Août 2024 en Afrique. Tour d'horizon de la liberté d'expression et de l'espace civique, produit à partir des rapports des membres de l'IFEX et des nouvelles de la région, par Reyhana Masters, rédactrice régionale de l'IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
Le mois d’août a été marqué par la libération anticipée de Floriane Irangabiye, une raison mondiale de célébration, tandis qu’une série de manifestations dans plusieurs pays africains a démontré un climat hostile à la fois pour les manifestants, qui sont descendus dans la rue pour faire entendre leurs revendications, et pour les médias africains, qui s’efforcent de couvrir à la fois les manifestations pacifiques prévues et les émeutes. La liberté des médias au Nigeria s’érode et une controverse autour d’un concours de beauté en Afrique du Sud expose l’intersection entre le genre, la misogynie, la xénophobie et la violence.
La célébration mondiale de la libération anticipée de la journaliste Floriane Irangabiye le 14 août, après une grâce totale accordée par le président burundais Évariste Ndayishimiye, est entachée par le fait que « son emprisonnement était totalement injustIfié », comme l’a déclaré le Comité pour la protection des journalistes (CPJ).
Lors de son arrestation le 30 août 2022, Irangabiye rendait visite à sa famille à Bujumbura, alors qu’elle était en vacances venant du Rwanda où elle vivait et travaillait depuis dix ans. Quatre mois plus tard, le 2 janvier 2023, Irangabiye a été reconnue coupable d’« atteinte à l’intégrité du territoire national », à l’issue d’un procès décrit comme profondément vicié. Elle a été condamnée à 10 ans de prison et à une amende d’un million de francs burundais (482 dollars américains). Comme l’a rapporté Human Rights Watch (HRW) à l’époque : « Sa détention de plusieurs mois sans inculpation et l’incapacité du procureur à produire des preuves crédibles d’un crime pendant le procès constituent des violations flagrantes du droit burundais et international. »
[ Traduction : Burundi : Merci d’avoir travaillé avec nous pour exiger la libération de la journaliste burundaise Floriane Irangabiye. ]
Tout au long de son emprisonnement, de nombreuses organisations, dont CPJ, Amnesty International, Initiative burundaise pour les droits de l’homme et HRW, ont mené une campagne vigoureuse en faveur de sa libération anticipée et de l’annulation de sa condamnation. En février 2024, CIVICUS, une alliance mondiale de la société civile, l’a ajoutée à sa campagne Stand As My Witness, qui plaide pour la libération immédiate des journalistes, militants, dissidents et défenseurs des droits humains injustement emprisonnés dans le monde entier.
Reporters sans frontières (RSF), qui a exprimé son « immense soulagement » à la suite de la libération d’Irangabiye, a aussi appelé à la libération de la journaliste Sandra Muhoza, actuellement condamnée à la prison à vie et à l’abandon des charges retenues contre elle. L’Institut international de la presse (IPI) a également condamné son arrestation.
[ Traduction :#Burundi: IPI condamne l’arrestation de la journaliste Sandra Muhoza, le 14 avril, en raison de ses commentaires dans un groupe WhatsApp de journalistes. Nous appelons les autorités à la libérer immédiatement et à respecter la liberté de la presse et la liberté d’expression. @NtareHouse ]
Répression et violences autour des manifestations politiques, environnementales et anti-corruption en Ouganda
En Ouganda, le mois d’aout a débuté avec la publication par le directeur exécutif du Réseau des droits humains pour les journalistes d’Ouganda (HRNJ/Ouganda), Robert Ssempala, d’une déclaration condamnant l’action de la police contre des journalistes couvrant une conférence de presse convoquée par une faction du principal parti d’opposition du pays, le Forum pour le changement démocratique (FDC).
La police a attaqué les membres de la faction FDC après qu’ils aient choisi de marcher jusqu’à la Haute Commission du Kenya pour remettre une pétition. Lorsque la police a réalisé que leur agression contre les membres du parti était filmée par les médias, elle s’en est prise aux journalistes.
