(RSF/IFEX) – Ci-dessous, un rapport de RSF sur la liberté de la presse au Tibet: Tibet : la presse clandestine résiste à la répression En 1950, au moment où les troupes de l’Armée rouge envahissent le Tibet, aucun journal indépendant n’est publié dans le pays. Seul Yui-pyoq-so-so-sar-gyur-me-long, un hebdomadaire édité à Darjeeling en Inde, informe […]
(RSF/IFEX) – Ci-dessous, un rapport de RSF sur la liberté de la presse au Tibet:
Tibet : la presse clandestine résiste à la répression
En 1950, au moment où les troupes de l’Armée rouge envahissent le Tibet, aucun journal indépendant n’est publié dans le pays. Seul Yui-pyoq-so-so-sar-gyur-me-long, un hebdomadaire édité à Darjeeling en Inde, informe en tibétain. Cinquante ans plus tard, les médias autorisés, écrits comme électroniques, sont tous contrôlés par les autorités chinoises. Seules une vingtaine de publications clandestines, à la parution sporadique, défient le monopole du Parti communiste chinois (PCC) sur l’information. Si cette absence totale de liberté ne contraste pas avec la situation en Chine, au Tibet, la répression des autorités contre toute forme d’expression des thèses autonomistes ou indépendantistes est systématique. Ainsi, selon le Centre tibétain pour les droits de l’homme et la démocratie, sur les 135 Tibétains arrêtés par la police chinoise en 1998, cinquante-six l’auraient été après avoir exprimé pacifiquement leur opinion. La grande majorité d’entre eux a été jugée sous le chef d’accusation de « menace à la sécurité de l’Etat ». Peindre un graffiti indépendantiste, coller une affiche ou prononcer publiquement des propos « anti-chinois » sont passibles de lourdes peines de prison. En 1999, toujours selon le Centre tibétain pour les droits de l’homme et la démocratie, 615 Tibétains seraient emprisonnés pour des motifs exclusivement politiques. Soixante-deux d’entre eux auraient été condamnés à des peines supérieures à dix ans de prison. Enfin, au cours de la même année, dix prisonniers seraient morts sous la torture.
A la fin des années 80, les autorités chinoises ont renforcé encore le contrôle sur l’entrée et la sortie de documents écrits ou audiovisuels du Tibet. Ecouter des radios étrangères diffusées en tibétain, notamment Voice of America, est devenu un crime contre la sécurité de l’Etat.
Quant aux journalistes étrangers, ils sont empêchés de travailler librement au Tibet. Ils sont obligés de solliciter une autorisation auprès du département des Affaires étrangères de la région autonome du Tibet. Dans la plupart des cas, la demande est refusée. Ainsi, certaines agences de presse étrangères n’ont pas pu se rendre au Tibet depuis 1997. Si l’autorisation est délivrée, le journaliste étranger est pris en charge du début à la fin de son reportage par les autorités chinoises. Il est accompagné et son programme de rencontres est élaboré avec les autorités. A plusieurs reprises, l’administration a invité des journalistes étrangers dans des voyages organisés. Surveillés par leurs guides et la police, les journalistes n’ont pas été autorisés à sortir du programme officiel. Un correspondant d’un média américain, invité au Tibet il y a deux ans, raconte comment les autorités « te prennent par la main et ne te lâchent plus, de peur, sûrement, que tu recueilles les témoignages sur la répression ».
Une mission de Reporters sans frontières s’est rendue à Dharamsala et à New Delhi, en Inde, du 24 février au 2 mars, pour recueillir des informations sur les violations de la liberté de la presse au Tibet.
Le contrôle des médias par le Parti communiste chinois
Au Tibet, plus encore qu’en Chine, le PCC contrôle les médias écrits et électroniques. Jusqu’au début des années 1980, il existait très peu de publications publiées au Tibet. Aujourd’hui, au moins cent quatre-vingts publications sont recensées, du Tibet Youth Weekly, journal des jeunesses communistes du Tibet, créé en 1985, au Tibet Radio and TV, guide hebdomadaire des radios et télévisions tibétaines, lancé en 1989. Selon une dépêche de l’agence officielle Xinhua, datée de juillet 1995, cinquante-cinq publications sont éditées dans la région autonome : vingt-trois en tibétain, trente en mandarin et deux en anglais. Quatre ans plus tard, en février 1999, selon la même agence, il existe dans la région autonome du Tibet seize journaux, trente-quatre magazines, soixante-sept librairies et quatre imprimeries.
