"En poursuivant en justice les médias critiques de sa politique ou qui osent simplement poser des questions qui dérangent, le gouvernement vise à les asphyxier. Incapables de couvrir les frais exorbitants d'avocat, les journaux incriminés risquent la faillite", a déclaré RSF.
(RSF/IFEX) – Reporters sans frontières s’inquiète de la dégradation des conditions de travail des journalistes en Ethiopie alors que les autorités font peser sur les médias, notamment privés, un climat de pression et d’intimidation chaque jour plus lourd.
« En poursuivant en justice les médias critiques de sa politique ou qui osent simplement poser des questions qui dérangent, le gouvernement d’Addis-Abeba vise à les asphyxier. Incapables de couvrir les frais exorbitants d’avocat, les journaux incriminés risquent la faillite », a déclaré l’organisation.
« La tendance de Meles Zenawi et de son gouvernement au contrôle de l’information s’est accentuée au cours des derniers mois. L’Ethiopie s’ajoute à la liste des pays d’Afrique sub-saharienne qui opèrent actuellement une surveillance vigilante des médias et tendent à en contrôler ou à en influencer la ligne éditoriale. Signe de leur intolérance croissante, les autorités mettent tout en place pour dissuader les velléités critiques des journalistes et rendre la vie impossible aux médias privés », a ajouté Reporters sans frontières.
Eskinder Nega, un journaliste dans le collimateur du pouvoir
Eskinder Nega, ancien journaliste emprisonné en 2005 avec son épouse pour avoir soutenu les contestations populaires qui avaient suivi les élections législatives, fait à nouveau l’objet de pressions de la part du pouvoir.
Le 11 février 2011, des policiers l’ont interpellé à sa sortie d’un cybercafé et l’ont conduit au quartier général de la police fédérale. A cause de plusieurs articles publiés sur Internet, Eskinder Nega est accusé d’avoir implicitement appelé le pays à s’élever contre le gouvernement et à suivre les exemples tunisien et égyptien. Le commissaire a qualifié ces articles « d’incitation aux manifestations de rue » et « d’appel à la suspension du parlement ». Il aurait ensuite averti le journaliste qu’il serait la première personne recherchée si de quelconques violences devaient se produire dans le pays. « Nous ne vous interdisons pas d’écrire quoi que ce soit, mais nous vous avertissons très sérieusement », aurait-il ajouté.
Avant 2005, Eskinder Nega était journaliste et patron de presse possédant quatre hebdomadaires en langue amharique, « Satenaw », « Minilik », « Askual » et « Ethiop ». A sa libération, en 2005, il lui a été interdit de diriger un journal. Cette mesure pèse toujours contre lui.
Avalanche de poursuites contre l’hebdomadaire « Fitih »
L’hebdomadaire en langue amharique « Fitih » est poursuivi par le procureur de la République pour plus de trente chefs d’accusation. Le 22 janvier 2011, le rédacteur en chef, Temesgen Desalegne, a été convoqué à la police fédérale où le journaliste a appris les charges qui pesaient contre lui. Il lui est notamment reproché de « ternir l’image de la coalition au pouvoir ». Il a été relâché après avoir versé une caution d’environ 500 USD.
« Fitih » a aussi été récemment poursuivi pour « diffamation » par le député Asheber Woldegiorgis. En 2010 le journal avait été poursuivi par l’Ethiopian Broadcast Agency, l’organe étatique régulant les diffusions et les licences.
Depuis 1991, c’est la première fois en Ethiopie qu’un journal fait face à plus de trente charges. Le directeur général de « Fitih », Mastewal Birhanu, dénonce une « tentative de suppression du droit d’expression dans le pays ».
La face émergée de l’iceberg
Reporters sans frontières craint que les cas de « Fitih » et d’Eskinder Nega ne soient que la face émergée de l’iceberg. Harcelés, intimidés, découragés par les « avertissements » reçus par leurs confrères, les journalistes en sont rendus à s’autocensurer.
L’organisation s’interroge enfin sur certains blocages constatés sur Internet et craint des actes de censure. La page Facebook d' »Addis Neger », un hebdomadaire qui a volontairement décidé de cesser sa parution en décembre 2009, est ainsi mystérieusement indisponible.
Reporters sans frontières presse le gouvernement de tout faire pour permettre à la presse privée de faire son travail à l’abri des intimidations, des plaintes handicapantes sur le plan financier, et de l’autocensure. L’organisation rappelle au gouvernement éthiopien sa promesse de protéger le droit de la presse, garanti par la Constitution et espère que cette promesse sera immédiatement traduite en actes.