[ Traduction : Au milieu des tensions lors de la marche vers la Haute Commission du Kenya organisée par les membres de la faction FDC de Katonga, la police a retourné sa colère contre les journalistes, perturbant la couverture de la manifestation. #MonitorUpdates ]
Selon la déclaration de HRNJ/Ouganda : « Thomas Kitimbo (NBS TV) et Ronald Galiwango (NTV-Ouganda) ont été battus, tandis qu’un autre journaliste, Amon Kitamirike (BBS TV), a eu sa caméra endommagée et son gilet de presse déchiré ». Le groupe de défense des médias a ensuite « exigé que la police remplace les appareils endommagés et prenne des mesures pour empêcher de tels incidents en réprimandant le policier fautif. »
Fin août, 21 défenseurs de l’environnement opposés au projet d’oléoduc de pétrole brut d’Afrique de l’Est (EACOP) ont été arrêtés à Kampala alors qu’ils « descendaient dans la rue pour manifester pacifiquement contre le projet d’oléoduc de pétrole brut d’Afrique de l’Est (EACOP), exigeant justice, respect de leurs droits et la fin des violations de l’environnement et des droits humains associées au projet. »
[ Traduction : Les projets EACOP en Tanzanie et en Ouganda déplacent des communautés et perturbent leurs moyens de subsistance. Les femmes et les filles sont affectées de manière disproportionnée et les indemnisations versées sont insuffisantes ou inexistantes. 3/4 #DefendHumanRights @GJBloc@GlobalJusticeUK ]
[ Nous sommes solidaires des communautés locales et des individus confrontés à l’arrestation, à la brutalité et à la répression pour avoir résisté aux projets EACOP. Elles continuent de résister malgré le récent enlèvement de Stephen Kwikiriza et les arrestations arbitraires de manifestants et des défenseurs des droits humains 4/4 ]
Il existe diverses objections au projet de 10 milliards de dollars menée par TotalEnergies en partenariat avec la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) et la compagnie pétrolière nationale ougandaise. Avec cet oléoduc, 419 puits seront creusés dans le parc naturel de Murchison Falls, riche en biodiversité, et un oléoduc de pétrole brut chauffé long de 1 500 km sera construit de l’Ouganda à la Tanzanie. Non seulement le projet menace de vastes étendues d’habitats vitaux pour la faune sauvage, mais il existe un risque élevé que plus de 100 000 personnes le long du tracé soient déplacées contre leur gré.
Comme l’a documenté HRW dans son rapport « Working On Oil is Forbidden : Crackdown Against Environmental Defenders in Uganda », les militants sont régulièrement confrontés à des arrestations arbitraires, au harcèlement et aux menaces pour avoir exprimé leurs inquiétudes au sujet de l’EACOP.
Une enquête de Global Witness sur « la complicité des entreprises dans les attaques contre les défenseurs qui contestent la construction du pipeline » a également publié une liste de recommandations à l’intention de TotalEnergies, des institutions financières mondiales et de l’Union européenne.
Plus tôt, en juillet, les manifestations contre la corruption ont suscité une réponse féroce de la part des autorités, deux jours après que le Président Yoweri Museveni a averti les manifestants qu’ils « jouaient avec le feu et cela ne serait pas toléré ».
Les nouvelles tactiques d’activisme de la « Génération Z » au Kenya
Les manifestations du pays, qui durent depuis plus de six semaines, ont continué à prendre de l’ampleur et à attirer une large participation. Crisis24 prédit : « Les manifestations antigouvernementales se poursuivront probablement à travers le Kenya au moins jusqu’à la mi-septembre, les militants appelant à la démission du président William Ruto et à la dissolution du parlement. »
Les manifestations, initialement déclenchées par l’opposition à un projet de loi de finances controversé, contestent un éventail plus large de problèmes multisectoriels, qui incluent la corruption généralisée, la hausse du chômage, le manque de sens des responsabilités du gouvernement, les inégalités économiques flagrantes, les disparités dans l’accès à l’emploi et la mauvaise qualité des services publics.
La détermination inébranlable des manifestants, principalement des jeunes, est renforcée par divers facteurs. L’un des traits distinctifs est que les manifestations sont sans leader. Elles représentent un mouvement décentralisé et populaire motivé par ce que la professeure associée Awino Okech décrit comme « un déficit de confiance accru entre les citoyens et l’État », dans son article d’opinion dans The Conversation.
Cela reflète également l’approche de la Gen Z en matière de mobilisation, qui est « caractérisée par des prouesses numériques et une conscience sociale », comme le décrit Job Maura.