Le Tibet Daily, publié en tibétain et en mandarin, principal journal paraissant à Lhassa, est l’organe de presse du Comité tibétain du PCC. Créé en 1956 et dirigé exclusivement par des Chinois, le quotidien se contente de publier des articles traduits du très officiel China Daily. Le journal intègre également des informations locales, surtout les réalisations de l’administration chinoise. Dorjee Tsering, journaliste tibétain ayant travaillé pendant six ans au Tibet Daily, aujourd’hui réfugié en Inde, affirme que « 99 % des informations publiées dans le journal sont des traductions de l’agence Xinhua ». Néanmoins, selon ce journaliste, le quotidien connaît un certain succès auprès du public tibétain depuis qu’il publie des poèmes et des feuilletons. D’autres quotidiens tels que Lhassa Evening News, lancé en 1985 par le comité de Lhassa du PCC, publié en tibétain et spécialisé dans les informations économiques, sont également contrôlés par les organismes officiels. Dans les régions à peuplement tibétain mais rattachées à d’autres provinces chinoises, il existe également des journaux en tibétain : Qinghai Daily, créé en octobre 1949 et diffusé actuellement à 5 000 exemplaires pour la version tibétaine et 20 000 pour celle en chinois, ou Sichuan Daily. De même, les radios et télévisions – Tibet Television, Lhassa TV, Tibetan Radio – sont contrôlées par l’administration chinoise.
En 1960, la radio publique Tibetan Radio diffuse son premier programme. Mais ce n’est qu’en septembre 1973 que la station émet en tibétain et en mandarin. Il faudra attendre 1978, pour que la télévision d’Etat chinoise, CCT, émette pour la première fois au Tibet après l’installation d’un relais dans la province. En 1985, Tibet Television est lancée par les autorités. Cinq plus tard, la couverture de Tibet Television s’étend à tout le territoire tibétain mais les téléspectateurs ne pouvaient, dans un premier temps, recevoir que des programmes en mandarin. En octobre 1999, cinq heures de programmes en mandarin et en tibétain sont diffusées par satellite. Selon Zhaxi Cerdan, directeur adjoint de Tibet Television, cité par l’agence Xinhua, les programmes diffusés par satellite ont vocation « à informer dans sa langue la minorité tibétaine sur les affaires intérieures et étrangères ».
Les télévisions et radios officielles sont le principal relais de la propagande du PCC. Les discours des principaux dirigeants sont régulièrement retransmis. Les mises en garde contre les « activités contre-révolutionnaires » ne manquent pas. En avril 1990, quelques jours avant la levée de la loi martiale, un dirigeant du PCC mettait en garde les « séparatistes » pendant le journal de Lhassa TV : « Nous punirons les éléments hostiles avec la main de fer de la dictature démocratique du peuple. » Le régime communiste n’a jamais hésité à utiliser les organes de presse comme une arme politique. Ainsi, l’édition tibétaine de l’hebdomadaire Hongqi (Red Flag), publié jusqu’en 1980, justifiait les attaques contre la hiérarchie bouddhiste, et notamment les destructions de monastères, au nom de la « nécessaire dictature du prolétariat ».
Les journalistes de radio et télévision sont contraints d’appliquer la politique de « sinisation » de la langue tibétaine. Selon Chakemo Tso, journaliste tibétaine réfugiée à Dharamsala, les présentateurs des journaux en tibétain sont contraints d’abandonner l’accent tibétain au profit d’une prononciation proche du mandarin. Selon la journaliste, les médias sont utilisés par les Chinois « pour humilier les Tibétains et détruire leur culture ».
