Pendant l’examen, des pays de toutes régions confondues ont appelé le Rwanda à mettre fin à la torture et aux mauvais traitements et à enquêter sur les cas d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées, de détentions arbitraires et de morts en détention.
Cet article a été initialement publié sur hrw.org le 1 février 2021.
Les pays membres des Nations Unies ont émis de vives critiques et de nombreuses recommandations concernant le bilan des droits humains au Rwanda lors de l’Examen périodique universel (EPU) du pays, qui s’est tenu au Conseil des droits de l’homme à Genève le 25 janvier 2021.
Pendant l’examen, des pays de toutes régions confondues ont appelé le Rwanda à mettre fin à la torture et aux mauvais traitements et à enquêter sur les cas d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées, de détentions arbitraires et de morts en détention. De nombreux pays ont déclaré que le Rwanda devrait autoriser les journalistes et activistes à travailler de manière indépendante, permettre aux organisations non gouvernementales de s’enregistrer, et protéger la liberté d’expression, notamment en réformant sa loi sur les médias et son code pénal. Plusieurs pays ont également déclaré que le Rwanda devrait protéger les groupes marginalisés, comme les enfants des rues, et veiller à ce qu’ils ne soient pas soumis à des arrestations et détentions arbitraires, notamment dans des centres de « transit ».
« Les vives critiques adressées au Rwanda par les pays du monde entier témoignent de l’inquiétude de la communauté internationale face à la crise des droits humains au Rwanda », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Il est crucial que ces pays fassent un suivi direct avec le gouvernement rwandais et qu’ils fassent pression pour qu’il adopte des mesures concrètes pour mettre en œuvre leurs recommandations ».
Créé en 2006, l’Examen périodique universel consiste en un examen complet du bilan de tous les États membres des Nations unies en matière de droits humains, effectué par d’autres membres tous les cinq ans, à tour de rôle. Les organisations locales et internationales, ainsi que le pays examiné, peuvent fournir des rapports qui alimentent le processus d’examen.
Après chaque examen, un groupe de trois pays collabore avec le pays examiné et le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme pour produire un « rapport final » qui comprend les recommandations et les réponses du pays. Le Conseil des droits de l’homme adoptera le rapport final lors de sa session du mois de juin.
Pendant son examen, le Rwanda a reçu 284 recommandations de la part de 99 pays. Il en a accepté 160, a pris note de 75 autres, et a dit ne pas soutenir les 49 recommandations restantes. Le Rwanda devrait agir immédiatement en vue d’améliorer son bilan en matière de droits humains, et les experts, les agences et les États membres des Nations unies devraient continuer à faire pression sur le Rwanda pour qu’il mette fin aux violations, a déclaré Human Rights Watch.
Dans le cadre de l’examen actuel, Human Rights Watch a fait une contribution sur la situation des droits humains au Rwanda depuis 2015 et sur la mise en œuvre par le gouvernement des recommandations qu’il a reçues lors de son dernier examen.
En 2015, le gouvernement a fait valoir que certaines des recommandations reçues – dont certaines demandaient des réformes majeures ou des enquêtes sur les violations graves des droits humains et appelaient à déterminer les responsabilités en la matière – étaient déjà partiellement ou totalement mises en œuvre. Le gouvernement a également affirmé, dans une déclaration générale, que plusieurs autres de ces recommandations étaient « actuellement incompatibles avec sa législation interne et ses obligations constitutionnelles », dont une recommandation appelant le Rwanda à adopter des lois et des politiques spécifiques pour protéger le travail des défenseurs des droits humains. Toutefois, le Rwanda est tenu de respecter ses obligations en vertu du droit international et il lui est interdit de prétendre qu’il n’est pas en mesure de le faire parce que son droit interne est incompatible avec ces obligations. Le gouvernement a répondu aux recommandations demandant la ratification de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées en déclarant que la ratification des instruments internationaux ne peut se faire qu’après consultation et approbation du Parlement rwandais. À la connaissance de Human Rights Watch, ce processus n’a pas encore eu lieu.
