(RSF/IFEX) – Ci-dessous, un communiqué de presse de RSF du 28 décembre 1999: Bilan 1999 Près de deux fois plus de journalistes tués qu’en 1998 446 journalistes interpellés En 1999, trente-six journalistes ont été tués dans l’exercice de leur profession ou pour leurs opinions, 446 ont été interpellés, 653 ont été agressés ou menacés et […]
(RSF/IFEX) – Ci-dessous, un communiqué de presse de RSF du 28 décembre 1999:
Bilan 1999
Près de deux fois plus de journalistes tués qu’en 1998
446 journalistes interpellés
En 1999, trente-six journalistes ont été tués dans l’exercice de leur profession ou pour leurs opinions, 446 ont été interpellés, 653 ont été agressés ou menacés et 357 médias ont été victimes de mesures de censure. Au 28 décembre 1999, quatre-vingt-cinq journalistes sont emprisonnés pour avoir voulu exercer librement leur métier. La liberté de la presse est inexistante dans une vingtaine de pays où vivent près de deux milliards d’êtres humains. Dans près de soixante-dix autres pays la liberté de la presse demeure aléatoire.
En 1999, le nombre de journalistes tués dans l’exercice de leur profession ou pour leurs opinions a pratiquement doublé par rapport à 1998. Trente-six journalistes ont été tués contre dix-neuf l’année précédente. La multiplication des conflits armés dans le monde est la principale cause de cette recrudescence des assassinats de journalistes. Vingt-huit professionnels de l’information ont ainsi trouvé la mort dans des zones en guerre ou de conflits: Sierra Leone (10), RF Yougoslavie (6), Colombie (6), Tchétchénie (3), Timor oriental (2) et Liban (1). Du 6 au 12 janvier 1999, en Sierra Leone, les rebelles du Front révolutionnaire uni (RUF) se sont livrés à une véritable opération d’élimination des journalistes proches du pouvoir. Neuf représentants de la presse ont été sauvagement exécutés par les rebelles, dont Paul Abu Mansaray, rédacteur en chef adjoint du quotidien privé Standard Times. Le journaliste, âgé de 41 ans, ainsi que sa femme et ses trois enfants, étaient en train de prier dans une église quand les rebelles sont venus les chercher et les ont exécutés. Les rebelles n’ont pas hésité à s’en prendre également à la presse internationale. Myles Tierney, cameraman de l’agence américaine Associated Press, a été tué par des hommes du RUF déguisés en casques bleus. Les soldats de la Force d’interposition ouest-africaine (Ecomog) dépêchés à Freetown se sont, eux aussi, rendus coupables d’un assassinat en exécutant Abdul Juma Jalloh, directeur de l’information du magazine African Champion, suspecté d’être un rebelle du RUF. En Colombie, six journalistes ont été assassinés cette année, victimes des groupes armés ou des paramilitaires. Parmi eux, l’humoriste Jaime Garzon, figure emblématique du journalisme colombien et ardent militant pour la paix, a été abattu par deux hommes à moto, le 13 août 1999, à Bogotá. Au Kosovo, Gabriel Grüner et Volker Krämer, envoyés spéciaux du magazine allemand Stern, ont été assassinés dans des circonstances toujours non éclaircies, peu après l’entrée des troupes de la Force de stabilisation (KFOR) dans la province. Selon l’enquête menée par Stern, ils auraient été tués par un groupe de paramilitaires fuyant vers la Serbie. Au Timor oriental, c’est l’armée régulière indonésienne qui semble à l’origine des deux assassinats de journalistes. La récente offensive russe en Tchétchénie a d’ores et déjà fait trois victimes parmi les journalistes locaux. Des professionnels de l’information continuent, par ailleurs, d’être pris pour cible par des groupes extrémistes, comme au Sri Lanka (3), en Inde (1) ou en Turquie (1). Au Nigeria, trois journalistes ont été tués alors qu’ils couvraient des affrontements interethniques.
Quatre-vingt-cinq journalistes emprisonnés
En 1999, le nombre des journalistes emprisonnés a légèrement baissé par rapport à 1998. Au 28 décembre 1999, on dénombre 85 journalistes détenus contre 93 à la même date en 1998. Ce chiffre ne reflète pas forcément la réalité de la répression dans certains pays. En République démocratique du Congo, quarante journalistes ont été interpellés et détenus dans les cachots des services de sécurité au cours de l’année 1999 ; « seulement » trois d’entre eux sont toujours derrière les barreaux fin 1999. Depuis l’arrivée de Laurent-Désiré Kabila au pouvoir, en 1997, près d’une centaine de journalistes ont été emprisonnés pour de plus ou moins longues périodes dans ce pays. A Cuba, quarante-six journalistes (dont certains à plusieurs reprises) ont été interpellés et détenus en 1999 alors que « seulement » quatre d’entre eux sont toujours en prison à la fin de l’année. Même cas de figure pour la Turquie, où au moins dix-neuf journalistes ont connu la prison en 1999 et quatre-vingt-sept autres ont été interpellés.