Des magazines édités à Pékin sont également consacrés à l’actualité du Tibet. Ainsi dans China’s Tibet, un mensuel publié en tibétain et en chinois, on retrouve des articles qui abordent toutes les questions touchant à la région autonome. Le dalaï-lama est souvent évoqué, qualifié de « séparatiste ».
« Nous avions tous peur »
Au sein des médias d’Etat, les journalistes tibétains et chinois travaillent sous la menace permanente de la censure et des sanctions. Les journalistes tibétains exilés en Inde que Reporters sans frontières a interrogés, ont insisté sur le climat de peur qui règne au sein des rédactions, notamment pour les journalistes tibétains, souvent suspectés d’épouser les options indépendantistes ou autonomistes.
Des journalistes chinois – la majorité d’entre eux sont membres du PCC – dirigent ces médias. Ils imposent une censure drastique et décident des choix rédactionnels sans qu’aucune discussion soit possible. Selon Tsering Wangchuk, reporter et présentateur de 1988 à 1993 à Radio Lhassa, exilé à Dharamsala depuis 1993, le rédacteur en chef donnait tous les jours des instructions aux journalistes sur les événements à couvrir. La rédaction, composée en 1993 de trois journalistes tibétains et dix-sept chinois, se devait « d’informer les auditeurs des points positifs de l’action des autorités chinoises ». Tous les sujets concernant les activités du gouvernement en exil, le dalaï-lama, la liberté religieuse ou les droits de l’homme sont strictement bannis des ondes.
« Nous avions tous peur. Celui qui brise la censure peut s’attendre au pire » affirme Tsering Wangchuk. Il explique ainsi la très forte autocensure et le nombre très limité de cas de journalistes emprisonnés. Il se souvient du cas d’un reporter chinois, venu de Pékin, qui fut renvoyé de Radio Lhassa et contraint de quitter le Tibet, après avoir réalisé un reportage sur l’assassinat d’au moins huit Chinois par des policiers. Cette affaire de meurtres en série qui ont eut lieu à Gonjar Zong au début des années 1990 n’a jamais pu être traitée dans les médias publiés au Tibet.
Selon Chakemo Tso, l’un de ses collègues de la radio Tso Nub, qui émet dans le nord du Tibet, a été menacé, en septembre 1998, par sa direction après avoir tenté de diffuser un reportage sur un monastère bouddhiste en conflit avec les autorités. Convoqué par le directeur chinois de la station, le journaliste s’est vu interdire de réaliser des enquêtes sur les affaires religieuses.
En janvier 1997, Chakdor Tsering, journaliste au trimestriel littéraire Daser, publié à Tsoe, préfecture de la région de Kanlho (province de Gansu), a été interpellé par la police. Connu pour ses textes sur la littérature tibétaine, il avait déjà été arrêté et détenu pendant au moins dix mois, vraisemblablement en 1995. Selon certaines sources, le journaliste s’apprêtait à publier dans le magazine des poèmes de Hortsang Jigme, un poète exilé et interdit par les autorités chinoises. Les autorités l’accusent de tentative de publication de « pamphlets contre-révolutionnaires ». Trois mois après son arrestation, sa famille apprend des autorités que le journaliste est au centre de détention de Machu (en chinois, Maqu), province de Kanlho. Chakdor Tsering aurait été, selon Tibet Information Network, détenu dans des conditions très dures pour lui « arracher des confessions ». Dolkar Kyap, prisonnier pendant trois mois dans ce centre de détention, témoigne des conditions réservées aux prisonniers d’opinion : « Nous étions entassés dans des cellules de dix mètres carrés. Nous portions des chaînes très lourdes. Les gardiens, armés de mitraillettes, vous frappent dès que vous protestez. » Chakdor Tsering aurait été libéré au cours du second semestre de 1999. Selon Pal Drugmo, une journaliste tibétaine arrivée à Dharamsala en janvier 2000, il aurait été réintégré à l’équipe éditoriale de Daser.
