Avril en Europe et en Asie centrale: Un tour d’horizon des principales informations sur la libre expression, basé sur les rapports de membres de l'IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
« à l’avenir, ils présenteront leurs excuses à nos enfants »
En Turquie, les atteintes à la liberté de la presse se sont poursuivies.
Le célèbre caricaturiste Musa Kart et cinq de ses anciens collègues du journal Cumhuriyet sont retournés en prison à la fin du mois d’avril après l’échec de leur recours en février contre les condamnations pour terrorisme. Les accusés purgeront chacun une peine de prison de trois à quatre ans. Six autres anciens collègues condamnés à une peine de plus de cinq ans attendent toujours une décision sur leur appel.
S’adressant aux journalistes avant son retour en prison, un Kart provocant a déclaré: « Nous savons tous qu’ils nous jettent en prison, histoire de créer un climat de peur dans ce pays. J’attends des excuses. Si ce n’est pas aujourd’hui, à l’avenir, ils présenteront des excuses à nos enfants ».
« Nous savons tous qu’ils nous jettent en prison, simplement pour créer un climat de peur dans ce pays. J’attends des excuses. Sinon, à l’avenir, ils s’excuseront auprès de nos enfants ». @MusaKart https://t.co/ezFlOE8ZTf Can Dündar (@candundaradasi), le 26 avril 2019
Le mois d’avril a vécu une autre audition dans le procès d’Erol Önderoğlu, membre de l’IFEX et représentant de Reporters sans frontières (RSF) en Turquie. Il est poursuivi en justice pour des accusations absurdes liées au terrorisme aux côtés de Şebnem Korur Fincancı et Ahmet Nesin pour avoir pris part à un acte pacifique de solidarité avec Özgür Gündem, un journal victime de persécution judiciaire, en 2016. Erol et ses co-accusés risquent de longues peines d’emprisonnement en cas de condamnation. La prochaine audience aura lieu en juillet, date à laquelle un verdict pourrait être annoncé.
Erol a participé à l’édition 2019 de la Conférence stratégique et de la Réunion générale de l’IFEX en à Berlin les 8 et 10 avril, au cours desquelles les membres de l’IFEX se sont réunis pour partager des idées et élaborer des stratégies de défense de la liberté d’expression à l’échelle mondiale. Nous avons profité de l’occasion pour exprimer notre solidarité avec Erol et ses co-accusés.
Fil Twitter: IFEX est uni en soutien de notre collègue @ ErolOnderoglu et ses co-accusés @SKorurFincanci & @ AhmetNesin1 en procès en #Turquie pour des activités relatives à la liberté de la presse. Leur prochaine audience aura lieu le 15 avril et ils risquent 14,5 ans de prison s’ils sont reconnus coupables. #FreeTurkeyMedia #IFEX2019 pic.twitter.com/hvRjgrmzYB – IFEX (@IFEX) le10 avril 2019
La professeure Ayşe Çelik, qui a été envoyée en prison en avril 2018 pour avoir critiqué les activités de sécurité du gouvernement dans le sud-est de la Turquie et dont la peine de prison avait été différée après sa libération en mai 2018, a été renvoyée en prison où elle purgera le reste de ses 15 mois de condamnation. Çelik est célèbre pour avoir déclaré en direct à la télévision: « Ne laissez pas les enfants mourir et les mères pleurer » – une phrase utilisée comme preuve contre elle lors de son procès.
Pour plus d’informations sur ces cas et bien d’autres, veuillez consulter les mises à jour régulières fournies par nos membres régionaux: Bianet, la Plate-forme pour le journalisme indépendant (plus le site confrère Expression Interrupted) et l’Initiative pour la liberté d’expression – Turquie.
« Poursuivi et probablement emprisonné pour avoir dénoncé des violations des droits humains »
Il est difficile de trouver quelqu’un de neutre sur l’affaire de Julian Assange. Cependant, son arrestation au Royaume-Uni ce mois-ci a rassemblé à la fois ses fans et certains de ses plus grands critiques alors qu’ils exprimaient leurs préoccupations concernant ce que son probable procès aux Etats-Unis pourrait impliquer pour la liberté de la presse.
Assange a été arrêté par la police métropolitaine à l’ambassade d’Équateur le 11 avril pour avoir enfreint les conditions de sa libération fixées par un tribunal britannique. Il a ensuite été arrêté à nouveau le même jour en vertu d’un mandat d’extradition américain. Assange a rapidement été reconnu coupable d’avoir enfreint les conditions de sa libération sous caution et sera jugé en mai. Il comparaîtra le 2 mai devant le tribunal pour les accusations contenus dans le mandat d’extradition.
L’acte d’accusation américain accuse Assange de complot en vue de commettre une intrusion informatique, notamment en accédant à des informations classifiées, en lien avec la fuite de documents du gouvernement américain par l’ancienne analyste militaire et lanceur d’alerte Chelsea Manning. Assange risque jusqu’à cinq ans de prison s’il est reconnu coupable.
