Une des principales préoccupations de l'organisation porte sur l’existence d’un tribunal spécial chargé de juger tous les délits ayant trait à la presse depuis mai 2009.
(RSF/IFEX) – Le 1er mars 2012 – Reporters sans frontières a adressé une lettre au nouveau président de la République du Yémen, ‘Abd Rabbo Mansour Hadi, élu le 21 février 2012. L’organisation invite le chef de l’Etat à se poser en garant de la liberté de la presse et de la liberté d’informer, et de tourner ainsi la page de la répression orchestrée par l’ancien président Ali Abdallah Saleh.
Monsieur ‘Abd Rabbo Mansour Hadi
Président de la République du Yémen
Sanaa
Monsieur le Président
Nouvellement élu à la présidence de la République du Yémen le 21 février 2012, à l’issue d’une année de crise, vous êtes le nouveau garant, pour deux ans, de la constitution yéménite, notamment des libertés fondamentales pour l’ensemble des citoyens yéménites et ressortissants étrangers résidant dans votre pays.
Aussi, Reporters sans frontières, organisation internationale de défense de la liberté d’informer, souhaite vous faire part de ses préoccupations concernant l’état actuel de la liberté de la presse au Yémen, suite aux 33 années de règne d’Ali Abdallah Saleh.
Une de nos principales préoccupations porte sur l’existence d’un tribunal spécial chargé de juger tous les délits ayant trait à la presse depuis mai 2009. Une telle instance n’a qu’un seul objectif : museler les journalistes. Reporters sans frontières demande sa suppression pure et simple afin que les délits de presse ne soient plus du ressort d’une juridiction d’exception.
De plus, l’organisation vous prie de réexaminer la position des autorités yéménites quant au maintien en détention du journaliste ‘Abdul Ilah Haydar Shae, incarcéré depuis le 16 août 2010 à la prison de Sanaa, et condamné le 18 janvier 2011 par le tribunal en charge des affaires terroristes, à une peine de cinq années de prison, assortie de deux années de résidence surveillée pour “participation à une bande armée et ayant des liens avec Al-Qaïda”. Malgré la publication d’un décret présidentiel le 1er février 2011 annonçant sa libération, ‘Abdul Ilah Haydar Shae a été maintenu en détention, suite à des pressions exercées directement par la Maison Blanche dès le lendemain de la publication de ce décret, le président Obama ayant exprimé ses “préoccupations” suite à l’annonce d’une éventuelle libération du journaliste. Son maintien en détention va à l’encontre des engagements internationaux du Yémen.
Par ailleurs, de nombreux journalistes sont victimes d’agressions de la part des forces de sécurité. Au cours de l’année écoulée, les milices proches du pouvoir, les tristement célèbres baltajiyas, ont mené de véritables expéditions punitives afin de mâter le soulèvement populaire et empêcher sa couverture par les médias. Les menaces téléphoniques et agressions physiques ont été quotidiennes. Les arrestations ont été fréquentes ainsi que les enlèvements. La presse indépendante et d’opposition étant très présente dans le pays, les autorités ont tenté de couper les réseaux de distribution et de saisir certains de ces journaux.
Récemment encore, le correspondant pour la BBC en langue arabe, Abdullah Ghorab, et son équipe, ainsi que le cameraman de la chaîne Al-Nile, Mounir Al-Dali’i, ont délibérément été pris pour cible, le 15 février 2012 à Sanaa, par huit individus armés de bâtons et de couteaux, partisans de l’ancien président. Il s’agit de la troisième agression de ce journaliste de la BBC en moins d’une année.
Reporters sans frontières vous demande de démanteler les baltajiyas et de mettre un terme aux violences physiques et pratiques d’intimidations contre les professionnels de l’information. Des enquêtes indépendantes et impartiales doivent être ouvertes sur l’ensemble des exactions commises, et les responsables traduits en justice. Il est également important de faciliter la circulation de l’information, en mettant fin au blocus de certaines rédactions, et à la confiscation de journaux. Le pluralisme de l’information est essentiel.
L’organisation rappelle l’importance aussi de délivrer des visas aux journalistes étrangers qui souhaitent se rendre au Yémen.
Nous sommes conscients des nombreux chantiers auxquels vous devez faire face au lendemain de votre élection. Nous vous remercions de l’attention que vous porterez à nos remarques et observations, afin de faire de la liberté de la presse et de la liberté d’informer une réalité au Yémen, tournant ainsi la page des années noires de la répression.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma très haute considération.
Olivier Basille
Secrétaire général par intérim de Reporters sans frontières