poser la question : « Au Kenya, allons-nous jamais respecter le corps, la vie et les droits de chacun » ?
« Nous nous transformons en une nation où ceux qui se démarquent, s’expriment ou choisissent d’être différents, et plus encore nos femmes, se retrouvent maltraités, agressés ou avec des corps tuméfiés, des esprits brisés, une démarche nerveuse et des rêves envolés. »
Les niveaux de discrimination, de harcèlement et de violence dirigée contre les membres de la communauté LGBTQI+ ont été davantage mis en évidence au Ghana, où des panneaux d’affichage montés par des militants dans quelques villes du Ghana avec l’inscription « Amour, tolérance et acceptation » ont été démolis par le public à l’instigation d’un membre du parlement. Les messages toxiques des politiciens et de leurs partisans conservateurs contre les minorités sexuelles sont l’une des principales causes du niveau de rejet, et par conséquent d’une augmentation de la persécution des personnes LGBTQI+.
[ Traduction : Un panneau d’affichage de la Fierté gay a été demonté dans la capitale du Ghana, Accra ]
La répression éthiopienne contre la liberté de la presse s’intensifie
Le mécontentement des autorités éthiopiennes face aux reportages sur le conflit ethnique dans le pays s’est traduit par une pression incessante sur le secteur des médias. Le harcèlement continu, les arrestations, les arrestations arbitraires, les détentions prolongées et l’expulsion des journalistes étrangers visent à empêcher les journalistes de couvrir des questions critiques.
[ Traduction : « Au début des combats, au moins 6 reporters éthiopiens travaillant pour des médias locaux au Tigré ont été arrêtés.Ensuite, les autorités se sont retournées contre les Éthiopiens travaillant pour des médias internationaux. » #ReconnectTigray @JapanMissionUN https://nytimes.com/2021/05/13/world/africa/ethiopia-tigray-journalists.html… @mahicho4 ]
Il y a un peu plus d’un an, le gouvernement éthiopien avait publié une déclaration condamnant ce qu’il décrivait comme « des allégations injustifiées et non fondées sur l’étouffement de la dissidence et une répression contre les journalistes que certains médias propagent ces jours-ci… » qui, selon lui, n’avaient « pas d’autre but que de ternir l’image du gouvernement… ».
Commentant les arrestations massives tout au long de ce mois de mai, Daniel Bekele, le commissaire en chef de la Commission éthiopienne des droits de l’homme (EHRC), un organisme étatique mais indépendant de défense des droits, a déclaré : « L’arrestation de membres du personnel des médias est particulièrement alarmante… et ses répercussions s’étendent au-delà de l’espace médiatique et de la liberté d’expression ».
Sadibou Marong, directeur du bureau Afrique de l’Ouest de Reporters sans frontières, a déclaré : « Dans un pays en proie à une crise humanitaire et politique aiguë, les affrontements ne doivent pas être utilisés par les autorités comme prétexte pour restreindre la liberté de la presse ».
En bref
Sénégal : Les dirigeants du parti au pouvoir Benno Bakk Yaar (BBK) ont présenté des excuses à la journaliste de DakarBuzz Ndeye Ngoné Diop après qu’elle a été huée et chahutée par des partisans, lors d’un point de presse.
Cameroun : La journaliste sportive Eyong Macdella Bessong a été traînée hors du terrain principal quelques minutes avant le début d’un match de football, après avoir pu produire seulement une copie numérique de son accréditation de presse au lieu de la carte elle-même. « Bessong a déclaré au CPJ que le directeur du stade l’a maltraitée et lui a saisi le torse et touché sa poitrine, et qu’elle lui a alors mordu la main. Ce qui a conduit ce dernier à ordonner à un groupe de six policiers de l’expulser de la propriété. »
Mozambique : La législation antiterroriste amendée qui attend la signature du président Felipe Nyusi contient des clauses qui pourraient criminaliser les reportages sur l’insurrection dans le nord du Mozambique. Les journalistes qui font des reportages sur le terrorisme dans le pays risquent entre 8 et 12 ans de prison.