(RSF/HRW/IFEX) – Ci-dessous, une lettre commune de RSF et Human Rights Watch : VISITE EN FRANCE DU PRESIDENT POUTINE Dans une lettre à Jacques Chirac, Président en exercice de l’Union européenne, Reporters sans frontières et Human Rights Watch dénoncent la multiplication des meurtres et agressions de journalistes ces dernières semaines Monsieur le Président, Les relations […]
(RSF/HRW/IFEX) – Ci-dessous, une lettre commune de RSF et Human Rights Watch :
VISITE EN FRANCE DU PRESIDENT POUTINE
Dans une lettre à Jacques Chirac, Président en exercice de l’Union européenne, Reporters sans frontières et Human Rights Watch dénoncent la multiplication des meurtres et agressions de journalistes ces dernières semaines
Monsieur le Président,
Les relations tumultueuses entre le pouvoir russe et les oligarques de l’économie des médias à Moscou attirent, depuis plusieurs mois, l’attention sur les enjeux importants de la liberté et du pluralisme de l’information en Russie.
Reporters sans frontières (RSF) et Human Rights Watch (HRW) rappellent que la liberté de l’information comprend le droit pour le journaliste de faire son travail en toute sécurité, et ce droit n’est pas assuré en Fédération de Russie. Les menaces pesant sur les journalistes couvrant le conflit tchétchène d’une part, et la dégradation continue des conditions de travail des journalistes russes dans plusieurs républiques d’autre part, atteignent un niveau sans précédent.
Reporters sans frontières (RSF) et Human Rights Watch (HRW) attirent votre attention sur la gravité de cette situation. A la veille du sommet Union européenne-Fédération de Russie et de vos entretiens bilatéraux avec Vladimir Poutine, nous vous demandons de rappeler au chef de l’Etat russe l’incompatibilité de cette évolution avec les engagements démocratiques et européens de la Russie.
Une menace toujours plus lourde pèse sur les journalistes couvrant le conflit tchétchène :
– Le 16 octobre 2000, Antonio Russo, grand reporter italien qui couvrait le conflit tchétchène depuis la Géorgie, a été retrouvé mort au bord d’une route au nord-est de Tbilissi. Des cordes ayant servi à l’attacher ont été trouvées près du corps. L’appartement du journaliste a été fouillé et saccagé. Son téléphone satellite et son ordinateur portable ont disparu, ainsi que des images vidéo du conflit tchétchène. Antonio Russo travaillait pour Radio Radicale, la radio du Parti radical – dirigé par l’ex-commissaire européen Emma Bonino – et du Parti radical transnational qui vient de faire l’objet d’une procédure de suspension de son statut consultatif auprès des Nations unies, procédure engagée par la Russie, et à laquelle la France s’est opposée. Le journaliste se trouvait en Géorgie depuis février dernier pour couvrir la guerre en Tchétchénie. Le chef du département des enquêtes criminelles au bureau du procureur général à Tbilissi en Géorgie a déclaré, le 19 octobre, qu’il « ne pouvait exclure que ce meurtre soit l’oeuvre d’un service secret étranger ». Le parquet de Rome a également ouvert une enquête pour homicide.
– Le 21 septembre, Iskandar Khatloni, journaliste de Radio Liberty à Moscou, a été retrouvé mort le crâne fracassé. Le lien entre ce meurtre et l’activité du journaliste, qui enquêtait sur les violations des droits de l’homme en Tchétchénie, ne peut encore être
établi avec certitude.
– Le 5 septembre, Rouslan Moussaïev, cameraman de l’agence américaine Associated Press en Tchétchénie a été arrêté, violemment frappé par des soldats russes et maintenu toute une nuit au fond d’un puits situé près de la base militaire de Khankala.
– Le 12 mai, le journaliste Alexander Yefremov a été tué au sud-est de la Tchétchénie par une mine télécommandée et déclenchée à distance.
