Mars 2024 en Afrique. Tour d'horizon de la liberté d'expression réalisé sur la base des rapports des membres de l'IFEX et les nouvelles de la région, par Reyhana Masters, rédactrice régionale de l'IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
Stanis Bujakera Tshiamala libéré
Alors que la libération du journaliste Stanis Bujakera Tshiamala, le 19 mars, a été saluée par la famille, les amis, les collègues et les organisations de défense des médias du monde entier, le soulagement était teinté d’un sentiment d’absurdité et de frustration. Les agissements des autorités de la République démocratique du Congo – depuis son arrestation jusqu’à sa condamnation à six mois de prison, assortie d’une amende – témoignent d’une campagne de harcèlement délibérée et ciblée visant à intimider le journaliste et à le faire taire.
[ Translation: Urgent ! Libre, le journaliste Stanis Bujakera Tshiamala se trouve déjà en famille où il est accueilli avec des cris de joie ]
Le même 18 mars, jour du prononcé de la peine, alors que le tribunal a décidé qu’il devait être libéré au motif qu’il avait déjà passé six mois en détention préventive, le procureur de la République a déposé un recours pour qu’il reste en détention et a ainsi prolongé, une fois de plus, le temps passé par le journaliste derrière les barreaux.
Les accusations portées contre le directeur adjoint du site d’information congolais Actualite.cd par ailleurs journaliste pour Reuters, concernent un article du 31 août publié par le magazine d’information panafricain Jeune Afrique, basé à Paris, dont il est également correspondant. La détention prolongée, le cycle des audiences retardées, les accusations de diffusion de mensonges, de faux, d’usage de faux et de distribution de faux documents et la condamnation qui en a résulté sont tous liés à un article dont il n’est pas l’auteur et à un mémo qu’il n’a pas rédigé.
La guerre judiciaire contre Bujakera, citoyen congolais et résident permanent des États-Unis, a commencé lorsqu’il a été arbitrairement arrêté le 8 septembre 2023 à Kinshasa, alors qu’il s’apprêtait à embarquer sur un vol à destination de Lubumbashi. Comme Amnesty International le rapporte: « il a été détenu illégalement pendant trois jours avant d’être placé en détention provisoire le 11 septembre. Ses téléphones portables et son ordinateur ont été saisis et fouillés sans mandat ».
Loin de se laisser décourager, Bujakera a déclaré à Reporters sans frontières (RSF) qu’il « souhaitait poursuivre son combat pour un journalisme indépendant qui ne craint rien et a appelé les journalistes congolais à ne céder à aucune pression ».
[ Traduction : #DRC: Stanis Bujakera sera bientôt libre ! Le journaliste a été condamné à 6 mois de prison, peine couverte par la détention déjà purgée. Il n’aurait jamais dû être arrêté, poursuivi ou condamné sur la base d’une affaire clairement fabriquée. ]
Il a également exprimé sa gratitude pour le soutien de ses collègues, ainsi que de RSF pour leur coordination d’une campagne en faveur de sa libération qui a mobilisé des partisans locaux et internationaux, et comprenait des discussions avec les autorités de la RDC et des appels aux Nations Unies et à Media Freedom Coalition.
La « Loi sur les droits sexuels humains et les valeurs familiales » dans une impasse
Le pouvoir exécutif du Ghana et le Parlement s’affrontent actuellement au sujet de la Loi sur les droits sexuels humains et les valeurs familiales, qui a été adoptée à l’unanimité par le Parlement le 28 février. La discorde s’est intensifiée au point que les députés de l’opposition menacent de destituer le président Nana Akufo-Addo s’il n’approuve pas la loi.
Considéré comme l’un des textes législatifs anti-LGBTQIA+ les plus sévères en Afrique, il augmente les sanctions pénales pour les relations homosexuelles consensuelles et criminalise les individus et les organisations qui défendent ou soutiennent les droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres.
[ Traduction : Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Volker Türk, a exprimé sa profonde inquiétude quant à l’adoption par le Parlement ghanéen du « Projet de loi sur les droits sexuels humains et les valeurs familiales, 2024 ». Il a critiqué le projet de loi car il étend les sanctions pénales contre les personnes LGBTQ+ et menace de pénalités ceux qui les soutiennent. ]
Avant la menace de destitution, le président Akufo Addo a refusé de promulguer la loi jusqu’à ce que la Cour suprême se prononce sur sa constitutionnalité. Access Now rapporte que : « depuis l’adoption du projet de loi, deux recours ont été déposés devant la Cour suprême du Ghana visant à empêcher le président d’approuver le projet de loi ».