En 1993, l’oncle de Chakdor Tsering est arrêté par la police dans la région de Kanlho où il est propriétaire d’une papeterie. Les autorités lui reprochent d’avoir photocopié et distribué des poèmes de l’écrivain exilé Hortsang Jigme. Selon la police, il comptait les transmettre aux journaux clandestins. Il est libéré trois jours après son arrestation.
La presse clandestine résiste
Depuis la fin des années 80, une vingtaine de publications clandestines ont été répertoriées au Tibet. Ecrite à la main, sérigraphiée et tirée à une centaine d’exemplaires, cette presse « underground » est avant tout le fait de militants de la cause tibétaine ou de moines. Ces publications, le plus souvent une vingtaine de feuilles volantes agrafées, reprennent souvent des articles d’écrivains ou de lamas exilés ou interdits de publication au Tibet. Si les auteurs des articles sont identifiés, ils encourent de lourdes peines de prison. Ainsi, Menp Dorjee, un universitaire de 55 ans, a été arrêté en 1997 pour avoir écrit et publié un article sur le dalaï-lama. Il a été emprisonné pendant un an et demi dans la prison de la région autonome tibétaine de Malho.
Selon un ancien prisonnier d’opinion, originaire de la province tibétaine d’Amdo, au moins sept publications clandestines ont circulé dans cette région de l’est du Tibet : Laydok, publié dans le district de Machu (région de Kanlho) depuis au moins 1994, Malung Chen Chap, Lu Chab Ngumo, diffusé dans le district de Luchu (région de Kanlho), Sang Chu Lue Thang, distribué dans la ville de Chone depuis le début des années 1990, et Machu Lubda, édité dans le district de Machu depuis 1992.
Selon Dawa Tsering, un réfugié travaillant pour l’hebdomadaire Tibetan Bulletin, Kham Gawa était publié clandestinement au début des années 1990 par des fonctionnaires tibétains favorables au dalaï-lama. D’abord collée sur les murs des principales villes du Tibet central, cette publication clandestine était ensuite distribuée sous le manteau. Comme la plupart des publications clandestines, Kham Gawa a été contrainte de cesser sa parution du fait d’une intensification des recherches de la police afin d’identifier ses auteurs. Autre problème récurrent de ces publications clandestines : le manque d’argent. Ceci explique l’irrégularité de leur parution et le nombre limité de leur tirage.
Selon Tilay Tsering, un moine réfugié en Inde depuis 1996, un mensuel est apparu à la fin de l’année 1999, publié par les moines du monastère de Tabrang Tashik. Tiré à plus d’une centaine d’exemplaires, il circule dans les écoles bouddhistes et les monastères. On y trouve des articles sur les sujets religieux et culturels et de très rares nouvelles politiques. En effet, pour se préserver de la répression, le monastère a préféré s’autocensurer sur les sujets politiques. Au détour d’un poème, on trouve pourtant des métaphores politiques : le dalaï-lama est évoqué comme une « montagne sacrée » et le lion des neiges, présent sur le drapeau tibétain, symbolise l’indépendance du Tibet. Du coup, les autorités chinoises ont interdit, depuis trois ans, d’utiliser ou d’écrire le mot tibétain qui désigne cet animal légendaire. Un écrivain de Lhassa aurait été arrêté en 1997 : la police aurait retrouvé chez lui un texte où figurait ce mot. Il serait toujours emprisonné.
Les animateurs de ces journaux prennent en effet de très grands risques. Au Tibet, des personnes ont été condamnées à quatre ans de prison pour avoir écrit « Free Tibet » sur des murs. Selon Dolkar Kyap, emprisonné pendant trois ans pour avoir collé des affiches et distribué des cassettes audio venues d’Inde, quatre moines auraient été arrêtés en mars 1996 dans la ville de Tsochon. Ils auraient disparu depuis cette date. Damchoe Gyatso, âgée de 27 ans et responsable du magazine, Jigme Tendar, Damchoe Kalden et Phuntsog participaient à la publication d’un magazine littéraire clandestin Zong Cha Rangme Goda. Concernant ces arrestations, le Centre tibétain pour les droits de l’homme et la démocratie affirmait en décembre 1996, que les quatre moines, étudiants à l’école de Nga-rig Kye-tsel Ling du monastère de Kumbum, auraient été arrêtés en compagnie de dix-sept autres religieux. Les autorités les auraient accusés d’activités « contre-révolutionnaires ». Au même moment, le magazine a été interdit. Il est difficile d’affirmer que les moines ont été arrêtés pour avoir publié le magazine : selon Tibet Information Network, les moines venaient de distribuer dans leur école une prière du dalaï-lama pour le jeune panchen-lama, détenu par les autorités chinoises.
