(RSF/IFEX) – Ci-dessous, une lettre ouverte de RSF au président pakistanais Pervez Musharraf, datée du 15 juillet 2004 : Monsieur Pervez Musharraf Président de la République Islamabad Pakistan Paris, le 15 juillet 2004 Monsieur le Président, Cela fait deux ans jour pour jour qu’Ahmad Omar Saeed Sheikh, plus connu sous le nom d’Omar Sheikh, a […]
(RSF/IFEX) – Ci-dessous, une lettre ouverte de RSF au président pakistanais Pervez Musharraf, datée du 15 juillet 2004 :
Monsieur Pervez Musharraf
Président de la République
Islamabad
Pakistan
Paris, le 15 juillet 2004
Monsieur le Président,
Cela fait deux ans jour pour jour qu’Ahmad Omar Saeed Sheikh, plus connu sous le nom d’Omar Sheikh, a été condamné à mort par une cour anti-terroriste d’Hyderabad pour l’enlèvement et l’assassinat de Daniel Pearl. Le 23 janvier 2002, le reporter du quotidien américain Wall Street Journal avait disparu alors qu’il enquêtait sur le pirate de l’air britannique Richard Reid. Le 17 mai, la police de Karachi découvrait, dans le jardin d’une maison de la banlieue de la capitale économique du Pakistan, le corps décapité du journaliste. Le 15 juillet, Omar Sheikh était condamné à la pendaison et trois de ses complices à la prison à vie.
Depuis cette condamnation, de nouveaux éléments sont intervenus et il nous semble important que votre gouvernement continue à tout mettre en oeuvre pour que les auteurs et les commanditaires soient identifiés, arrêtés et jugés.
Le 18 janvier 2004, Omar Sheikh a été transféré en hélicoptère de la prison d’Hyderabad (Sud) au centre de détention Adiala situé près de Rawalpindi (proche d’Islamabad). Selon le porte-parole du ministère de l’Intérieur, Abdur Rauf Chaudhry, il s’agit d’une mesure de sécurité. « Les criminels dangereux créent des groupes s’ils sont autorisés à rester au même endroit pendant longtemps [. . .]. C’est pourquoi ils sont transférés vers différentes prisons », a-t-il affirmé. Mais d’autres informations, notamment diffusées par le quotidien New York Times, font état d’une relation avec la tentative d’assassinat dirigée contre vous le 25 décembre 2003. Il s’agissait d’interroger Omar Sheikh sur l’implication de son groupe, Jaish-e-Mohammad, dans cet attentat suicide. En effet, l’un des kamikazes serait un Cachemiri, ancien militant du Jaish-e-Mohammad. Le journal Dawn a, quant à lui, affirmé que les services secrets militaires – l’ISI, basé à Rawalpindi – souhaitaient interroger Omar Sheikh sur ses liens avec Al-Qaida.
Le 17 février 2004, les deux juges de la Haute cour du Sind en charge du procès en appel d’Omar Sheikh et de ses complices ont demandé aux autorités les raisons de ce transfert. L’avocat du militant djihadiste avait demandé que son client soit présenté devant la cour. « J’ai demandé l’examen médical d’Omar car il a pu être torturé à Rawalpindi. Cependant, la cour veut examiner l’ordre de transfert avant de décider à propos de l’examen médical », a t-il déclaré à la presse. L’avocat a également fait remarquer que ce transfert viole les articles 29, 41 et 161 de la Loi pénitentiaire qui interdisent notamment le transfert d’un prisonnier en attente d’un jugement en appel hors de la juridiction de la Haute cour. De leurs côtés, les autorités pénitentiaires ont présenté un ordre du gouvernement fédéral pour le transfert d’Omar Sheikh, sans plus d’explications. Le 26 février, le gouvernement fédéral a répondu à la cour que les raisons de ce transfert ne pouvaient être révélées car elles touchent à un sujet sensible. Depuis, les autorités se bornent à justifier cette décision par des impératifs de sécurité.
Reporters sans frontières souhaite être informée sur les raisons exactes du transfert de Omar Sheikh, d’autant plus que son procès en appel engagé dans la province du Sind (Sud), est bloqué par cette décision.
Concernant ce procès, Reporters sans frontières est également préoccupée des lenteurs de la procédure. Le 21 janvier dernier, la Haute Cour du Sind avait de nouveau ajourné l’audience de cet appel déposé par les avocats des meurtriers en décembre 2002. Encore récemment, l’avocat des accusés Fahad Naseem, Salman Saqib et Sheikh Mohammed Adeel, et le procureur qui représente les intérêts de l’Etat, ne se sont pas présentés devant la Cour. Selon plusieurs journalistes qui suivent l’affaire à Karachi, le représentant du gouvernement n’a témoigné d’aucun empressement pour faire avancer ce dossier. Encore une fois, notre organisation souhaite être informée des raisons qui pourraient expliquer cette mauvaise volonté du gouvernement dans le déroulement de cette procédure d’appel.
Dans l’éventualité d’un procès en seconde instance, Reporters sans frontières vous prie de bien vouloir intervenir auprès des autorités compétentes pour que les salles d’audience soient ouvertes aux journalistes. Lors du procès en première instance, la presse avait été exclue des débats.
