RSF avait fermement condamné la dimension abusive de l’enquête pour fraude qui avait alors été ouverte par la police à l’encontre de la journaliste Rana Ayyub.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 11 février 2022.
Victime de vagues successives de harcèlement judiciaire, numérique et physique, la journaliste vient d’apprendre que ses avoirs bancaires étaient saisis par une agence gouvernementale. Reporters sans frontières (RSF) dénonce la dimension parfaitement arbitraire de cette décision, et demande la fin de cette procédure abusive.
Elle est, de fait, assiégée à son domicile. La journaliste Rana Ayyub, avec laquelle RSF s’est entretenue ce vendredi 11 février, fait actuellement l’objet d’un lynchage médiatique en règle sur les médias progouvernementaux – lequel lynchage se traduit par une nouvelle campagne de harcèlement en ligne. Pire, les coordonnées de l’ éditorialiste au Washington Post, dont l’adresse de son appartement à Bombay, circulent sur les réseaux sociaux, de sorte qu’elle craint pour son intégrité physique si elle sort de chez elle.
Cette nouvelle campagne de harcèlement a été provoquée par l’Enforcement Directorate (ED), une agence gouvernementale chargée de réprimer les crimes économiques, qui a rendu publique, jeudi 10 février, sa décision de saisir les avoirs bancaires de Rana Ayyub.
L’ED affirme agir à la suite d’une plainte déposée en août 2021 par un certain Vikas Sankrityayan, cofondateur de la Cellule hindoue des nouvelles technologies, ou “Hindu IT Cell”, un groupuscule associé à l’extrême-droite nationaliste hindoue qui soutient, notamment, le Bharatiya Janata Party (BJP) du Premier ministre Narendra Modi.
Procédure abusive
RSF avait fermement condamné la dimension abusive de l’enquête pour fraude qui avait alors été ouverte par la police à l’encontre de la journaliste. Après que Rana Ayyub s’est rendue à toutes les convocations et a fourni tous les documents demandés, le bureau de Bombay de l’ED a finalement clos le dossier le 7 février dernier.
Peine perdue : la direction de l’agence a, entre-temps, saisi un autre bureau, celui de Delhi-2, pour poursuivre l’enquête et ordonné de nouvelles convocations. Détail édifiant, alors que l’origine de l’enquête portait sur des soupçons de détournements de fonds de secours aux victimes de la Covid-19, c’est essentiellement sur son travail journalistique que Rana Ayyub a été interrogée par l’ED, comme elle l’explique dans un communiqué publié vendredi.
“Ne soyons pas dupes : il est clair que le gouvernement indien, par l’intermédiaire de l’Enforcement Directorate, manipule la justice pour parvenir au but qu’il poursuit depuis plusieurs années : faire taire une bonne fois pour toutes une journaliste qui gêne, déclare le responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF, Daniel Bastard.
« RSF appelle le bureau du Premier ministre Narendra Modi à mettre un terme à cette grossière campagne d’intimidation contre Rana Ayyub, qui n’a que trop duré. Il en va de la crédibilité de l’État de droit en Inde qui, à travers cette affaire, est tristement piétiné.”
Modus operandi toujours plus violent
Rana Ayyub est régulièrement la cible de campagnes de harcèlement qui suivent un modus operandi toujours plus violent : disséminations de fausses informations et dépôt de plaintes par des militants de l’extrême-droite nationaliste hindoue ; ouverture d’informations judiciaires et d’enquêtes visant à intimider la journaliste ; et, dans la foulée, orchestration de vastes campagnes de haine et d’appels au meurtre en ligne, avec publication des données personnelles de la journaliste.
Pour y faire face, RSF multiplie les appels aux autorités indiennes, tant nationales que provinciales, pour garantir sa sécurité et a saisi en urgence, dès novembre 2018, la Rapporteure spéciale des Nations unies contre les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires.
Dans un télescopage de l’actualité, le jour-même de la décision de saisir les avoirs de Rana Ayyub, ce jeudi 10 février, un individu ayant ouvertement menacé la reporter de meurtre si elle continue son travail de journaliste a été arrêté par la police de Bombay. Or, cette dernière dépend du gouvernement de l’État du Maharashtra, gouverné par une coalition opposée au gouvernement central – signe de la dimension très politique du harcèlement dont la journaliste est l’objet.
L’Inde se situe actuellement à la 142e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2021 par RSF.