"Au lieu de protéger les journalistes contre les attaques, menaces et arrestations arbitraires, les autorités prennent des initiatives durcissant la répression des médias," déclare RSF.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 21 octobre 2022.
Alors que la République centrafricaine (RCA) est confrontée à une augmentation des arrestations, agressions et menaces contre les journalistes, un projet de loi prévoit une pénalisation des délits de presse et un contrôle gouvernemental du régulateur des médias. Reporters sans frontières (RSF) dénonce une inquiétante régression de la liberté de la presse et demande aux autorités d’abandonner ce projet de loi et de tout mettre en œuvre pour assurer la sécurité des journalistes.
C’est un grave recul pour la liberté de la presse qui menace la République centrafricaine (RCA). Lundi 17 octobre, lors d’une réunion de son cabinet, à laquelle des médias étaient invités, le ministre de la Justice, Arnaud Djoubaye Abazene, a annoncé un projet de révision de la loi du 21 décembre 2020 relative à la liberté de la communication, qui avait dépénalisé les délits de presse. Si celui-ci était adopté, les journalistes centrafricains pourraient être envoyés en prison pour des délits commis dans le cadre de leur travail et le Haut Conseil de la communication (HCC), l’organe de régulation des médias, serait placé sous le contrôle du ministère de la Communication.
“Au lieu de protéger les journalistes contre les attaques, menaces et arrestations arbitraires, les autorités prennent des initiatives durcissant la répression des médias, déclare Sadibou Marong, responsable du bureau Afrique subsaharienne de RSF. Si cette loi passe, elle donnera toute liberté d’action aux autorités pour renforcer la censure et contrôler l’information. Dans un pays où l’insécurité continue de sévir dans plusieurs zones, il faut promouvoir les médias pour qu’ils jouent pleinement leur rôle, et non restaurer les peines de prison pour les délits de presse. Nous demandons aux autorités d’abandonner ce projet de loi et de tout mettre en œuvre pour protéger les journalistes.”
Selon les informations obtenues par RSF, le projet de révision de la loi sur la presse est examiné par le secrétariat général du gouvernement et doit être transmis au conseil des Ministres avant d’être soumis au parlement.
Ce projet de réforme s’inscrit dans un contexte d’augmentation des arrestations, des agressions et des menaces contre les journalistes ces deux derniers mois.
Des attaques récurrentes contre les journalistes
Le directeur de publication du journal Le Charpentier, Christian Azoudaoua, a passé une dizaine de jours en détention après avoir été arbitrairement arrêté, le 6 septembre, sur ordre du vice-président de l’Assemblée nationale. Le nom de ce dernier avait été cité dans un article qu’il avait écrit sur une affaire de détournement de fonds à l’Assemblée nationale. Il a été remis en liberté fin septembre.
Après la publication début septembre d’un article sur un officier supérieur de l’armée et d’articles critiques sur le projet des autorités de révision de la constitution récemment rejeté par la Cour constitutionnelle, le journaliste Landry Ulrich Nguéma Ngokpélé du Quotidien de Bangui a été obligé de quitter son domicile dans la capitale, pour se réfugier à une quarantaine de kilomètres, par peur de représailles. “Les autorités sont devenues très virulentes envers les médias critiques,” a-t-il déclaré à RSF.
Auteur d’articles souvent critiques du pouvoir, le journaliste indépendant Fiacre Salabé a lui aussi été victime de menaces et d’agressions. Cela notamment après avoir dénoncé le projet de modification constitutionnelle et la volonté des autorités de mettre le HCC sous le contrôle du ministère de la Communication. “Depuis, je reçois des appels téléphoniques anonymes avec des menaces de mort, et je suis directement attaqué sur les réseaux sociaux,” a-t-il souligné. Il a d’ailleurs été agressé le 4 septembre par des manifestants lorsqu’il couvrait le rassemblement d’une association proche du pouvoir, et le 8 octobre par deux jeunes qui l’ont reconnu dans la rue.
Le directeur du site d’information Ndjoni Sango, Éric Ngaba, avait commencé, en juin, à écrire et à publier une série d’articles sur un opposant politique. Depuis septembre, il reçoit régulièrement des menaces prenant la forme de messages sms, de vidéos sur Facebook, ou encore de caricatures le représentant sur les réseaux sociaux.
Tentatives d’intimidation d’un média indépendant
Les tentatives d’intimidation de certains médias indépendants prennent d’autres formes que celle de l’arrestation ou de la violence, comme a pu le constater la radio Ndeke Luka, l’une des principales stations du pays qui jouit d’une indépendance éditoriale dans le traitement de l’actualité nationale. Après avoir diffusé plusieurs enquêtes mettant à nu des failles dans la gouvernance du pays, le ministre de la Communication a informé la radio que le cadre de partenariat avec le gouvernement serait revu, ainsi que le montant des taxes qu’elle doit verser.
Le pays occupe la 101e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2022.