Des groupes de défense de la liberté de la presse, des journalistes et même le chef du parti Travailliste britannique, Jeremy Corbyn, se sont prononcés contre l’extradition d’Assange vers les États-Unis.
Les membres de l’IFEX ARTICLE 19, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), Human Rights Watch (HRW), PEN International et Reporters sans frontières (RSF) ont publié des déclarations faisant état de la menace pesant sur les pratiques journalistiques. Le CPJ a déclaré craindre que le chef d’accusation actuel contre Assange ne soit que le premier d’une série d’accusations susceptibles de porter un préjudice encore plus grand à la liberté de la presse. PEN International et HRW ont déclaré craindre qu’Assange ne soit placé dans des conditions de détention qui « pourraient être assimilables à de la torture ou à d’autres formes de mauvais traitements ». Thomas Hughes, directeur exécutif d’ARTICLE 19, a déclaré: « L’extradition vers les États-Unis entraînera des poursuites contre Assange et probablement son emprisonnement pour avoir dénoncé des violations des droits humains ».
Dans un fil Twitter, David Kaye, rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté d’opinion et d’expression, a fait part de ses préoccupations selon lesquelles les « garanties fondamentales de la presse libre » seraient compromises par les poursuites des États-Unis contre Assange.
Beaucoup d’Américains et d’autres verraient dans l’arrestation de #JulianAssange une sorte de reddition des comptes pour lui & @wikileaks. Dans le contexte d’une possible extradition vers les États-Unis, j’exhorte le peuple à mettre de côté ses sentiments et à examiner au moins deux questions. https://t.co/Pbp28mnFl1 – David Kaye (@davidakaye) le 11 avril 2019
L’avocat et chroniqueur juridique anglais, David Allen Green, a également twitté ses réflexions sur les nombreux aspects de l’affaire Assange, notamment l’enquête suédoise sur les allégations de viol portées contre lui (celle-ci a été suspendue en 2017, mais pourrait éventuellement être rétablie). Green, critique avisé d’Assange, s’oppose à son extradition aux États-Unis, mais pense qu’il n’y a « aucune raison de s’opposer à » une demande d’extradition de la Suède, si elle devait arriver. Helen Barr, de la division Droits des femmes de HRW, a également déclaré qu’une éventuelle demande d’extradition de la Suède devrait avoir priorité sur celle des États-Unis.
Une journaliste et militante LGBTQI+ tuées en Irlande du Nord
Le 18 avril à Derry en Irlande du Nord, le meurtre de la journaliste et militante LGBTQI+, Lyra McKee, a horrifié la communauté internationale. Un groupe républicain dissident se faisant appeler New IRA a admis qu’il avait tiré dans la tête de McKee, 29 ans, alors qu’elle se tenait près d’un fourgon de police lors d’une émeute. Dans une déclaration, le groupe a également laissé entendre que la journaliste n’avait pas été la cible visée.
La police soupçonne que le meurtrier de McKee pourrait avoir été un adolescent mais dit ne l’avoir pas encore identifié.
Les membres de l’IFEX, notamment PEN International, Index on Censorship, le Comité pour la protection des journalistes, la Fédération internationale des journalistes (FIJ) et la Fédération européenne des journalistes, ont appelé à une enquête approfondie sur le crime commis et à ce que le meurtrier soit traduit en justice.
McKee, dont les dirigeants politiques irlandais et britanniques ont assisté aux funérailles, est le deuxième journaliste assassiné en Irlande du Nord depuis 1992. L’autre victime, Martin O’Hagan, a été abattue par des paramilitaires loyalistes en 2001.
Le cercueil de Lyra quittant St Anne pic.twitter.com/o6jEuaTNXK – Dawn Foster (@DawnHFoster) le 24 avril 2019
À Londres, les journalistes se sont réunis à l’église St Bride sur Fleet Street (Foyer traditionnel du journalisme britannique) pour se souvenir d’elle.
Il y a 29 bougies allumées devant l’autel de l’église St Bride, sur Fleet Street – chacune pour marquer chaque année de la vie de Lyra McKee. Les journalistes rassemblés font la queue pour signer un livre de condoléances pour la partenaire de Lyra, Sara. #WeStandWithLyra pic.twitter.com/VhJ3VEVwHD – Press Gazette (@pressgazette) le 24 avril 2019
Le journaliste vétéran Roy Greenslade a écrit un aperçu intéressant de la brève vie et du travail de McKee.
Genre en bref
Le 1er avril, il a été annoncé que le premier défilé de la fierté gay organisée par la Bosnie-Herzégovine aurait lieu en septembre 2019. La nouvelle a suscité une réaction résolument mitigée. Selon BBC, Samra Cosovic-Hajdarevic, député du Parti de l’action démocratique (SDA) dans le canton de Sarajevo, a qualifié le défilé de « horrible » idée qui détruirait « l’État et son peuple ». Le même papier de BBC cite un sondage sur le site Web d’une télévision régionale où plus de 60% des sondés étaient contre le défilé.
