Fondé en 1993 par un groupe de journalistes en exil, le mensuel "Irrawaddy" est devenu une source incontournable d'information indépendante sur la situation politique et des droits de l'homme dans le pays.
(RSF/IFEX) – Le 8 août 2011 – Les démocrates birmans célèbrent aujourd’hui la date symbolique du 8 août 1988 (8-8-88). Celle-ci marque le point culminant d’un soulèvement de grande ampleur contre la junte militaire birmane, qui avait rassemblé des centaines de milliers de personnes, et conduit à la démission de l’homme fort du régime, le Général Ne Win. Le 18 septembre 1988, le soulèvement avait pris fin dans une répression sanglante faisant environ 3000 morts, et avortant les espoirs des manifestants.
A l’occasion de cette triste commémoration, Reporters sans frontières publie l’interview du rédacteur en chef du mensuel Birman Irrawaddy, Aung Zaw, contraint de quitter la Birmanie après le coup d’Etat militaire de septembre 1988.
Fondé en 1993 par un groupe de journalistes birmans en exil à Bangkok, le mensuel Irrawaddy, du nom du plus grand fleuve de Birmanie, est devenu une source incontournable d’information indépendante sur la situation politique et des droits de l’homme en Birmanie.
Les journalistes d’Irrawaddy n’ont jamais cessé de dénoncer la corruption, l’arbitraire et la violence avec laquelle le régime birman tente de réduire au silence les voix dissidentes.
Après 17 ans d’existence, le titre a gagné en notoriété sur la toile, en anglais et en birman. La version papier n’est cependant pas abandonnée. Des bulletins d’informations sont diffusés aux abonnés du monde entier et imprimés clandestinement en Birmanie.
Aung Zaw, comme l’ensemble des fondateurs d’Irrawaddy, a pris part aux manifestations pro-démocratiques de 1988. « J’étais étudiant à l’époque. Avec mes camarades nous avons participé à ce mouvement politique inédit en Birmanie. En marge des manifestations j’ai côtoyé de nombreuses figures importantes du courant pro-démocratique birman. Je me suis nourri des idées de ces journalistes et de ces écrivains très respectés. Malheureusement, après le coup d’Etat de la junte militaire de septembre 1988, j’ai dû quitter la Birmanie. En exil en Thaïlande nous avons créé Irrawaddy. Rapidement, de nombreux anciens prisonniers politiques nous ont rejoint ».
LA TRANSCRIPTION DE L’INTERVIEW
Qui compose la rédaction d’Irrawaddy et quel est son fonctionnement?
Aung Zaw : La rédaction d’Irrawaddy est basée à Chiang Mai, au Nord de la Thaïlande. Elle abrite 35 personnes : journalistes, vidéo-journalistes, photographes, web-desginers et personnels administratifs confondus. Nos journalistes se rendent souvent à la frontière pour couvrir les événements en lien avec la Birmanie.
Nous avons également des correspondants en Birmanie ou aux frontières entre Birmanie, Thaïlande et Inde. Une petite équipe de journalistes travaille pour nous depuis la Birmanie et nous permet de recueillir des informations en temps réel de l’intérieur du pays. Il leur est bien évidemment impossible d’exercer leurs activités ouvertement. Les représailles qu’ils encourent les obligent à travailler de manière clandestine. Un de nos journalistes a ainsi été condamné à sept ans de prison en 1995, simplement pour avoir exercé son métier. Nous recevons, enfin, des informations de la part de sources proches ou travaillant pour le régime.
Irrawaddy s’intéresse à tous les sujets : économiques, politiques, sociaux, culturels en Birmanie, certes, mais aussi dans le reste de l’Asie. Nous couvrons ainsi très largement l’actualité thaïe. Nous dénonçons notamment les discriminations et les persécutions dont sont victimes les réfugiés birmans qui vivent le long des frontières avec la Birmanie, qui sont de véritables zones de non-droit. Il nous serait impossible de travailler comme nous le faisons depuis la Birmanie. Là-bas, la censure est trop importante et nombre de nos journalistes sont d’anciens prisonniers politiques ou des étudiants qui ont milité pour la démocratie. En cas de retour, ils seraient, à n’en pas douter, arrêtés.
Qui sont les lecteurs d’Irrawaddy ?
Aung Zaw : Irrawaddy est lu par des millions de personnes sur l’ensemble de la planète, principalement grâce à notre site et notre blog. On consulte nos articles depuis les Etats-Unis, le Canada, en Europe, en Australie, l’ensemble des pays du Sud-Est de l’Asie ainsi qu’en Birmanie.
Nous publions en birman mais aussi en anglais. Nos lecteurs incluent non seulement des Birmans en exil (Irrawaddy est très populaire au sens de la diaspora birmane) mais aussi des membres d’ONG, des personnels d’agences onusiennes, d’ambassades ou gouvernementaux, des chercheurs universitaires, des militants des droits de l’homme, des médias, des journalistes.
Bien que censuré par le gouvernement birman, notre travail est lu en Birmanie tant par l’opposition que par les membres de la junte. Les Birmans peuvent également nous suivre par l’intermédiaire de la chaine satellitaire de la DVB, sur laquelle nous diffusions des bulletins d’informations quotidiens (Dateline Irrawaddy), des séries d’interviews (Face to Face) et des documentaires. Radio Free Asia diffuse également une émission hebdomadaire d’analyses et de débats politiques que nous animons. Nous sommes heureux de collaborer avec ces médias qui poursuivent le même but que nous : offrir une information libre et indépendante à nos concitoyens en Birmanie et au reste de la communauté internationale.
Sur Internet, nos lecteurs contournent la censure d’Etat grâce à des proxies. Plus de 35 000 birmans consultent Irrawaddy.org depuis la Birmanie chaque mois. Des exemplaires d’Irrawaddy sont également distribués dans certaines ambassades à Rangoon.
Quel impact ont, selon vous, Irrawaddy et l’ensemble des médias birmans sur les autorités, la société birmane et la communauté internationale ?
Aung Zaw : Nous sommes convaincus de l’importance de la mission d’Irrawaddy, des autres médias en exil ou des services en birman des médias tels que la BBC, Voice of America ou Radio Free Asia. La BBC et VOA ont, par exemple, joué un rôle essentiel en informant la communauté internationale sur ce qui se passait en Birmanie avant 1988.
Aujourd’hui, bien que basé en Thaïlande, Irrawaddy, comme l’ensemble des médias birmans en exil, joue un rôle clé dans la création de la société birmane de demain. Nous sommes également fiers de contribuer à la formation de jeunes journalistes en Birmanie ou réfugiés le long de la frontière.
Le changement sera bien évidemment lent, mais le travail indépendant des journalistes birmans et la réflexion qu’il impose à la société birmane ouvrira, j’en suis convaincu, des brèches au sein de ce régime militaire et conduira la Birmanie vers plus de transparence et de démocratie.
Samedi 6 août, la campagne Free Burma VJ du média birman en exil Democratic Voice of Burma, et le Best Friend Library, centre de documentation et d’information non lucratif, ont organisé un événement spécial dédié au 23ème anniversaire des soulèvements démocratiques de 1988 en Birmanie. La rencontre, qui a eu lieu à la Sangdee Gallery à Chiang Mai en Thaïlande, a rassemblé autour de 90 personnes et a permis d’informer le public sur la campagne pour la libération des 17 vidéo journalistes emprisonnés de Democratic Voice of Burma lancée depuis le 3 mai 2011.