Fin 1999, les pays qui incarcèrent le plus de journalistes restent la Birmanie (13), la Syrie (10), la Chine (9) et l’Ethiopie (9). Dans les prisons birmanes et syriennes, les journalistes sont soumis à des traitements dégradants et ne reçoivent pas les soins médicaux qu’exige leur état de santé. La Birmane San San Nweh, Prix Reporters sans frontières/Fondation de France 1999, est détenue depuis 1994. Elle souffre d’une maladie du foie et de problèmes aux yeux. Ses proches qui tentent de lui venir en aide en lui faisant parvenir de la nourriture ou des médicaments sont menacés par des agents des services secrets. Le journaliste syrien Nizar Nayyouf, qui purge une peine de dix ans de prison, souffre de nombreuses séquelles des tortures qu’il a subies en détention : paralysie, hémorragies, dermatoses… Il est également atteint d’un cancer que les autorités refusent de faire soigner. En Turquie, pays candidat à l’Union européenne, quatre journalistes ont été torturés par des agents de l’Etat. Parmi eux, Aydogan Inal de l’hebdomadaire prokurde Hêvi : déshabillé, obligé de chanter l’hymne national turc et aspergé par un jet d’eau glacée, le journaliste est victime de coups dans les testicules et de tentatives d’étouffement. Vingt-six professionnels de la presse ont été agressés dans ce pays qui, malgré quelques mesures décidées par les autorités, dont une amnistie qui a permis la libération de sept journalistes, affiche un bilan toujours très négatif en matière de liberté de la presse. En Afrique subsaharienne, des journalistes continuent d’être victimes de mauvais traitements. En République démocratique du Congo, les services de sécurité ont recours aux sévices corporels et des journalistes ont été fouettés, aux dires mêmes de leurs bourreaux, « au prorata de leur âge et de leur poids ». En Sierra Leone, de nombreux professionnels de l’information ont été maltraités, voire torturés, par les hommes du RUF. Parmi eux, Mustapha Sesay, reporter du quotidien Standard Times, accusé d’être un « espion » du gouvernement a été violemment battu par des membres du RUF qui lui ont arraché un Åil avec leurs machettes.
Trente-quatre journalistes enlevés
La multiplication de conflits armés dans le monde a également pour effet une recrudescence des enlèvements de journalistes. En Sierra Leone, le RUF a ainsi détenu quinze journalistes, dont Khalifu Fofanah, directeur du bihebdomadaire Pioneer, qui s’est vu menacé de mort s’il ne se mettait pas au service des rebelles. En Colombie, seize journalistes ont été kidnappés, puis relâchés, par différents groupes armés. En Tchétchénie, où le kidnapping de journalistes est une véritable industrie, trois journalistes sont toujours détenus par des bandes armées qui demandent de fortes rançons pour leur libération. L’un d’eux, le photographe français Brice Fleutiaux, enlevé depuis le 1er octobre, est détenu dans une cave et probablement maltraité. Une vingtaine de journalistes ont été kidnappés dans le Caucase russe depuis 1997. Les conflits, mais aussi les pressions constantes exercées par les autorités de certains pays, poussent les journalistes à prendre le chemin de l’exil. En 1999, neuf journalistes colombiens ont dû quitter leur pays sous les menaces des paramilitaires ; quatre journalistes cubains, victimes du harcèlement des autorités, ont préféré quitter définitivement l’île. Au moins une dizaine de journalistes africains – au Congo, au Cameroun, etc. – se sont exilés afin de sauver leur vie.
La proclamation de l’état de guerre (ou d’urgence) constitue un prétexte, pour les régimes de certains pays, à restreindre la liberté de la presse. Dans la Yougoslavie de Slobodan Milosevic, les médias indépendants se sont vu imposer une ligne éditoriale faisant l’apologie du patriotisme et de la résistances serbes pendant la campagne aérienne de l’Otan. L’assassinat de Slavko Curuvija, directeur d’un quotidien indépendant, accusé de « trahison » par les autorités a servi d’avertissement pour les plus récalcitrants. Au Sri Lanka, les militaires imposent une stricte censure des informations provenant des zones de conflits, au nord du pays. De nombreux journalistes ont été condamnés en République démocratique du Congo pour « divulgation de secrets d’Etat » ou « atteinte à l’intégrité du pays ». En Angola, les professionnels de l’information sont systématiquement inquiétés par les autorités militaires suite à des reportages dans les zones contrôlées par l’Unita qui s’oppose, les armes à la main, au gouvernement. En Russie, depuis l’offensive de l’armée fédérale en Tchétchénie, les autorités s’en prennent régulièrement aux représentants de la presse internationale accusés d’être des agents des services de renseignement occidentaux.
Les « vingt ennemis d’Internet »
En dehors de la censure militaire, dans de nombreux pays la législation sanctionne des délits tels que « la dissémination de fausses nouvelles » et « offense au chef de l’Etat » par des peines de prison. Dans d’autres, les autorités ont systématiquement recours à des procès en « diffamation » pour réprimer la liberté de la presse. Ce constat s’applique à de nombreux pays africains, mais aussi en Europe, notamment en Croatie et en Biélorussie. Les autorités d’un grand nombre de pays persistent à faire main basse sur les médias audiovisuels considérés comme ayant le plus d’impact sur l’opinion. Pas moins de soixante-quinze pays maintiennent le contrôle de l’Etat sur l’audiovisuel et quarante-cinq d’entre eux tentent de freiner la révolution des communications en contrôlant l’accès de leurs citoyens à Internet. Fin 1999, vingt pays dans le monde peuvent être considérés comme de véritables « ennemis d’Internet » : Birmanie, Cuba, Tunisie, Vietnam, etc. Leurs gouvernements contrôlent les fournisseurs d’accès, mettent en place des filtres qui bloquent les sites jugés indésirables et punissent sévèrement les utilisateurs d’Internet qui tentent de contourner les entraves à la libre circulation de l’information sur la Toile. Ainsi en Chine, deux « cyber-dissidents », Lin Hai et Qi Yanchen, ont été emprisonnés pour « subversion ». Leur tort est d’avoir utilisé Internet afin de sensibiliser l’opinion internationale aux violations des droits de l’homme dans leur pays.