Samdrup Tsering, historien tibétain, libraire et auteur de nombreux articles dans les revues culturelles tibétaines, notamment Drangchar, a été arrêté le 16 juillet 1993 à Zilling (en chinois, Xining) dans la province de Qinghai. La police l’accuse « d’activités contre-révolutionnaires ». Il a notamment écrit, en 1992, un article intitulé « Le clairon qui réveille les masses ignorantes » qui l’avait rendu célèbre au sein des milieux intellectuels tibétains. Il a été libéré en 1997 et exerce depuis la profession de traducteur. Il lui est impossible de publier des articles.
Les radios, principales menaces pour le monopole de l’information
Avant l’invasion chinoise, le Tibet n’avait connu qu’une seule radio : Radio Lhassa, créée avec l’aide du gouvernement américain. En 1945, les Etats-Unis livrent aux autorités de Lhassa trois studios et des émetteurs. Ils envoient également deux techniciens pour installer la radio et former des journalistes tibétains. Ce n’est qu’en janvier 1950 que la station diffuse, depuis Lhassa, son premier programme, d’une demi-heure par jour. Peu après, le gouvernement tibétain installe le deuxième émetteur dans la province de Chamdo. Puis, une troisième station est établie dans la ville de Nagchuka, dans le nord du Tibet. Un peu moins d’un an après le lancement de cette première radio tibétaine, l’invasion chinoise met fin à cette expérience. En 1954, l’administration chinoise crée une station en tibétain. Il faudra attendre mai 1996 pour que soit lancée une nouvelle station indépendante tibétaine, Voice of Tibet (VOT), financée par une fondation norvégienne. Celle-ci est créée à l’initiative d’un groupe de journalistes tibétains qui avaient constaté qu’avec le durcissement, en 1989, des contrôles à la frontière népalo-chinoise, les cassettes en tibétain étaient systématiquement confisquées et qu’il devenait donc de plus en plus difficile de faire entrer des informations au Tibet. D’abord accueilli par Feba, une radio chrétienne basée aux Seychelles, VOT est obligée d’installer son propre émetteur au Kazakhstan, en Asie centrale, les autorités chinoises menaçant de brouiller, en septembre 1996, tous les programmes de Feba. En 1997, les Chinois utilisent les programmes de Easy FM, une radio coproduite avec un groupe de presse australien, pour couvrir la fréquence de VOT. Suite aux protestations de la radio australienne, le brouillage cesse peu après. En décembre 1998, c’est au tour de Radio Canada Internationale d’être utilisée par les autorités de Pékin pour brouiller la radio tibétaine. Des responsables du média public canadien protestent auprès d’officiels chinois. Le lendemain, le brouillage cesse.
Selon le directeur de VOT, Oystein Alme, les autorités chinoises ont recommencé à brouiller systématiquement les programmes de la station, depuis le 14 janvier 2000. Cette décision a été annoncée publiquement à Lhassa, au même moment, au cours d’un meeting du PCC. Grâce à un transmetteur basé à Kunming, les autorités chinoises diffusent des programmes en mandarin ou émettent des bruits sourds sur les fréquences de VOT, pourtant reconnues par les instances internationales compétentes. Selon Lobsang Tsultrim Jeshong, le rédacteur en chef de VOT, basé à Dharamsala, la radio a beaucoup souffert de ces brouillages, les auditeurs ayant du mal à trouver les nouvelles fréquences. Selon le journaliste, par prudence, la majorité des auditeurs n’écoutent ces radios que munis d’un casque. Aujourd’hui, la rédaction regroupe huit journalistes. Elle diffuse un journal d’information de quarante-cinq minutes, dont quinze en chinois. Diffusée en ondes courtes, la station couvre le nord de l’Inde, le Népal et le Tibet central.