Entre 2010 et 2017, Human Rights Watch a documenté que les militaires rwandais ont fréquemment détenu arbitrairement et torturé des personnes, en les battant et en les asphyxiant, en utilisant des chocs électriques et en organisant des simulacres d’exécution dans les camps militaires autour de Kigali et dans le nord-ouest du pays. La plupart des détenus avaient été victimes de disparition forcée et détenus au secret pendant des mois dans des conditions déplorables. Le 25 janvier, la délégation rwandaise a rejeté les allégations de torture et de détention illégale dans des centres de détention non officiels.
Lors de l’examen du Rwanda en 2021, de nombreux pays ont réitéré leur recommandation au Rwanda de ratifier la Convention contre les disparitions forcées et le Statut de Rome pour que le pays devienne partie à la Cour pénale internationale. Plusieurs pays ont aussi exhorté le Rwanda à autoriser le sous-comité des Nations unies pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants à reprendre ses visites. En 2017, le sous-comité a suspendu sa visite d’État au Rwanda, avant de l’annuler neuf mois plus tard, invoquant des obstructions de la part du gouvernement et la crainte de représailles contre les personnes interrogées. L’annulation de 2018 reste la seule fois où le sous-comité a dû interrompre une visite d’État avant qu’elle ne soit terminée.
Même dans les cas où le Rwanda a accepté les recommandations en 2015, cela n’a pas nécessairement conduit à des améliorations concrètes en matière de droits humains, a déclaré Human Rights Watch. Le Rwanda s’est par exemple engagé à poursuivre ses efforts pour protéger les enfants en situation difficile, comme les enfants des rues, et à adopter une nouvelle législation pour réglementer les centres de transit et de « réhabilitation ». Dans son dernier rapport au Conseil des droits de l’homme, le Rwanda a affirmé que cette question avait été résolue par la création d’un Service national de réhabilitation en 2017 et que 4 416 enfants avaient suivi ce processus de réhabilitation.
En janvier 2020, Human Rights Watch a cependant constaté qu’en vertu de la nouvelle législation, les enfants accusés d’être des « mendiants », « vagabonds » ou « délinquants » sont effectivement traités comme des criminels et sont susceptibles d’être exposés à des mauvais traitements. Ils sont arrêtés arbitrairement et détenus dans des conditions déplorables dans des centres de transit ou de réhabilitation, sans procédure équitable ni contrôle judiciaire, en violation des normes régionales et internationales.
Le Rwanda doit accueillir la prochaine réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth en juin. Lors de l’examen du 25 janvier, le Royaume-Uni a exhorté le Rwanda, en tant que membre et futur président du Commonwealth, « à incarner les valeurs du Commonwealth que sont la démocratie, l’État de droit et le respect des droits humains », consacrées dans sa déclaration de Harare de 1991.
Les gouvernements du Commonwealth, notamment ceux qui ont fait des recommandations dans le cadre de l’EPU, comme l’Australie, la Barbade, le Canada, Chypre, Fidji, la Sierra Leone et le Royaume-Uni, devraient profiter de la réunion du Commonwealth pour fixer des critères mesurables et exhorter le Rwanda à mettre en œuvre leurs recommandations, notamment en lançant des enquêtes et des poursuites judiciaires transparentes sur les décès en détention, les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées, la torture et la détention arbitraire ou illégale ; en agissant pour la protection des journalistes et des défenseurs des droits humains afin de leur permettre de faire leur travail ; et en mettant fin aux abus contre les enfants des rues dans les centres de transit. Tout manquement à ces obligations porte atteinte aux valeurs et aux objectifs du Commonwealth.
Les responsables des gouvernements qui se rendent à Kigali devraient également évoquer des dossiers spécifiques. Par exemple, ils devraient demander une enquête internationale et indépendante sur la mort en garde à vue du célèbre chanteur et activiste Kizito Mihigo compte tenu du fait que les autorités rwandaises n’ont pas mené d’enquête crédible qui réponde aux normes régionales et internationales à son sujet, a déclaré Human Rights Watch.
« Les autorités rwandaises doivent aller au-delà des promesses vides et des faux-fuyants pour régler leurs problèmes de droits humains », a déclaré Lewis Mudge. « Pour prouver sa volonté de mettre fin à l’impunité, le gouvernement devrait garantir des enquêtes crédibles et transparentes qui débouchent sur des poursuites contre les responsables d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées, de tortures et de détentions arbitraires et illégales. En attendant, les autres gouvernements devraient accroître la pression sur le gouvernement ».