– Le journaliste Andrei Babitsky, arrêté le 25 février 2000 pour « participation à une bande armée », a été détenu pendant des mois par les forces armées russes.
Des dizaines d’autres journalistes ont été malmenés ou menacés depuis le début du conflit.
Nous vous demandons de rappeler au président Vladimir Poutine que la Russie est tenue au respect des Conventions de Genève, qui stipulent que « les journalistes doivent être considérés comme des personnes non belligérantes et protégées en tant que telles en temps de conflit », et que la violation flagrante de ces conventions n’est pas compatible avec les engagements européens de la Russie.
Dans les différentes républiques de la Fédération de Russie, les médias indépendants sont l’objet de pressions toujours croissantes de la part des autorités régionales et locales. Les agressions se sont multipliées ces dernières semaines :
– Le 14 octobre 2000, Magomet Tekeïev, rédacteur en chef du quotidien indépendant Gorskiïe Vedomosti, a été violemment frappé à coups de massue à Tcherkesk, capitale de la Karatchaïevo-Tcherkessie, république de la Fédération de Russie située au nord de la Géorgie. Le journaliste avait, à plusieurs reprises, dénoncé la corruption dans les sphères dirigeantes de la république de Tcherkessie.
– Le 3 octobre, Sergueï Ivanov, directeur d’une chaîne de télévision privée dans la région de Samara, a été abattu par balles. La police privilégie la piste d’un règlement de comptes.
– Le 30 septembre, Sergey Amelin, journaliste d’investigation qui avait publié plusieurs articles très critiques envers la gestion du gouverneur de la république de Khakassie (au nord de la Mongolie) et avait été menacé à plusieurs reprises, a été attaqué à l’arme blanche et grièvement blessé.
– Le 26 juillet, Sergei Novikov, directeur de la station de radio indépendante Vesna, dans la région de Smolensk, a été tué par balle, pour un motif inconnu.
– Le 16 juillet, Igor Domnekov, journaliste à Novaia Gazeta, a été mortellement blessé par un inconnu, après avoir fait l’objet de menaces liées à son activité de journaliste.
Le rythme des agressions et menaces qui nous sont rapportées a considérablement augmenté ces derniers mois. La situation est particulièrement préoccupante dans les républiques de Khakassie, de Karatchaïevo-Tcherkessie, du Haut-Altaï (nord-est du Kazakhstan), d’Oudmourtie (nord de la Volga), et dans les régions russes de Magadan, et Smolensk.
Le président Vladimir Poutine – en décidant de décorer à titre posthume, le 11 septembre dernier, de l’ « Ordre Russe du courage », la journaliste kalmouke Larisa Youdina (assassinée en 1998 selon toute vraisemblance sur ordre des plus hautes autorités de la République de Kalmoukie) – a sans doute voulu marquer sa préoccupation vis-à-vis des pouvoirs régionaux. Mais de trop nombreux responsables du gouvernement fédéral ou de l’administration à Moscou continuent d’afficher ouvertement leur mépris envers une information indépendante. Un engagement déterminé du pouvoir central en faveur de la liberté de la presse aurait pourtant valeur d’exemple pour les autorités régionales.
***
Nous vous demandons de prendre la mesure de la gravité de cette situation pour l’avenir de la démocratie en Russie, et d’évoquer cette question avec le président Vladimir Poutine. Il est de sa responsabilité d’intervenir personnellement pour enrayer cette dégradation générale et continue des conditions de travail des journalistes en Russie. Il est de la responsabilité de l’Union européenne de lui rappeler qu’une situation où les violences envers les journalistes sont monnaie courante n’est pas admissible au regard des engagements démocratiques et européens de la Russie.
En vous remerciant de l’attention que vous voudrez bien accorder à ces remarques, nous vous prions d’accepter, Monsieur le Président, l’expression de notre très haute considération.
Robert Ménard
Secrétaire général
Reporters sans frontières
Jean-Paul Marthoz
European press director
Human Rights Watch