D’autres radios émettent en tibétain depuis l’étranger. Première radio à diffuser des programmes en tibétain, dès 1961, All India Radio, une station contrôlée par le gouvernement indien, se limite actuellement à des communiqués des autorités de Delhi et des informations sur les activités du dalaï-lama. Selon les journalistes tibétains, cette radio serait très peu écoutée au Tibet.
Les sections en tibétain de Voice of America (VOA), depuis mars 1991, et de Radio Free Asia, depuis 1996, se sont imposées comme des sources d’information pour les Tibétains de l’intérieur. Elles comptent en leur sein des journalistes réputés, notamment Palden Gyal, Tinley Nyandak et Dorjee Tseten. VOA, qui diffuse quotidiennement un programme d’informations de trois heures, dispose de correspondants en Inde, au Népal, à Taïwan et au Sikkim. La rédaction reçoit régulièrement des informations provenant des nouveaux réfugiés tibétains arrivés en Inde, au Népal ou à Hong Kong.
Depuis sa création, VOA a été brouillée par les Chinois. A diverses reprises, le gouvernement américain, propriétaire de la radio, s’est plaint auprès des autorités de Pékin. Les officiels chinois ont toujours démenti être à l’origine de ces brouillages. En 1997, une délégation de techniciens de VOA s’est même rendue en Chine, pour tenter de trouver une solution. Ces discussions n’ont rien donné et le brouillage a recommencé de plus belle. Selon l’un des responsables de la radio, les autorités chinoises diffusent les programmes de Radio Beijing, notamment en espagnol, sur la même fréquence que VOA. Les techniciens ont également constaté « des bruits de moteurs d’avion ou de machines à laver sur la même fréquence » que la station américaine.
Du fait de ces brouillages, mais également en raison des caractéristiques géographiques du Tibet, les radios émettant en ondes courtes depuis l’étranger doivent changer régulièrement de fréquence. Selon l’un des responsables de VOA, ce changement est indispensable pour être sûr que les auditeurs « pourront, au moins, écouter dans de bonnes conditions un programme par semaine ».
Les autorités chinoises sont très sensibles à l’impact « des radios étrangères » en tibétain. Ainsi, en 1996, une radio privée cambodgienne a été brouillée. La langue cambodgienne a des sonorités semblables au tibétain?
La presse en exil
A partir de 1959, à la suite des autorités religieuses et politiques tibétaines, de nombreux intellectuels et journalistes tibétains se sont exilés, majoritairement en Inde et au Népal. Réfugiés à Dharamsala, une dizaine de journalistes tibétains font paraître des journaux en tibétain destinés à la communauté en exil, cent trente mille personnes selon les chiffres de l’administration indienne. Ils avouent ne pas être en mesure d’envoyer des quantités importantes d’exemplaires de leurs publications au Tibet. Selon Gedun Rabsal, directeur du Tibet Times, il est trop risqué pour un Tibétain de passer la frontière avec des exemplaires de son trimensuel. Certains touristes occidentaux, sensibles à la cause tibétaine, acceptent néanmoins de transporter et distribuer ces publications interdites au Tibet.
Pema Thinley, aujourd’hui directeur de Tibetan Review, le premier magazine en anglais consacré au Tibet, a également choisi l’exil. Aujourd’hui diffusé à 3 000 exemplaires, ce mensuel, créé en 1968, est envoyé à une dizaine de fonctionnaires et universitaires au Tibet. Pema Thinley n’est pas sûr que ceux-ci arrivent à leur destinataire, le courrier en provenance d’Inde étant, selon lui, systématiquement ouvert.
Parmi les dizaines de publication réalisées par des Tibétains en exil, rares sont les journaux d’information dirigés par des journalistes. La majorité sont des lettres d’information de groupes politiques ou d’associations, ou encore des magazines culturels et littéraires, telle Norde, une revue mensuelle dont le rédacteur en chef, Hortsang Jigme, est écrivain et député au Parlement tibétain en exil.
