Les juges ont condamné les procédés illégaux dont ont fait l'objet deux journalistes dans l'affaire Bettencourt.
(RSF/IFEX) – « Enfin, la protection du secret des sources des journalistes a été invoquée par des juges pour condamner les procédés illégaux dont ont fait l’objet deux journalistes du ‘Monde’ dans l’affaire Bettencourt. C’est un signal très positif et dont il faut se réjouir, même si nous regrettons qu’il intervienne si tard », a déclaré Reporters sans frontières.
Dans son arrêt du 5 mai 2011, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Bordeaux a annulé une partie de l’enquête initiée par le procureur de la République de Nanterre, Philippe Courroye. Les magistrats bordelais qui s’étaient vus confier l’enquête, doutant de la légalité de certains éléments du dossier, avaient saisi la Cour d’appel aux fins d’annulation. La réponse est limpide : la façon dont certains éléments de preuve ont été rassemblés viole l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881, introduit par la loi du 4 janvier 2010 protégeant le secret des sources.
Suite à un article du ‘Monde’ en date du 2 septembre 2010 qui révélait une perquisition au domicile de Liliane Bettencourt, l’avocat de cette dernière avait porté plainte pour « violation du secret professionnel ». Pour établir qui avait renseigné les deux auteurs de l’article, le procureur Courroye avait alors demandé aux services de police de saisir leurs factures téléphoniques détaillées (« fadettes »). Au mépris patent des règles de droit.
Dans une motivation sans ambiguïté, les juges de la Cour d’appel de Bordeaux soulignent que « l’enquête policière portait sur la dénonciation pour le moins hypothétique par un particulier de la probabilité, voire simple possibilité, de la commission d’un délit de violation du secret professionnel ». En conséquence, « la condition de l’exigence d’un impératif prépondérant d’intérêt public [la seule exception au secret des sources prévue par la loi, ndlr] n’a pas été remplie ».
« La démarche du procureur Courroye était grave. En compromettant la confidentialité des sources des journalistes, elle a mis en péril la confiance des informateurs, qui constitue le fondement même du journalisme d’investigation. À plus forte raison, dans le cas d’enquêtes dérangeant le pouvoir en place ou certains de ses puissants amis. Nous sommes donc soulagés qu’elle soit enfin reconnue illégale », a poursuivi Reporters sans frontières.
« La violation de la loi était cependant évidente, et il est incroyable que nous ayons dû attendre si longtemps une décision qui tombe sous le sens. Et que celle-ci ne soit due qu’à l’initiative de juges d’instruction bordelais, soucieux de s’assurer de la légalité de leur enquête. En effet, depuis que le scandale de l’espionnage des journalistes a éclaté en septembre 2010, aucune autorité policière ou judiciaire n’avait ouvertement condamné la saisie des fadettes de nos collègues. Plus grave, le parquet avait même classé sans suite les deux plaintes déposées par ‘Le Monde’, au motif que le délit de violation de secret des sources n’était pas pénalement sanctionné. Le quotidien a déposé en mars dernier une nouvelle plainte avec constitution de partie civile ; espérons qu’elle soit enfin traitée de manière adéquate ».
La loi sur la protection des sources est désormais consacrée par la jurisprudence. Mais dans le cas présent, le mal est fait : il faut donc aller plus loin, pour que les sources des journalistes soient réellement protégées en amont. Comme l’a rappelé la CEDH dans une décision du 4 septembre 2010 (Sanoma Uitgevers BV c/ Pays-Bas), « un contrôle indépendant pratiqué seulement après la remise d’éléments susceptibles de conduire à l’identification de sources est inapte à préserver l’essence même du droit à la confidentialité ».
Afin que de tels incidents ne se reproduisent pas, il faut non seulement que des sanctions pénales soient prévues en cas de violation du secret des sources, mais également que les exceptions au secret soient étroitement encadrées. Malheureusement, le texte de la loi ne précise pas la nature de l' »impératif prépondérant d’intérêt public », et aucune procédure ne définit la façon d’y répondre. La validité de tout ordre de saisie mettant en cause les sources des journalistes devrait être contrôlée avant exécution, par un organe indépendant et impartial.
La France figure à la 44e place du dernier classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières. La baisse constante de son rang ces dernières années s’explique en partie par la violation du secret des sources dont ont été victimes plusieurs journalistes, notamment du « Monde » et de http://www.rue89.com/ . Les pressions subies par les sites d’information Mediapart, http://www.rue89.com/ et http://www.Bakchich.info dans le cadre de l’affaire Bettencourt ont également contribué au placement « sous surveillance » de la France dans le dernier rapport de l’organisation consacré à Internet.