Le célèbre journaliste a été condamné, avec deux de ses collègues, à un mois de prison avec sursis et 20 millions de francs CFA d'amende.
(RSF/IFEX) – le 18 novembre 2010 – Le 16 novembre 2010, le journaliste Abdou Latif Coulibaly a été condamné, avec deux de ses collègues, à un mois de prison avec sursis et 20 millions de francs CFA d’amende (environ 30 000 euros). Le verdict, très attendu, de ce procès médiatisé survient près de deux mois après la tenue du procès, le 14 septembre dernier. Il pose à nouveau la question de la dépénalisation des délits de presse et de l’indépendance de la justice au Sénégal.
Reporters sans frontières s’interroge sur l’équité de ce procès qui s’apparente fort à une chasse à l’homme destinée à décourager l’un des journalistes les plus critiques du pays. Par extension, ce procès pourrait intimider les professionnels des médias, les pousser à l’autocensure et menacer ainsi l’avenir de la presse d’investigation au Sénégal.
Alors qu’un nouveau code de la presse vient d’être approuvé par le président de la République et est en passe d’être soumis à l’Assemblée nationale, nous demandons que cette volonté d’améliorer la situation de la presse et des journalistes au Sénégal dépasse les simples déclarations d’intention. Nous engageons fermement la justice à prendre en compte et mettre en application les déclarations gouvernementales, à faire preuve d’impartialité et de probité.
En 2007, le journaliste et écrivain avait publié dans les colonnes de l’hebdomadaire La Gazette, dont il est le directeur de publication, un article intitulé « Thierno Ousmane Sy au cœur du scandale », dans lequel il incriminait Thierno Ousmane Sy, conseiller du chef de l’Etat Abdoulaye Wade pour les Technologies de l’information et de la communication. Avec la collaboration de ses collègues, Aliou Niane et Alioune Badara Coulibaly, il y avait déclaré que « des étrangers, en association avec des nationaux très haut placés dans les structures de l’Etat, s’étaient partagés 40 millions de dollars » de commissions en 2007, lors de la vente de la 3e licence de téléphonie mobile au groupe soudanais Sudatel. Le journal avait clairement identifié Thierno Ousmane Sy comme étant au centre du scandale. Celui-ci avait alors porté plainte en diffamation contre les journalistes.
Ce procès a suscité l’intérêt général du pays : des opposants, ainsi que des organisations de la société civile, ont ainsi organisé un jury d’honneur pour entendre le journaliste Abdouy Latif Coulibaly. La Gazette a réagi au verdict en soulignant « la tendance fâcheuse des juridictions sénégalaises qui, trop souvent, interprètent et appliquent la loi sur les délits de presse en général et la loi sur la diffamation en particulier de façon restrictive et mécanique ». Le juge se trouve ainsi réduit à un rôle de simple exécutant d’une législation liberticide.
Le procès d’Abdou Latif Coulibaly et de ses deux confrères révèle de manière flagrante la difficulté, voire l’incapacité, des médias et des journalistes de mener des investigations dans le cadre d’affaires de corruption compromettant les arcanes du pouvoir. Il est notamment troublant que Thierno Ousmane Sy n’ait pas eu à s’expliquer des accusations dont il avait fait l’objet. Reporters sans frontières demande aux juges d’accroître leur vigilance lors du procès en appel et de faire de l’équité leur priorité.
Le célèbre journaliste, par ailleurs directeur de l’Institut supérieur des sciences de l’information et de la communication (ISSIC), est sous le coup d’un autre procès en appel contre le directeur de la société sénégalaise de jeux Lonase, suite à la publication de son livre « Lonase : chronique d’un pillage organisé ». Abdou Latif Coulibaly, reconnu pour son professionnalisme et la rigueur de son travail, est l’auteur de plusieurs ouvrages d’enquêtes très critiques envers la gestion du président Wade et de son fils Karim.