Qualifiant sa position de « méprisante », le président du Parlement Alban Bagbin a déclaré que le refus du président d’agir sur le projet de loi « était inconstitutionnel » et que, à son tour, le Parlement n’examinerait pas les nominations aux nouveaux postes ministériels que le gouvernement a soumises à l’approbation lors d’un remaniement ministériel en février.
L’hésitation du président s’explique par les retombées politiques nationales et des considérations économiques internationales. Alors que les élections générales et présidentielles sont prévues pour décembre 2024, il s’agit de parcourir le chemin labyrinthique visant à apaiser le segment conservateur des citoyens ghanéens qui détiennent le pouvoir en termes d’électorat.
[ Traduction : Le ministère des Finances du Ghana a exhorté le président Akufo-Addo @NAkufoAddo@ à ne pas approuver le projet de loi anti-LGBTQ
[Il] Souligne l’impact négatif de l’adoption et de la mise en œuvre du « Projet de loi sur les droits sexuels humains et les valeurs familiales, 2024 », autrement dit le projet de loi anti-LGBTQI, sur l’économie.]
Dans le même temps, le gouvernement s’inquiète des pressions des donateurs internationaux et de la menace de retrait des investissements et des financements. Ceci est basé sur l’expérience ougandaise : la Banque mondiale a interrompu tout nouveau prêt au pays lorsqu’il a adopté une loi anti-LGBTQIA+ similaire en mai 2023. Le ministère des Finances du Ghana a averti que l’approbation présidentielle finale de la législation pourrait entraîner une perte de 3,8 milliards de dollars sur le financement de la Banque mondiale au cours des cinq à six prochaines années, et faire dérailler un programme de prêt de 3 milliards de dollars du Fonds monétaire international (FMI) ».
L’impact néfaste et massif du projet de loi est parfaitement décrit par un porte-parole de l’organisation de défense Rightify Ghana, qui souligne :
« Les restrictions imposées par le projet de loi sur l’accès à l’information et à la liberté d’expression empêcheront directement les personnes LGBTQ+ au Ghana d’accéder à des ressources vitales, en particulier en matière de sécurité numérique, qui a été cruciale pour prévenir les cas de piégeages, d’extorsions et d’agressions. Dans un contexte où des acteurs de mauvaise foi exploitent l’intolérance croissante pour cibler les personnes LGBTQ+ en ligne en utilisant des tactiques telles que le piégeage et le cyberharcèlement, en étouffant le plaidoyer et la liberté de la presse… ce projet de loi ne servira qu’à mettre les gens en danger et le président doit le rejeter ».
Recul majeur pour les femmes et les filles en Gambie
Le 18 mars, des femmes ont manifesté devant le parlement gambien pour protester contre un projet de loi d’initiative parlementaire visant à lever l’interdiction des mutilations génitales féminines (MGF). Le projet de loi a passé sa deuxième lecture au cours de laquelle 53 membres masculins de l’Assemblée nationale ont voté pour et seulement quatre ont voté contre. Selon Semafor: « Le projet de loi va désormais être examiné par une commission parlementaire avant un vote final. Aucune date n’a encore été fixée pour cet examen ».
[ Traduction : ‘Sur mon cadavre.’
Alors que les politiciens prennent des mesures pour abroger une loi criminalisant les MGF en Gambie, les femmes restent déterminées à protéger la prochaine génération de cette pratique néfaste.]
Les MGF ont été interdites en 2015 par la loi (amendement) de 2015 sur les femmes, promulguée sous le règne de l’ancien président Yahya Jammeh. Les personnes qui se livraient à cette pratique étaient passibles d’amendes ou de peines de prison pouvant aller jusqu’à trois ans. La loi punit également les auteurs de ces actes de la réclusion à perpétuité dans les cas où la pratique entraîne la mort.
Le débat oppose des religieux musulmans influents qui prônent les MGF comme une coutume islamique obligatoire aux militants des droits humains et aux féministes qui réfutent cette idée. Comme Isatou Touray, ancienne vice-présidente et fondatrice de l’organisation anti-MGF GAMCOTRAP, l’a déclaré à Deutsche Welle: « Qui a le droit d’interférer dans ce qu’Allah a créé et qui a le droit de définir à quoi devrait ressembler une femme ? »
Compression de l’espace civique
Les libertés civiques dans la région ouest-africaine déclinent rapidement, en particulier dans les pays actuellement gouvernés par des autorités de transition.