« Ils ont déployé un certain nombre de stratégies anciennes et nouvelles. Parmi les nouvelles, l’intelligence artificielle (IA) a été utilisée pour créer des images, des chansons et des vidéos qui amplifient les messages du mouvement et atteignent un public plus large. »
[ Traduction : La Gén[ération] Z du Kenya inspire une vague de protestations à travers l’Afrique. En Ouganda, les jeunes descendent dans la rue le 23 juillet pour marcher jusqu’au parlement afin de protester contre la corruption législative et gouvernementale présumée. Reportage de @Sheriffb ]
Le blog d’Emissary souligne que « La jeunesse kenyane n’est plus une vague projection démographique qui nécessite une analyse prédictive. Elle est plutôt une force politique actuelle qui a le droit et la responsabilité de pousser le pays dans la direction qu’elle souhaite. »
Les médias qui couvrent les événements sont susceptibles de devenir la cible de représailles de la part des autorités qui répriment la dissidence.
En réponse à la violence croissante à leur encontre, les journalistes des principales villes du Kenya sont descendus dans la rue « en brandissant des pancartes et scandant des slogans exigeant justice et protection. » Certains ont été agressés, interpellés, détenus et même enlevés. Parmi les incidents, la journaliste Catherine Wanjeri wa Kariuki a reçu une balle dans la jambe, le monteur vidéo du Standard Media Group Justus Macharia a été poussé hors d’un véhicule en mouvement et le journaliste indépendant Collins Olunga a été frappé avec une grenade lacrymogène.
Le Kenya Media Sector Working Group (KMSWG), une alliance d’organisations médiatiques, a exprimé son indignation face aux nombreux incidents et a conseillé à l’inspecteur général (IG) de la police Japhet Koome « de veiller à ce que ses troupes soient formées aux protocoles d’engagement avec les journalistes couvrant les manifestations ».
#EndBadGovernance au Nigeria
Les manifestations #EndBadGovernance [Mettre fin à la mauvaise gouvernance], qui ont commencé le 1er août, reflètent le fossé qui sépare les dirigeants du pays et les citoyens. Dans un article pour The Conversation, Toyin Falola décrit comment « les manifestations actuelles des jeunes sont un moyen de préserver la situation au Nigeria. Elles rappellent à la classe dirigeante la nécessité de donner la priorité aux intérêts des jeunes et d’écouter leur détresse ».
[ Traduction VIDÉO : Les manifestants contre la #EndBadGovernance descendent dans les rues de Lagos
Jeudi, un groupe de manifestants a défilé sur la route Obafemi Awolowo à Ikeja, portant des pancartes avec le message audacieux « Assez, c’est assez » pour la faim et les difficultés.
Les manifestants, qui font partie du mouvement « Mettre Fin à la Mauvaise Gouvernance », ont juré de poursuivre leur marche vers Ojota, déterminés à faire entendre leur voix. #EndBadGovernanceInNigeria
VIDÉO : Elliot Ovadje ]
Non seulement la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a « exprimé sa profonde inquiétude face à la réaction du gouvernement nigérian », mais elle a également « fait écho à la condamnation par la Commission nationale des droits de l’homme du Nigéria des violations auxquelles les journalistes ont été soumis par la police nigériane à Eagle Square ».
Media Foundation for West Africa (MFWA) a condamné « la répression meurtrière des manifestations au Nigéria ainsi que les attaques généralisées contre les médias. … » Les documentations sur les violations et les attaques compilées par International Press Centre et CPJ indiquent qu’« au moins 56 journalistes ont été agressés ou harcelés par les forces de sécurité ou des citoyens non identifiés alors qu’ils couvraient les manifestations #EndBadGovernance ».
Les incidents d’attaques contre les médias couvrant les manifestations continuent de croître en volume et en intensité.
Dès 2015, un rapport d’Amnesty International « Voix en danger : Attaque contre la liberté d’expression au Nigéria » [ “Endangered Voices: Attack On Freedom Of Expression In Nigeria”] soulignait que « les attaques contre les journalistes et les professionnels des médias se poursuivent sans relâche ». Le même rapport poursuivait en expliquant que « ces violations sont principalement perpétrées par les forces de sécurité nigérianes – la police nigériane, l’armée nigériane et les fonctionnaires du Département des services d’État (DSS) – et elles se produisent lorsque des journalistes et des professionnels des médias cherchent à accéder à l’information, partagent des informations ou expriment des points de vue critiques susceptibles d’influencer l’opinion publique. »
« Le harcèlement et l’intimidation incessants des journalistes », qui comprennent « les récentes affaires d’enlèvements, d’arrestations arbitraires, de détention et d’autres formes d’attaques contre des professionnels des médias par les forces de sécurité et les forces de l’ordre… constituent un grave danger pour la liberté des médias et la démocratie au Nigeria. »
Media Rights Agenda
La situation ne s’est pas améliorée depuis et des individus abusent de leur position de pouvoir. Dans une récente interview au CPJ, le journaliste Segun Olatunji décrit comment il a été enlevé de chez lui, détenu, interrogé puis relâché.
