Dix ans après sa création à Paris, Radio Erena, soutenue par RSF, reste la seule voix qui permet aux Erythréens d’accéder à une information indépendante.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 14 juin 2019.
“Nos auditeurs Erythréens sont vite passés de l’espoir à la désillusion”, regrette Amanuel Ghimaï Bhata, l’un des trois journalistes en exil de Radio Erena à Paris. La pacification des relations entre L’Ethiopie et l’Erythrée en 2018 a mis fin à plusieurs dizaines d’années de conflit quasiment ininterrompu entre les deux voisins. Côté éthiopien elle s’est accompagnée de la libération de tous les journalistes emprisonnés, de l’autorisation accordée à des centaines de médias autrefois interdits et d’une liberté de ton retrouvée. Mais en Erythrée, le régime d’Issaias Afeworki n’a entrepris aucune réforme dans ce sens.
Le pays reste la première prison d’Afrique subsaharienne pour les journalistes avec selon RSF au moins 11 professionnels de l’information détenus dans des conditions terribles, sans accès ni à leur famille et ni à leur avocat, pour certains depuis près de 20 ans. Aucun média indépendant n’est installé sur place où la poignée d’organes qui subsistent n’a d’autre alternative que de relayer la propagande du régime d’Asmara. Même en ligne, il est difficile d’accéder à des informations crédibles. Le taux de pénétration d’internet (inférieur à 2%) est l’un des plus faibles au monde. Et les Erythréens sont étroitement surveillés. Dans les cybercafés, ils sont obligés de renseigner leur identité avant d’être autorisés à se connecter.
“Dans ce désert médiatique qu’est l’Erythrée, Radio Erena qui célèbre son 10è anniversaire, demeure la dernière oasis d’informations produites de manière indépendante et apolitique, estime Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique de RSF. Malheureusement, le vent de liberté qui souffle depuis un an sur la presse éthiopienne s’est arrêté à la frontière avec l’Erythrée. RSF continue à demander des preuves de vie et la libération des journalistes détenus dans les geôles du pays”.
Biniam Simon, le fondateur de Radio Erena est parvenu à éviter le triste sort de ses confrères au prix d’un exil prolongé. Arrivé en France en 2006, l’ex-présentateur vedette de la télévision d’Etat Eri-TV a cofondé Radio Erena trois ans plus tard. Selon une étude de la Deutsche Welle Akademie réalisée en 2017, au moins 520 000 personnes écoutent régulièrement ce média en Erythrée. Depuis son 2 pièces du 13e arrondissement prêté par la Mairie de Paris, Radio Erena parvient à diffuser deux heures de programme par jour en tigrigna et en arabe, les deux langues principales du pays.
Les trois journalistes en exil qui l’animent peuvent compter sur une vingtaine de correspondants et un réseau de sources locales pour diffuser les informations que le pouvoir d’Asmara aimerait passer sous silence. En 2011, alors que le régime de Mouammar Kadhafi est en train de tomber, Radio Erena révèle une liste de plusieurs centaines de noms de réfugiés, la plupart des Erythréens, se trouvant en Libye dans un contexte sécuritaire très dégradé. “Le téléphone n’arrêtait pas de sonner, les familles des migrants nous appelaient sans arrêt depuis l’Erythrée, se souvient Biniam. Nous avons fait du direct toute la journée.” Deux ans plus tard, une tentative de coup d’Etat éclate en Erythrée. La mutinerie fait long feu et les militaires sont finalement arrêtés quelques heures plus tard. Seule radio Erena parvient à rendre compte de cette journée où tout a failli basculer.
“Il faut garder espoir, le régime est très isolé et il finira par tomber”, estime Biniam. Son collègue Amanuel acquiesce. “Un jour, nous installerons Radio Erena chez elle, à Asmara”. En attendant, il faut continuer à regarder tout en bas du Classement mondial de la liberté de la presse pour trouver l’Erythrée. Le pays occupe la 178e place sur 180 pays dans l’édition publiée en 2019 par RSF.