L'information compte parmi les victimes du putsch et du chaos dans lequel est plongé le pays.
(RSF/IFEX) – 15 juin 2012 – Reporters sans frontières dénonce la lente descente aux enfers de la liberté de l’information au Mali. En l’espace d’une semaine, un journaliste a été arrêté pour la seconde fois en un mois, une interview d’un chef touareg n’a pas pu être diffusée, les locaux d’une chaîne de télévision ont subi une descente de militaires, et enfin une journaliste française a été empêchée de se rendre dans le nord du pays.
« Nous appelons à une mobilisation générale, de la communauté internationale comme des journalistes maliens, pour obtenir de la Sécurité d’Etat la libération immédiate et inconditionnelle de Habi Baby », a déclaré Reporters sans frontières.
« La semaine écoulée a confirmé une tendance observée depuis le coup d’Etat du 22 mars : l’information compte parmi les victimes du putsch et du chaos dans lequel est plongé le pays. Pendant que la crise politique perdure, une situation singulière s’enracine : celle de faire entrave aux enquêtes des journalistes, de définir des lignes rouges et des sujets tabous, de fermer des zones entières du territoire aux reporters. L’armée malienne est devenue une ennemie de la liberté de l’information », a conclu l’organisation, qui exhorte la CEDEAO et l’Union africaine à prendre la mesure de la dégradation des conditions de travail des journalistes dans ce pays hier modèle en la matière.
Le journaliste Habi Baby arrêté pour la seconde fois en un mois
Un mois jour pour jour après son arrestation par la Sécurité d’Etat, le directeur de publication du journal Caravane, Habi Baby, a une nouvelle fois été appréhendé par des militaires, venus le chercher directement à son domicile de Bamako, le 12 juin 2012, vers 20 h 30. Le journaliste a été conduit dans un lieu tenu secret.
Dans un article publié la veille dans le mensuel Aujourd’hui-la résistance, le journaliste racontait en détails les circonstances de sa précédente arrestation par la Sécurité d’Etat, les services secrets maliens. Selon lui, les agents de sécurité le suspectaient d’avoir été « promu ministre de l’Azawad », territoire du nord Mali actuellement occupé par différents groupes rebelles. Des allégations que le journaliste qualifie de « fausses », et échafaudées en raison de ses origines arabes.
Après avoir critiqué fermement l’action des services de renseignement, son article s’achevait sur la dénonciation des conditions de détention des prisonniers : « Il faut qu’on en parle : il se passe des choses horribles dans ces locaux secrets ; ces cellules isolées ; ces couloirs sombres et effrayants dans lesquels on entend que des cris abominables, des appels au secours ».
Une émission de la chaîne privée Africable TV censurée
Le 12 juin, alors qu’Africable TV prévoyait de diffuser une interview exclusive, une trentaine d’hommes en uniformes ont fait irruption au siège la chaîne de télévision privée, à Bamako, vers 13 heures.
Les éléments armés ont empêché les journalistes présents de diffuser l’entretien réalisé par le journaliste Abdoulaye Barry avec Mohamed Lemine Ould Ahmed, le secrétaire général adjoint du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA), organisation qui aspire à l’autonomie du Nord Mali. Cet entretien, réalisé en Mauritanie en marge d’une rencontre politique du MNLA, devait être diffusé à 20 h 30, au cours de l’émission « Champ contre Champ ».
« Il s’agissait d’une menace très claire à notre égard : les militaires nous ont reproché de les prendre régulièrement à partie dans nos émissions, alors qu’ils ne sont qu’un aspect de la vie politique et institutionnelle malienne », a confié à Reporters sans frontières, le directeur de l’information de la chaîne, Sékou Tangara.
« Le débat du dimanche » une émission qui invite des personnalités politiques de différents courants à débattre sur l’actualité, a également été la cible des incriminations des hommes armés. Selon différentes sources, cette agression contre le média panafricain proviendrait des milieux putschistes qui, malgré leur abandon du pouvoir mi-avril, restent très influents à Bamako.
La direction d’Africable TV a décidé de ne pas diffuser l’entretien avec le responsable du MNLA afin « d’éviter tout risque inutile en exposant les confrères ». « Nous devons céder à leurs exigences le temps que la crise dure », a ajouté Sékou Tangara.
Reporters sans frontières s’inquiète du sort de l’auteur de l’interview, Abdoulaye Barry, contraint de vivre dans la clandestinité, selon l’Agence France-Presse, en raison des recherches menées par les militaires.
Depuis le renversement du président de la République Amadou Toumani Touré, fin mars dernier, c’est la troisième fois que des militaires effectuent une descente dans les locaux de la chaîne pour imposer leur exigence au détriment de la liberté de la presse.
Liseron Boudoul, journaliste de TF1, interceptée à 480 km de Bamako
Cette semaine noire pour la liberté de l’information au Mali avait commencé par l’interpellation de la journaliste de la chaîne de télévision privée TF1, Liseron Boudoul. Au cours du week-end du 10 juin 2012, celle-ci a été empêchée de se rendre dans le ord du Mali « pour des raisons de sécurité », avant d’être rapatriée vers Bamako pour rejoindre la France.
« Nos services ont stoppé Mme Liseron Boudoul à San (480 km au nord de Bamako). Elle a déclaré qu’elle allait dans un camp de réfugiés. Mais pour nous, elle allait dans le Nord aux mains des groupes armés. Nos agents ont refoulé la journaliste à Bamako contre son gré. Elle a été entendue et elle est rentrée en France dimanche soir », a indiqué à l’Agence France-Presse un responsable de la police malienne.
Selon la direction de TF1, la journaliste se rendait au Mali pour réaliser plusieurs reportages sur les camps de réfugiés et l’aide humanitaire.