La dissolution de l’organisation des étudiants, l’Association des élèves et étudiants du Mali, est révélatrice de la répression menée par le Mali contre la dissidence pacifique, les opposants politiques et les médias au cours des derniers mois. Le Bureau des Nations Unies pour les droits de l’homme (HCDH) a exprimé sa « profonde préoccupation » face à la fermeture de quatre organisations « dans ce qui semble faire partie d’une restriction croissante des droits humains et des libertés fondamentales ». Les autorités ont accusé l’association de « provoquer des perturbations des cours, des meurtres, des assassinats et la destruction de biens publics et privés par le biais de manifestations ».
Au Burkina Faso voisin, « la junte militaire enlève de plus en plus de militants de la société civile et d’opposants politiques dans le cadre de sa répression de la dissidence pacifique », rapporte Human Rights Watch (HRW). Avec un nombre record d’enlèvements de nationaux contre rançon, il est plus facile de faire passer l’arrestation de journalistes, de critiques et d’opposants comme faisant partie de ce secteur économique en pleine croissance.
Depuis novembre 2023, six militants et membres d’un parti d’opposition – Rasmané Zinaba, Bassirou Badjo, Guy Hervé Kam, Ablassé Ouédraogo et Daouda Diallo – ont été emmenés dans différents endroits de la capitale Ouagadougou par des hommes en civil ou des individus se réclamant de la police nationale.
[ Traduction : Le défenseur des droits humains enlevé au #BurkinaFaso Daouda Diallo est libéré après près de quatre mois ]
Bien que les autorités n’aient fourni aucune information sur le sort des personnes enlevées, le 18 février, une vidéo montrant Ouédraogo et Diallo en tenue de combat participant à des exercices militaires a été publiée sur les réseaux sociaux. HRW n’a pas pu vérifier l’authenticité de la vidéo. On soupçonne que les autorités ont utilisé un décret d’avril 2023 pour enrôler de force Ouédraogo et Diallo dans l’armée.
Cette attaque contre les opposants s’est apparemment étendue aux médias.
Dans son rapport « Pas de répit pour les médias au Burkina Faso alors que la junte et ses fanatiques se déchaînent », la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) déclare catégoriquement :
« L’année 2023 restera comme l’une des plus répressives de l’histoire des médias burkinabè, caractérisée par une série de suspensions et de fermetures d’organes de presse, d’expulsions de correspondants étrangers, de menaces contre des journalistes et des médias critiques de la part de la junte, de ses partisans fanatiques et des interrogatoires intimidants des journalistes ».
Dans son analyse, MFWA souligne une tendance inquiétante selon laquelle des secteurs de la population ont « adhéré au mantra patriotique du gouvernement militaire », ce qui lui a « donné une grande latitude pour s’en prendre, en toute impunité, aux journalistes, activistes et médias soupçonnés d’être « antipatriotiques ».
En bref
L’audition de l’ancien ministre de l’Intérieur gambien, Ousman Sonko, sur son rôle dans l’assassinat du journaliste et correspondant de RSF, Deyda Hydara, s’est ouverte début mars en Suisse.
Le 24 mars, le bureau régional de l’Institut des médias d’Afrique australe a lancé le « Rapport IA sur l’Afrique australe », un examen de l’état et du niveau des infrastructures et des installations de soutien dans la région, qui constitueront un facteur important dans l’adoption et l’utilisation de l’IA.
La National Broadcasting Commission, l’organisme de régulation du Nigeria, a fait appel du refus du tribunal d’annuler le jugement l’empêchant d’imposer des amendes aux stations de radiodiffusion.
Le nouveau Conseil des médias de Somalie est principalement composé d’alliés du gouvernement. Il est composé de conseillers du ministère de l’Information, d’anciens parlementaires, d’un avocat qui serait proche d’un membre du gouvernement et d’un journaliste.
L’unité de journalisme d’investigation amaBhungane prévient que le projet de loi modifiant les lois sur le Renseignement général (Gilab), actuellement en cours d’examen au parlement sud-africain, pourrait potentiellement modifier considérablement la liberté de la parole et le paysage de la liberté d’expression dans le pays.
Un projet de loi sur les communications électroniques qui sera soumis à l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire à la mi-avril contient deux lignes sur la transmission de messages électroniques qui pourraient être utilisées arbitrairement contre les journalistes et criminaliser le journalisme.