« Olatunji a été enlevé à son domicile d’Alagbado, dans le sud-ouest de l’État de Lagos, par plus d’une douzaine d’hommes armés qui ont refusé de révéler les charges retenues contre lui ou l’endroit où ils l’emmenaient. Sa femme l’a recherché dans les bureaux locaux des forces de l’ordre, sans succès. Deux semaines plus tard, Olatunji a été libéré sans inculpation sous un pont de la capitale Abuja, à plus de 650 kilomètres de chez lui. »
Comité pour la protection des journalistes
Les organisations nigérianes de défense de la liberté des médias ont toujours plaidé en faveur de la protection des journalistes, avec Media Rights Agenda qui appelait le gouvernement à « se conformer aux ordonnances de la Haute Cour fédérale d’Abuja, lui ordonnant de prendre des mesures pour empêcher les attaques contre les journalistes et autres professionnels des médias et d’enquêter pour poursuivre et punir les auteurs de toutes les attaques contre les journalistes ».
Une guerre en ligne qui sent la xénophobie et la misogynie
La « guerre des courses », comme l’explique IT News Africa Com, « a commencé lorsqu’un influenceur sud-africain a mis en avant la possibilité d’organiser des trajets depuis l’Afrique du Sud jusqu’au Nigéria via l’application Bolt. Cette découverte a rapidement déclenché une vague de plaisanteries en représailles impliquant des personnes des deux pays. Les consommateurs sud-africains ont commencé à planifier des voyages au Nigéria et à les annuler après l’arrivée des chauffeurs, générant des désagréments et des pertes financières pour les chauffeurs nigérians ».
L’affaire est liée à des événements antérieurs lorsque le mannequin sud-africain Chidinma Adetshina, d’origine nigériane, s’est retirée du concours Miss Afrique du Sud 2024 au milieu d’un débat houleux sur sa nationalité. Ses origines mixtes ont suscité la controverse, poussant certains Sud-Africains à exiger son retrait. Comme le décrit un article de New Lines, « Adetshina a fait l’objet de vives critiques et d’intimidations en ligne de la part d’un échantillon représentatif de Sud-Africains, qui prétendaient qu’elle n’était pas qualifiée pour concourir en raison de ses origines ».
La saga, qui a révélé des irrégularités dans l’obtention de sa nationalité et entraîné le retrait d’Adetshina du concours, a peut-être donné aux sceptiques de quoi se réjouir. Cependant, les problèmes offensants et troublants de la montée de la violence sexiste facilitée par la technologie, associée à la xénophobie, ne peuvent être ignorés.
Dans un article récent du Georgetown Journal of International Affairs, Bastien Dratwa explique que « pour lutter efficacement contre la xénophobie dans sa dimension physique et numérique, une approche à plusieurs niveaux est nécessaire […] nous devons reconnaître que les politiques anti-immigrés et la violence ne résoudront aucun des divers problèmes auxquels l’Afrique du Sud est actuellement confrontée. Au contraire, ces phénomènes constituent une crise généralisée qui exacerbe les problèmes existants en créant de nouvelles lignes de fracture, de divisions et de souffrances dans la société. »
En bref
Une enquête du Media Institute of Southern Africa examine l’ampleur de la violence sexiste facilitée par la technologie et souligne comment les femmes aux prises avec la violence en ligne « hésitent avant de s’engager sur les plateformes de médias sociaux, choisissant souvent de ne pas s’y engager du tout ou de limiter leurs actions en ligne ».
Les autorités tanzaniennes intensifient la répression à l’approche des élections locales prévues en décembre 2024 et des élections générales de 2025, avec des arrestations massives et des détentions arbitraires d’opposants au gouvernement.
Fisayo Soyombo, bailleur de fonds nigérian de la Fondation pour le journalisme d’investigation, analyse la campagne de diffamation coordonnée menée contre les journalistes d’investigation du monde entier et son impact néfaste sur leur vie.