(RSF/IFEX) – Ci-dessous, un communiqué de presse de RSF, daté du 10 octobre 2005 : Lettre ouverte aux candidats à l’élection présidentielle des 20 novembre 2005 et 3 janvier 2006 Le futur chef de l’Etat devra rompre avec la culture de l’impunité A l’attention de : Charles H.J Marie Baker, Marc Louis Bazin, Casimir Bélizaire, […]
(RSF/IFEX) – Ci-dessous, un communiqué de presse de RSF, daté du 10 octobre 2005 :
Lettre ouverte aux candidats à l’élection présidentielle des 20 novembre 2005 et 3 janvier 2006
Le futur chef de l’Etat devra rompre avec la culture de l’impunité
A l’attention de :
Charles H.J Marie Baker, Marc Louis Bazin, Casimir Bélizaire, Joël Borgella, Philippe Jean-Hénold Buteau, Claude Bonivert, Paul Denis, Hubert Deronceray, Marc Antoine Destin, Joseph Rigaud Duplan, Edouard Francisque, Reynold Georges, Serge Gilles, Gérard Gourgue, Jean Chavannes Jeune, René Julien, Emmanuel Justima, Leslie Manigat, Luc Mesadieu, Samir Georges Mourra, Evans Nicolas, Evans Paul, Frantz Perpignan, Guy Philippe, René Préval, Himmler Rébu, Franck François Romain, Charles Poisset Romain, Judie Roy, Yves Maret Saint-Louis, Jean Jacques Sylvain, Dany Toussaint.
Madame, Messieurs,
La campagne pour les scrutins présidentiel et législatif des 20 novembre et 3 janvier prochains vient de débuter officiellement. Vous vous êtes portés candidats à la fonction de président de la République d’Haïti. Votre candidature, vous le savez, implique une prise d’engagement. Il n’appartiendra pas seulement au futur président d’être le gardien de la Constitution et le garant de l’équilibre institutionnel. En tant que dépositaire du suffrage du peuple haïtien, il portera la responsabilité d’affermir une véritable culture démocratique en Haïti, dont la liberté de la presse constitue l’un des piliers.
La situation des journalistes et des médias est un important révélateur de la santé démocratique d’un pays. Reporters sans frontières, association dédiée à la défense de la liberté de la presse dans le monde, l’a une nouvelle fois vérifié lors d’une mission effectuée en Haïti du 22 au 28 septembre. De cette mission – émaillée de rencontres avec des journalistes, des directeurs de médias mais aussi des avocats, des magistrats, des policiers, des membres d’organisations de défense des droits de l’homme, ainsi qu’avec la ministre de la Culture et de la Communication alors en fonction, Magali Comeau Denis -, il ressort que l’année 2005 laisse un bilan mitigé. Cet état des lieux nous incite à la plus grande vigilance. Nous espérons qu’elle sera partagée et traduite en actes par celle ou celui qui entrera au Palais national le 7 février 2006.
Au cours de ses deux dernières missions en Haïti, en juin 2004 et en septembre 2005, Reporters sans frontières a pu constater une amélioration de la situation de la liberté de la presse depuis la chute du gouvernement de Jean-Bertrand Aristide le 29 février 2004. Les journalistes rencontrés estiment travailler plus sereinement, disposer d’une plus grande liberté éditoriale et ne pas craindre de représailles du pouvoir d’Etat. Néanmoins, ces avancées ne sauraient occulter un contexte d’insécurité toujours alarmant, auquel la presse reste particulièrement exposée.
L’année 2005 s’est inaugurée tragiquement avec le décès de Laraque Robenson, de la radio Tele Contact à Petit-Goâve. Blessé de deux balles, au cou et à la tête, le 20 mars, lors d’une fusillade entre des soldats de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) et d’anciens militaires, le jeune journaliste, âgé de 25 ans, a succombé à ses blessures, le 4 avril, dans un hôpital cubain. Les résultats de l’enquête interne de la MINUSTAH, à qui ont été attribués les coups de feu mortels, n’ont jamais été rendus publics. Cet épisode est venu illustrer les difficultés ponctuelles de coopération entre la force d’interposition internationale et le gouvernement provisoire. De la relation entre la MINUSTAH et le futur gouvernement sorti des urnes dépendra la restauration de l’Etat de droit.