L’homophobie ne se limitait pas aux mots et aux sondages d’opinion. Une stagiaire de Civil Rights Defenders et sa petite amie ont été prises pour cible à deux reprises par le même homme à Sarajevo à la suite de l’annonce du défilé. Lors du premier cas de ces incidents, l’inconnu a menacé le couple avec un couteau pour s’être tenu la main en public et a déclaré qu’il s’attaquerait au défilé parce qu’il offensait ses convictions religieuses. Lors du deuxième incident, il a frappé la stagiaire et poursuivi sa petite amie dans les rues.
Il y avait des nouvelles positives de la Turquie ce mois-ci. L’interdiction des événements LGBTQI+ à Ankara a été levée par un tribunal, à la suite d’une action en justice intentée par KAOS GL, le plus ancien et le plus grand groupe LGBTQI + de Turquie. L’interdiction avait été décidée par le gouverneur d’Ankara en novembre 2017. Après l’annonce de la décision du tribunal, le groupe LGBTI+ Solidarité de l’Université technique du Moyen-Orient a annoncé que le 9ème défilé de la Fierté de l’Université aurait lieu le 10 mai.
L’interdiction générale de « l’état d’urgence » sur les événements LGBTI+ à Ankara a été levée https://t.co/czMFK9OZuA pic.twitter.com/dpQJtMz7E6 – KAOS GL (@KaosGL) le 19 avril 2019
Plusieurs personnes LGBTQI+ auraient été arrêtées en Azerbaïdjan début avril. Les raisons des arrestations ne sont pas claires, mais il semble que les détentions aient été coordonnées et que nombre des personnes arrêtées étaient des travailleuses du sexe transgenres. Comme le rapporte Eurasianet, le travail du sexe est illégal en Azerbaïdjan, mais il ne peut être sanctionné que par des amendes administratives. Certaines des personnes arrêtées ont été inculpées d’hooliganisme et condamnées à 30 jours de prison. La police azerbaïdjanaise cible depuis toujours la communauté LGBTQI+.
En bref
En Bulgarie, un homme a été condamné à 30 ans de prison pour le viol et l’assassinat, en octobre 2018, de la journaliste de télévision Viktoria Marinova.
Après l’élection de la première femme présidente de Slovaquie en mars – l’avocate et militante pour les droits civils Zuzana Čaputová – des membres de l’IFEX se sont joints aux groupes de défense de la liberté de la presse pour adresser une lettre ouverte à la nouvelle présidente, l’invitant à lutter contre les menaces qui pèsent actuellement sur la presse en Slovaquie, notamment contre le projet de loi sur le « droit de réponse » (qui obligerait les journaux à publier les réponses des politiciens à toute couverture critique les concernant), et les attaques verbales persistantes de l’ancien Premier ministre Robert Fico contre les médias.
Le CPJ a appelé à la levée immédiate des restrictions de voyager imposées au membre de l’IFEX et président de l’Institut pour la liberté et la sécurité des reporters, Mehman Huseynov. Ce dernier a été empêché de quitter l’Azerbaïdjan le 9 avril pour assister à une conférence du Conseil de l’Europe. Il a été libéré de prison en mars après avoir passé deux ans derrière les barreaux pour avoir été reconnu coupable, de manière douteuse, de diffamation à l’endroit de tout un commissariat de police.
En Serbie, quatre anciens officiers de la police secrète ont été condamnés à 100 ans de prison pour le meurtre du journaliste Slavko Curuvija. Curuvija a été abattu devant son domicile le 11 avril 1999 lors de la campagne aérienne de l’OTAN. Avant son assassinat, il avait été pris pour cible par des médias favorables au régime et accusé d’avoir pris le parti de l’OTAN contre son pays d’origine. La personne qui a en fait appuyé sur la gâchette ne faisait pas partie des personnes condamnées.
En France, les manifestations des Gilets jaunes se poursuivent depuis près de 25 semaines, bien que le nombre de manifestants diminue. Les journalistes continuent à être blessés, principalement à cause des tactiques anti-émeute de la police: RSF rapporte que plus de 80 journalistes ont été blessés par la police depuis le début des manifestations. Le pigiste Gaspard Glanz s’est plaint à la police qu’il avait été visé par un projectile lacrymogène alors qu’il couvrait une manifestation à Paris le 20 avril. Glanz a ensuite eu une dispute avec un officier l’aurait insulté (en lui faisant le doigt d’honneur) et aurait été détenu pendant 48 heures. La FIJ rapporte que Glanz s’est également vu interdire de couvrir les manifestations pour les six prochains mois. RSF a décrit le traitement de Glanz comme disproportionné et constitutif d’une « obstruction au droit de rapporter ».