(RSF/IFEX) – Le 1er juin 2007, une chambre de première instance du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) a ordonné au bureau du procureur une enquête qui menace de poursuites plusieurs médias croates pour avoir divulgué un document classé confidentiel par le Tribunal. Jusqu’ici, les seules poursuites engagées par les tribunaux internationaux contre des journalistes […]
(RSF/IFEX) – Le 1er juin 2007, une chambre de première instance du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) a ordonné au bureau du procureur une enquête qui menace de poursuites plusieurs médias croates pour avoir divulgué un document classé confidentiel par le Tribunal.
Jusqu’ici, les seules poursuites engagées par les tribunaux internationaux contre des journalistes avaient concerné la divulgation alléguée de l’identité de témoins dits protégés ( voir le document http://www.rsf.org/IMG/pdf/rapport_fr.pdf ).
La menace que fait désormais peser le TPIY sur les journalistes couvrant ses activités est d’une autre nature et pourrait constituer une inquiétante atteinte à la liberté de la presse et au droit à la couverture critique et indépendante des juridictions internationales.
Le 1er juin 2007, la chambre de première instance en charge du procès des trois anciens généraux croates Ante Gotovina, Ivan Cermak et Mladen Markac a ordonné au procureur du TPIY de mener une enquête sur l’origine d’une fuite ayant conduit à la divulgation, quatre jours plus tôt, par plusieurs médias croates, d’un document classé confidentiel par le Tribunal.
Jamais poursuite sur de tels faits n’a été enclenchée par un tribunal international contre des médias couvrant ses activités. Les seules poursuites menées contre des journalistes à ce jour par de telles institutions judiciaires reposaient sur l’allégation selon laquelle ces journalistes avaient, au moins potentiellement, mis en danger la sécurité de témoins qui faisaient l’objet d’une ordonnance de protection délivrée par le Tribunal. Reporters sans frontières s’est déjà inquiétée, en 2006, du fondement de ces poursuites et du contexte dans lequel elles ont été menées devant le TPIY ou le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Dans certains cas, ces poursuites ont abouti à de lourdes condamnations.
« L’enquête ordonnée le 1er juin par les magistrats du TPIY, ainsi que les déclarations du porte-parole du Tribunal lors de son point de presse du 31 mai, sont plus inquiétantes encore. Si le TPIY devait poursuivre des reporters pour avoir divulgué des documents judiciaires pour la seule raison que le Tribunal les a déclarés confidentiels, cela constituerait une grave dérive et une régression en matière de liberté de la presse. La menace de telles poursuites entamerait la capacité même des journalistes de couvrir en toute indépendance les travaux de ces tribunaux internationaux. Elle ne manquerait pas d’être utilisée devant d’autres tribunaux, y compris internationaux, à l’encontre de reporters jugés trop critiques. Reporters sans frontières réitère son inquiétude devant la jurisprudence récente établie par ce tribunal des Nations unies et exprime ses craintes quant aux menaces sur la liberté de la presse que font peser ces derniers développements », a déclaré l’organisation.
Le document en question était une annexe à l’acte d’accusation dressé par le bureau du procureur contre ces trois officiers. Il avait été déposé devant la chambre le 17 mai et contenait notamment les noms de sept hauts responsables croates désignés par le parquet comme ayant fait partie de la même entreprise criminelle que les trois accusés. A travers ce document, le procureur répondait à la demande des juges que soit précisé et élargi le cercle des personnes présumées avoir participé à cette entreprise criminelle commune. Les sept personnes nommées par le procureur comprennent trois anciens ministres ou secrétaire d’Etat, un ancien chef de la gendarmerie et trois anciens commandants militaires (dont deux, publiquement inculpés par le TPIY, ont été transférés pour être jugés en Croatie).
La raison donnée dans ce document par le procureur pour justifier sa mise sous scellés se fonde sur le fait que, dans certains pays, les noms de complices non formellement mis en accusation ne doivent pas, en général, figurer dans un acte d’accusation public. Le procureur note bien que cette pratique n’a jamais prévalu devant le TPIY et devant les autres tribunaux internationaux. En outre, il indique que, même s’il n’y aura plus de nouvelle mise en accusation par le TPIY, les noms de ces sept personnes seront sans doute évoqués au cours du procès.
Le 28 mai, le contenu de ce document a été révélé par la chaîne de télévision croate HRT, avant que l’information ne soit reprise par d’autres médias locaux, dont Jutarnji list, Vecernji list et l’agence de presse Hina, selon des informations rapportées par l’agence Sense qui couvre en permanence les travaux du TPIY.
A la suite de cette « fuite », l’une des équipes de défense a demandé à la chambre de première instance de lever la mesure de confidentialité touchant ce document. Le 31 mai, la chambre a accédé à cette demande. Ce document est donc désormais officiellement dans le domaine public.
Mais le 31 mai, lors d’une conférence de presse, le porte-parole des chambres et du greffe du TPIY, Refik Hodzic, a déclaré, selon le résumé officiel publié sur le site du Tribunal, que « si un document confidentiel avait été divulgué dans les médias, cela constituerait une violation de la confidentialité du document et pourrait avoir des conséquences pour ses responsables ». Il a précisé que cela pourrait constituer « un outrage au Tribunal ». Puis, le communiqué officiel précise: « Il y a eu une très étrange interprétation au sein des médias selon laquelle il serait de bonne guerre de publier un document déposé confidentiellement avant qu’une chambre de première instance n’ait décidé de lever le secret. Publier un document sous scellés constitue une violation du règlement du Tribunal et il n’y a pas deux façons de voir cela », a déclaré Hodzic. Le lendemain, les juges ont ordonné l’ouverture d’une enquête qui fait ainsi peser la menace de poursuites pour « outrage au tribunal » contre au moins la télévision HRT.