Car à ce jour, la MINUSTAH et les autorités policières et judiciaires d’Haïti ne sont toujours pas parvenues à démanteler l’arsenal de quelque 200 000 armes illégales qui circulent à travers le territoire haïtien. Elles n’ont pas davantage réussi à neutraliser la centaine de gangs qui sévissent en toute impunité et ont fait, depuis un an, du kidnapping leur spécialité. Selon la MINUSTAH, six millions de dollars ont été versés pour des rançons au cours des six derniers mois. Dans ce climat de terreur, la presse haïtienne a, là encore, payé un lourd tribut.
Le 16 juin, Nancy Roc, présentatrice du magazine « Métropolis » à Radio Métropole, a dû quitter précipitamment Haïti après avoir reçu des menaces d’enlèvement par téléphone pendant près d’une semaine. La journaliste, qui enquêtait sur des affaires de trafic d’armes et de drogue, a été obligée de fuir lorsqu’un appel anonyme lui a signifié que son rapt n’était plus qu’une « question d’heures ». Le 11 juin, Richard Widmaier, directeur de Radio Métropole, a échappé de peu à une tentative de kidnapping à Port-au-Prince.
Chroniqueur littéraire et chef du service culturel du quotidien Le Matin, Jacques Roche n’a pas eu cette chance. Enlevé le 10 juillet à Port-au-Prince, le journaliste a été retrouvé assassiné quatre jours plus tard après avoir été torturé avec une extrême cruauté. Il a été établi, au cours de l’enquête, que les ravisseurs avaient d’abord exigé des proches de la victime la somme de 250 000 dollars en échange de sa libération. Il a été également établi que, dans l’après-midi du 11 juillet, la famille de Jacques Roche et la rédaction du quotidien Le Matin avaient versé la somme de 10 000 dollars aux ravisseurs qui, après avoir exigé les 240 000 dollars restants, ont revu la rançon à la baisse et ont exigé, le 13 juillet, 50 000 dollars. Dans l’intervalle, les kidnappeurs ont pris connaissance de l’identité de leur victime, connue notamment pour avoir animé un programme du groupe dit « des 184 » – mouvement d’opposition sous la présidence de Jean-Bertrand Aristide -, diffusé sur la chaîne Télé Haïti et à la télévision nationale. Un journaliste du Matin chargé de négocier avec les ravisseurs s’est entendu dire : « Vous avez fait kidnapper le président Aristide, du coup vous nous avez appris le kidnapping. » A l’origine crapuleux, le rapt de Jacques Roche est devenu une affaire politique.
Tous les auteurs présumés de l’enlèvement appartiennent au gang dit de l’ « armée RAT », opérant dans le quartier Bel-Air de Port-au-Prince. Trois d’entre eux ont été arrêtés par la MINUSTAH et la police nationale d’Haïti (PNH) : Roger Etienne alias « Ti Edgard » le 16 juillet, Flaubert Forestal et Jules Mentor, le 22 juillet. Leurs auditions ont révélé que les nommés ou dénommés Alamaskay, « Ti Réginald », Peter Dan Sere (abattu au mois de septembre lors d’une opération de la MINUSTAH), Johnny Céron, Dérosiers Becker alias « Tiyabout » et Nicolas Augudson alias « Général Toutou », chef de l’ « armée RAT », ont participé à la séquestration et au meurtre de Jacques Roche. Reporters sans frontières se félicite de la progression rapide de l’enquête mais attend que les suspects encore en liberté soient retrouvés et interpellés dans les plus brefs délais. Leur arrestation porterait un coup sévère à l’emprise de l' »armée RAT » sur le quartier Bel-Air, où la presse haïtienne se plaint toujours de ne pas pouvoir pénétrer. Notre organisation espère également que la procédure permettra d’aboutir à un procès en bonne et due forme.
Car là se situe l’un des enjeux majeurs de la prochaine mandature : le futur chef de l’Etat et, avec lui, le gouvernement sorti des urnes, devront rompre avec la culture de l’impunité qui hypothèque l’avenir démocratique d’Haïti. Reporters sans frontières continuera de militer en faveur de la manifestation de la vérité dans deux dossiers malheureusement emblématiques de cette impunité persistante et des graves dysfonctionnements de la justice qui la favorisent : ceux de Jean Dominique et de Brignol Lindor.
Lire la lettre dans son intégralité : http://www.rsf.org/rubrique.php3?id_rubrique=28