Janvier 2025 en Afrique. Tour d'horizon de la liberté d'expression et de l'espace civique, produit à partir des rapports des membres de l'IFEX et des nouvelles de la région, par Reyhana Masters, rédactrice régionale de l'IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
Détérioration des conditions en RDC
La prise de Goma vers fin janvier par les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23) a eu des répercussions dans toute la région, accentuant les craintes d’une escalade du conflit régional.
La situation a encore fragmenté l’état déjà fragile de la liberté des médias et de la liberté d’expression en République démocratique du Congo. Les stations de radio locales et internationales ont cessé de diffuser et, selon Reporters sans frontières (RSF), les habitants de la région sont obligés de se connecter aux « stations de radio rwandaises émettant depuis la ville voisine de Gisenyi pour s’informer ».
La pression sur le secteur des médias est incessante et, depuis des décennies, il peine à continuer de couvrir la situation, dans ce qui est souvent décrit comme une zone sensible et instable où les risques sont élevés et le contexte éprouvant. Selon le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), « l’assaut sur Goma a apporté des dangers familiers aux journalistes congolais, qui ont depuis des années dû faire face à l’intimidation et aux attaques du gouvernement et des groupes armés dans l’est du pays, une région agitée et riche en minérais ».
Les journalistes sont confrontés à la fourniture d’électricité irrégulière, à des perturbations de l’accès à Internet et à une censure sévère de la part du gouvernement et des forces rebelles qui cherchent à contrôler la narration des faits. Parallèlement, ils sont contraints de faire face à l’intimidation, aux menaces, aux agressions et aux menaces de mort.
« Toute solution à cette crise grave doit prendre en compte la protection et le respect du droit à l’information. RSF appelle toutes les parties impliquées dans le conflit à garantir la liberté de la presse et à protéger les journalistes. »
Sadibou Marong, directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF
Ouganda : une avancée majeure pour le droit à un procès équitable
Le 31 janvier, la Cour suprême ougandaise a rendu une décision choc, déclarant inconstitutionnels les procès de civils devant des tribunaux militaires, et a ordonné l’arrêt immédiat de toutes les poursuites en cours. La décision a également ordonné que tous les procès en cours impliquant des civils soient transférés devant des tribunaux ordinaires. Selon Human Rights Watch, « elle n’a pas déclaré nulles les condamnations prononcées par les tribunaux militaires ».
[ Traduction : La décision de la Cour suprême ougandaise selon laquelle les procès de civils devant des tribunaux militaires sont illégaux est une étape essentielle pour la protection du droit à un procès équitable et offre une lueur d’espoir au leader de l’opposition Kizza Besigye et à son avocat Eron Kiiza, qui ont été poursuivis devant un tel tribunal. ]
La décision de la Cour suprême s’aligne sur une décision de la Cour constitutionnelle de 2021 qui avait statué que la Cour martiale générale n’avait pas le pouvoir de juger des civils. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a salué cette décision et a exhorté les autorités à veiller à ce que la « loi sur les forces de défense du peuple ougandais (UPDF), en vertu de laquelle des civils ont été jugés devant des cours martiales, soit à nouveau modifiée pour s’aligner sur les dispositions pertinentes de la constitution ougandaise et du droit international des droits humains, afin de garantir le respect des normes internationales de procédure régulière et de procès équitable ».
Pendant des années, le président Yoweri Museveni et son gouvernement ont utilisé les tribunaux militaires comme un outil pour poursuivre les opposants politiques et les détracteurs du gouvernement, violant souvent leur droit à un procès équitable et les libertés garanties par la constitution ougandaise.
L’un de ces cas est celui de Kizza Besigye, homme politique de l’opposition ougandaise et ancien candidat à la présidence du parti politique Forum pour le changement démocratique (FDC). Le 16 novembre 2024, Besigye a été enlevé à Nairobi, au Kenya, et quatre jours plus tard, il a comparu devant le tribunal militaire général de Makindye à Kampala, en Ouganda, sous escorte militaire lourdement armée. Aux côtés de Haji Obeid Lutale, membre du FDC, il a été accusé d’infractions liées à la sécurité et de possession illégale d’armes à feu et de munitions.
Pour ajouter à cette injustice, le 7 janvier 2025, un tribunal militaire a condamné l’avocat de Besigye, Eron Kiiza, « à neuf mois de prison sans procès ni représentation légale pour outrage au tribunal à la suite d’une altercation au tribunal ». La condamnation de l’avocat des droits humains a été prononcée en représailles à sa protestation contre la décision d’un haut responsable militaire ougandais de lui refuser l’accès à son client Besigye pendant la procédure judiciaire.
La vague d’enlèvements au Kenya
La crise croissante des enlèvements au Kenya a atteint un point critique le 30 janvier avec la sinistre découverte des corps de deux jeunes gens disparus, Justus Mtumwa et Martin Mwau, dans une morgue de Nairobi, quelques heures seulement avant que l’inspecteur général de la police Douglas Kanja et le directeur des enquêtes criminelles Mohamed Amin ne soient convoqués par le tribunal pour expliquer où se trouvaient les hommes disparus ainsi que leur collègue et ami Karani Muema.