Au-delà de ce procès, notre organisation s’interroge sur la possible inculpation d’autres personnes arrêtées au cours des derniers mois. Le 16 avril 2003, Fazal Karim, l’un des principaux suspects dans l’enlèvement et l’assassinat de Daniel Pearl, a été placé en détention préventive pour possession de drogue dans le district de Thatta (province du Sind). Selon plusieurs sources, Fazal Karim a été arrêté, en juillet 2002, par les forces de sécurité pakistanaises et la CIA à Karachi, en même temps que d’autres suspects dans le cadre de l’enquête sur la mort du reporter du Wall Street Journal. D’après son avocat, Fazal Karim a ensuite été détenu secrètement et de manière illégale par la police pendant près de huit mois.
Le 29 mai 2003, c’était au tour de Qari Abdul Hai, leader présumé du groupe islamiste Lashkar-e-Jhangvi, d’être arrêté à Muzaffargarh (près de Multan, centre-est du Pakistan). Soupçonné d’avoir participé à l’enlèvement, il n’a cependant pas été inculpé dans cette affaire. Il comparaît aujourd’hui devant un tribunal pour le meurtre de six chiites en 1994, crime pour lequel il encourt la peine de mort.
En octobre 2003, des responsables de l’administration américaine ont affirmé au Wall Street Journal avoir des présomptions sur la responsabilité directe de Khalid Cheikh Mohammed, numéro 3 de l’organisation terroriste Al-Qaida, arrêté au Pakistan en mars 2003. Fazal Karim aurait affirmé aux enquêteurs pakistanais avoir vu le dirigeant d’Al-Qaida trancher la gorge du journaliste. Cette information, citée en janvier par le magazine américain Time, n’a été confirmée ni par les Pakistanais ni par les Américains. Reporters sans frontières compte s’adresser dans les jours qui viennent au gouvernement des Etats-Unis, qui détient Khalid Cheikh Mohammed dans un lieu tenu secret, pour obtenir des informations supplémentaires sur son implication dans l’assassinat de Daniel Pearl.
Enfin, le 16 avril 2004, la police pakistanaise a annoncé avoir arrêté deux autres suspects dans cette affaire. Malik Tasaddaq et Nadir Khan, alias Sajjad, militants du Lashkar-e-Jhangvi, ont été interpellés séparément dans la province du Pendjab. Selon un responsable des services de renseignements cité par l’Agence France-Presse, Malik Tasaddaq, arrêté en mars, aurait pris les photos de Daniel Pearl lors de sa détention.
Ainsi, depuis la condamnation d’Omar Sheikh et de ses trois complices, au moins cinq autres suspects ont été appréhendés au Pakistan. Ces succès des forces de sécurité doivent se poursuivre devant les tribunaux. Lors du procès d’Omar Sheikh, les enquêteurs avaient affirmé que sept suspects étaient en fuite. Cela signifie-t-il qu’il ne reste plus que deux suspects toujours en cavale ?
Par ailleurs, en mai dernier, vous confirmiez à la chaîne de télévision pakistanaise Geo TV que l’un des suspects toujours en fuite dans l’assassinat de Daniel Pearl serait également le cerveau des attentats perpétrés en décembre 2003 contre vous. Selon des sources anonymes pakistanaises, il s’agirait d’Amjad Hussain Farooqi, alias Haider, dirigeant des groupes djihadistes Lashkar-e-Jangvi et Jaish-e-Mohamed, activement recherché par la police depuis janvier 2002. En juin dernier, le site d’information Asia Times Online citait des sources pakistanaises selon lesquelles Farooqi avait déjà été arrêté par les forces de sécurité à Karachi et qu’il serait « présenté » au moment voulu.
Reporters sans frontières estime qu’il est nécessaire que l’opinion publique sache si ces hommes, suspectés d’avoir commandité ou participé au meurtre de Daniel Pearl, vont être inculpés et jugés pour ce crime. Il nous semble important, deux ans après le procès en première instance, que le gouvernement pakistanais continue à oeuvrer pour que justice soit faite dans l’assassinat du journaliste.
Par ailleurs, le sort de trois autres suspects, qui ont conduit au cadavre de Daniel Pearl et auraient fait, en 2003, de nouvelles révélations sur le meurtre, n’a jamais été éclairci par les autorités.
De même, Reporters sans frontières vous prie d’intervenir personnellement pour que les suspects toujours en fuite soient activement recherchés par la police et puissent être appréhendés dans les meilleurs délais. Certains suspects, de nationalité pakistanaise, seraient liés au groupe extrémiste Harakat ul-Mujahdeen Al-Alami.
Très soucieuse de la douleur que pourrait provoquer pour les proches de Daniel Pearl un nouveau procès, Reporters sans frontières vous rappelle cependant l’exigence de justice dans cette affaire. Il est de votre devoir, en collaboration avec les autorités américaines, d’identifier et de juger tous les acteurs de ce drame.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma très haute considération.
Robert Ménard
Secrétaire général