"L'arrestation, sans charges, de cette journaliste de renom par des personnes en civil se présentant comme membres des forces de police est particulièrement inquiétante, deux mois après le coup d'État qu'a connu le Niger."
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 4 octobre 2023.
Les proches de Samira Sabou sont toujours sans nouvelles de la journaliste, interpellée, il y a plus de 3 jours, à son domicile, par des personnes se présentant comme membres des forces de police. Reporters sans frontières (RSF) condamne une détention secrète et appelle le pouvoir en place, silencieux jusqu’à maintenant, à faire toute la lumière sur cette affaire immédiatement.
Où est Samira Sabou ? Près de 72 heures après son arrestation, ses proches n’ont toujours reçu aucun signe de vie de la journaliste indépendante, présidente de l’Association des blogueurs pour une citoyenneté active (ABCA), suivie par plus de 290 000 personnes sur sa page Facebook. Elle a été interpellée à son domicile par des hommes en tenue civile, le 30 septembre. “L’un des ravisseurs m’a montré sa carte professionnelle de police, mais il a refusé de donner son nom”, précise Abdoulkader Nouhou Algachimi, le mari de Samira Sabou présent lors de l’interpellation.
La veille, la blogueuse publiait, sur sa page facebook, sans commentaire, un document informant de la mutation de certains officiers de l’armée. Un document confidentiel, “partagé dans les cercles restreints des forces de défense et de sécurité” selon son avocat, Me Ould Salem Saïd, et qui, dans un contexte politique et militaire sous tension, pourrait être considéré par les autorités comme compromettant pour la sécurité de leurs troupes.
L’avocat a tenté, dans la soirée du 30 septembre, d’entrer dans les locaux de la Direction générale de la documentation et de la sécurité extérieure (DGDSE), un service de renseignement situé à la Présidence, afin d’obtenir des informations, mais en a été empêché. Même scénario, le lendemain, pour des membres de l’ABCA à qui la garde présidentielle a refusé l’entrée. Les collègues de la journaliste se sont aussi rendus à la police judiciaire, qui nie être impliquée dans la disparition de Samira Sabou. Le ministre de la Communication, des Postes et de l’Économie numérique, ainsi que le porte-parole du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) n’ont pas répondu aux sollicitations de RSF.
« L’arrestation, sans charges, de cette journaliste de renom par des personnes en civil se présentant comme membres des forces de police est particulièrement inquiétante, deux mois après le coup d’État qu’a connu le Niger. Nous demandons au pouvoir en place de se saisir publiquement de l’affaire. Il est inadmissible qu’une professionnelle de l’information soit ainsi privée de liberté dans un silence assourdissant vis-à-vis de ses proches. Nous demandons instamment sa libération. »
Sadibou Marong, Directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF
Cyberharcèlement
Connue pour ses articles critiques sur la gouvernance du pays, la journaliste fait régulièrement l’objet de menaces. Elle est notamment la cible d’une campagne de discrédit d’ampleur sur les réseaux sociaux depuis le début du mois de septembre. Un cyberharcèlement notamment orchestré par les administrateurs – non identifiés – de la page Facebook d’opinion sur l’actualité régionale, Galadima Flash. Sur ce compte public, suivi par 19 000 abonnées, de violentes attaques contre Samira Sabou ont été proférées : “Nous avons mille manières de te rendre la vie difficile” ou encore “prépare ton cercueil”. Au cours d’un entretien avec RSF quelques jours avant son interpellation, Samira Sabou indiquait, inquiète, qu’elle avait déposé plusieurs plaintes contre X il y a quelques semaines, mais qu’aucune n’avait, à ce jour, abouti.
Une journaliste qui dérange
Journaliste renommée, également administratrice du site d’information Mides-niger, Samira Sabou est régulièrement dans le viseur des autorités en raison de son travail d’information. Le 3 janvier 2022, sous la présidence Bazoum, elle a été condamnée à un mois de prison avec sursis pour avoir diffusé, en mai 2021, une enquête produite par l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée (GI-TOC). Le document présentait le Niger comme un “centre nerveux” du trafic de haschich dans la région et dénonçait les liens étroits des trafiquants avec une partie de l’élite politique et militaire du pays.
En juin 2020, elle a passé plus d’un mois en prison après une plainte en diffamation déposée par le directeur de cabinet à la présidence, qui est aussi le fils de l’ancien président de la République, Sani Issoufou Mahamadou. Elle l’avait mis en cause dans une affaire de surfacturation de matériel militaire, sur les réseaux sociaux.