"Les deux ans d'Elon Musk à la tête de X ont été deux années de cauchemar pour l’information journalistique sur la plateforme. La liberté de la presse et le droit des citoyens à une information fiable y ont été laminés" - RSF
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 25 octobre 2024.
Deux ans après le rachat de Twitter par Elon Musk, X est devenu emblématique des dysfonctionnements des grandes plateformes, et de leurs effets dévastateurs sur la fiabilité de l’information diffusée en ligne et pour la démocratie. Reporters sans frontières (RSF) émet huit propositions pour mettre un terme au péril que fait courir l’entreprise au journalisme.
Le 28 octobre 2024 marque le deuxième anniversaire de la prise de contrôle de Twitter par Elon Musk. Depuis, la plateforme, rebaptisée « X », a été le théâtre d’une série de décisions qui ont bouleversé son écosystème et malmené les journalistes, les médias et l’accès à l’information. La suppression de la vérification des comptes pour les remplacer par un droit payant à obtenir plus de visibilité, a permis la constitution d’un corps d’élite de champions de la désinformation : 34 % des contenus mensongers ou trompeurs de la plateforme proviendraient de 10 comptes seulement. La réintégration de comptes précédemment suspendus pour désinformation, et le licenciement des équipes chargées de lutter contre la désinformation ont également contribué à faire de X un terrain fertile pour la propagande et la désinformation. Le résultat de cette politique ? Une plateforme invivable pour l’information, et un chatbot, Grok, nourri par ces contenus, et prompt à publier des fake news à la moindre question politique qu’on lui adresse.
Face à cette situation, RSF propose huit mesures concrètes pour rétablir la défense du droit à l’information sur la plateforme.
« Les deux ans d’Elon Musk à la tête de X ont été deux années de cauchemar pour l’information journalistique sur la plateforme. La liberté de la presse et le droit des citoyens à une information fiable y ont été laminés. En cause : le seul bon vouloir d’un propriétaire s’arrogeant un pouvoir sans limites ni responsabilité sur un outil central de l’accès à l’information fiable et de structuration de l’espace informationnel global. Force est de constater que les régulations récentes comme le DSA sont insuffisantes. Il est grand temps d’imposer à ces entreprises une obligation de neutralité idéologique et politique et de les soumettre à un véritable régime de responsabilité juridique. La balle reste dans le camp des États démocratiques et le temps presse !”
Anne Bocandé, Directrice éditoriale de RSF
Les journalistes, qui avaient fait de Twitter le réseau social privilégié pour suivre l’actualité et la commenter, ne sont plus les bienvenus sur le réseau. Outre les insultes que leur adresse parfois l’entreprise ou Elon Musk lui-même, ils sont également la cible de politiques taillées sur mesure pour limiter la circulation de contenus qui déplaisent au patron. Dernière action en date, la suppression du compte du journaliste américain Ken Klippenstein, dont le compte a été suspendu puis remis en ligne dans une séquence confuse quant à la clarté des règles appliquées sur la plateforme.
Face à ces dérives, RSF appelle les gouvernements à prendre des mesures fermes. Il ne faut pas compter sur les décisions éclairées du propriétaire d’une plateforme pour opérer les choix qui s’imposent. C’est aux États démocratiques de reprendre le pouvoir qu’ils ont trop longtemps laissé au secteur privé. Voici huit propositions à leur intention pour contraindre les plateformes à respecter des règles garantissant la fiabilité de l’information et la libre circulation de l’information journalistique en ligne.
Pluralisme de l’information :
- Instauration d’une obligation de neutralité des plateformes, sur le plan politique, idéologique ou religieux. La circulation de l’information sur les plateformes façonne le débat public : ces espaces numériques ne peuvent pas devenir des instruments d’influence au service des convictions personnelles de leurs dirigeants.
- « Must-be-found obligation » pour l’information journalistique : en vertu du rôle qu’elle joue dans la structuration de l’espace public une plateforme doit être contrainte d’amplifier les sources journalistiques fiables identifiées sur le fondement de normes reconnues, comme la Journalism Trust Initiative (JTI), initiée par RSF. Cette obligation doit s’accompagner de procédures claires pour garantir que les médias et les journalistes auront toute liberté de publier du contenu d’intérêt général sans craindre de représailles.
- Valoriser les contenus journalistiques dans l’algorithme de recommandation : adapter les algorithmes pour promouvoir les sources d’information journalistiques, favorisant ainsi le pluralisme des points de vue, en utilisant par exemple la norme JTI
- Obligation de pluralisme algorithmique : contraindre les plateformes à refléter une diversité de points de vue dans leur sélection de contenus d’information proposés à ses utilisateurs. Cela doit également s’appliquer aux bases de données des grands modèles de langage qu’elles conçoivent.
Traçabilité de l’information :
- Assurer l’origine de l’information : réformer le système de vérification des comptes en se basant sur des critères objectifs d’identité, sans associer à un compte vérifié un gain de visibilité automatique.
- Séparer les rôles d’influenceurs et de journalistes : établir une distinction claire entre les utilisateurs influents et les journalistes pour permettre aux citoyens d’identifier facilement l’origine des informations. Les utilisateurs doivent savoir très clairement qui publie et s’exprime.
Indépendance des procédures :
- Mécanismes de recours indépendants : mettre en place des procédures de recours indépendantes et transparentes pour contester les décisions de modération affectant les journalistes et les médias, par exemple lorsqu’un contenu est supprimé ou lorsqu’un compte est bloqué.
- Évaluation régulière de l’impact sur la liberté de la presse : instaurer des audits indépendants réguliers pour évaluer les conséquences des politiques et pratiques des plateformes sur la liberté de la presse et l’accès à l’information. À l’instar de ce que le règlement européen sur les services numériques (Digital Services Act, DSA) exige pour les “risques systémiques”.
Nous appelons les gouvernements et les régulateurs à prendre des mesures concrètes pour que ces réseaux sociaux, devenus incontournables, cessent de constituer une menace pour la liberté de la presse et l’accès à une information de qualité. Ces propositions ne se limitent pas à X. Elles visent l’ensemble des grandes plateformes numériques qui façonnent aujourd’hui le paysage informationnel.