Les disparitions forcées et les exécutions extrajudiciaires de leaders présumés des manifestations nationales remontent à juin 2024. De nombreuses personnes portées disparues après les manifestations nationales anti-impôts ont refait surface par la suite, mais tragiquement, certaines ont été retrouvées mortes. À ce jour, la Commission nationale des droits humains du Kenya (KNCHR) a recensé 82 enlèvements, et 29 personnes sont toujours portées disparues. Les défenseurs des droits humains, les militants et les critiques virulents du gouvernement semblent avoir été spécifiquement ciblés.
Le tollé public contre ces violations s’est intensifié juste avant les vacances de Noël, après la disparition de cinq jeunes Kenyans : Peter Muteti, Billy Mwangi, Bernard Kavuli, Ronny Kiplangat et le caricaturiste populaire Kibet Bull. Bien qu’ils aient été libérés quelques semaines plus tard, les familles restent bouleversées par ce que ces hommes racontent de leurs expériences de traumatisme et de torture.
Le secrétaire du Cabinet de la fonction publique du Kenya, Justin Muturi, a ajouté sa voix aux appels de longue date de la KNCHR, de la Law Society of Kenya, du Groupe de travail sur les réformes de la police et d’autres groupes de défense des droits, appelant à la transparence et à la responsabilité dans la lutte contre la vague d’enlèvements et d’exécutions extrajudiciaires.
[ Traduction : La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples appelle à une action immédiate contre les enlèvements et les disparitions forcées au Kenya.
Lire le communiqué de presse complet ici :]
Muturi a publiquement critiqué la gestion de cette question sensible par le gouvernement en s’appuyant sur son expérience personnelle. En août 2024, Muturi a plaidé directement auprès du président William Ruto pour la libération immédiate de son fils, qui avait été enlevé. Sa condamnation de la gestion de la situation par le gouvernement et sa demande de création d’une commission d’enquête publique constituent des avancées importantes dans les efforts en cours pour lutter contre les violations des droits humains au Kenya.
Ces enlèvements rappellent un passé plus sombre. L’analyste de sécurité et ancien agent de sécurité nationale George Musamali a déclaré à DW News que « le mystère entourant la situation actuelle reflète les pratiques passées, dans lesquelles les responsables de la sécurité étaient ‘triés sur le volet’ et recevaient des instructions directement du gouvernement, contournant les structures de commandement de la police ».
Par l’intermédiaire du commissaire Solomon Ayele Dersso, rapporteur national sur les droits humains en République du Kenya, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a exhorté le gouvernement à :
- Mener des enquêtes approfondies, indépendantes et transparentes sur les allégations d’enlèvements, de recours excessif à la force et d’exécutions extrajudiciaires, et demander des comptes aux auteurs de ces actes, quel que soit leur rang ou leur statut.
- Fournir un soutien immédiat aux familles des personnes enlevées ou disparues, en garantissant la coopération dans les enquêtes, l’assistance juridique et l’accès à la justice et aux recours.
- Informer les familles et le public des arrestations et des détentions, et assurer la présentation rapide des détenus devant un tribunal.
En bref
- L’Autorité nationale des communications du Soudan du Sud (NCA) a ordonné la fermeture des plateformes de médias sociaux pendant 90 jours à compter du 22 janvier. Cette suspension a été instituée après que des images d’attaques présumées contre des ressortissants sud-soudanais au Soudan sont devenues virales, ce qui a entraîné des manifestations et des violences en représailles. Cinq jours plus tard, la suspension temporaire a été levée, peu après que la NCA a confirmé la suppression des contenus incendiaires. Pour de nombreux propriétaires de petites entreprises, spécialistes du marketing numérique et créateurs de contenu sud-soudanais, les médias sociaux sont plus qu’un simple outil de communication : c’est une activité commerciale essentielle.
- Le Centre pour les médias et la société du Nigéria (CEMESO) a lancé son documentaire, Stories from The Shutdown, qui décrit les expériences des individus et des communautés touchés par les perturbations d’Internet imposées par le gouvernement dans le pays entre 2021 et 2022. Ce documentaire présente les témoignages personnels de personnes touchées par la perturbation, ainsi que les points de vue d’experts de parties prenantes clés, soulignant les profondes implications de ces actions sur le paysage sociopolitique du Nigéria.
- Au cours du mois de janvier, quelques pays d’Afrique de l’Ouest ont suspendu des médias. La Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) du Bénin a suspendu deux journaux, L’Audace Infos et Le Patriote, ainsi que les médias en ligne Crystal News, Les Pharaons et le compte Tik Tok de Madame Actu. Romuald Alingo, directeur de publication du Patriote, s’est également vu retirer sa carte de presse. Le site d’information privé Dépêche Guinée a été suspendu pour une durée indéterminée par la Haute Autorité de la Communication de Guinée le 27 janvier. Au Niger, la chaîne privée Canal 3 TV a été suspendue par le ministre de la Communication le 17 janvier après la diffusion de l’émission « Baromètre 2024 des membres du gouvernement ».