Un des premiers journaux indépendants nés en exil est Mangtso (Démocratie) publié par l’Amnye Machen Institute (un centre de recherche sur la culture et la société tibétaine, basé à Dharamsala) de 1993 à 1996. Tiré à 5 000 exemplaires, dont 3 00 vendus par abonnement, Mangtso ne parvenait à envoyer qu’une centaine de copies au Tibet, grâce notamment à des touristes étrangers. Bimensuel, Mangtso traitait l’actualité tibétaine et internationale « de manière indépendante », affirment ses animateurs, ce qui lui vaudra certaines critiques des milieux religieux. Pour la première fois, une publication tibétaine proposait un courrier des lecteurs, un horoscope et des caricatures. Mais, selon l’un des anciens directeurs, la société tibétaine n’était pas prête à accepter un « journalisme moderne et critique ». Ainsi, les autorités religieuses n’ont pas hésité à exercer de fortes pressions sur le journal quand celui-ci a publié, en première page, une photographie du panchen-lama et un article sur la secte japonaise Aum à l’origine d’actes terroristes, une manière de rappeler que le dalaï-lama avait rencontré à plusieurs reprises le gourou de cette secte. Quelques mois plus tard, l’équipe décide de jeter l’éponge, préférant consacrer son temps à la « recherche sur la culture tibétaine, menacée de disparaître »?
Pour combler le vide laissé par la disparition de Mangtso, un groupe de journalistes et d’intellectuels décide de créer, en 1996, Tibet Times (Bod-kyi-dus-bab), un trimensuel en tibétain, tiré à 3 500 exemplaires et publié à Dharamsala. Essentiellement diffusé dans la communauté tibétaine en Inde, il s’est rapidement imposé comme l’une des sources d’information les plus crédibles sur le Tibet. La diffusion vers le Tibet est encore faible : une centaine d’exemplaires, selon son directeur, destinés essentiellement aux institutions universitaires. Pour autant, Gedun Rabsal est convaincu que le journal est photocopié et distribué sous le manteau à Lhassa, comme le lui ont confirmé des réfugiés arrivés depuis peu en Inde.
D’autres publications, telles que le bimensuel Cholka Sum (Les trois provinces) ou le bimensuel Nyenchen Thanglha (Montagne sacrée) publié à Katmandou (Népal), sont également vendues au sein de la communauté en exil. Pour sa part, l’administration tibétaine en exil publie l’hebdomadaire Tibetan Bulletin (en anglais, français, hindi et chinois), principalement consacré aux activités de l’administration basée à Dharamsala et des principaux lamas.
La grande majorité de ces journaux disposent, depuis quelques mois, d’une édition en ligne. Selon le directeur du Tibet Times, le développement d’Internet permet d’améliorer la diffusion vers la communauté tibétaine en exil. Il y voit également une possible ouverture vers les Tibétains de l’intérieur. En effet, des cyber-cafés sont apparus, au cours des dernières années, à Lhassa. Encore rigoureusement contrôlés par les autorités, ils n’en constituent pas moins une opportunité prometteuse pour les journaux en exil, selon Gedun Rabsal.
Recommandations
Reporters sans frontières demande aux autorités chinoises :
a) de ratifier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont l’article 19 garantit la liberté de presse,
b) de permettre la parution de publications indépendantes,
c) de cesser les brouillages des fréquences des radios telles que Voice of Tibet et Voice of America,
d) d’assurer un accès équitable des différents groupes politiques et religieux tibétains aux radios et télévisions publiques,
e) de permettre aux journalistes étrangers de travailler librement au Tibet.
Reporters sans frontières demande aux Etats membres de l’Union européenne :
a) de présenter une résolution devant la prochaine Commission des droits de l’homme des Nations unies, condamnant la Chine pour les atteintes très graves à la liberté de la presse au Tibet,
b) de soutenir les médias écrits et électroniques indépendants tibétains.