(RSF/IFEX) – Ci-dessous, un communiqué de press de RSF : Réunion des ministres en charge des médias des 41 pays du Conseil de l’Europe Cracovie (Pologne) 15-16 juin 2000 Russie, Turquie, Ukraine : les « mauvais élèves » du Conseil de l’Europe Sur les 41 Etats participant à la réunion des ministres en charge des médias du […]
(RSF/IFEX) – Ci-dessous, un communiqué de press de RSF :
Réunion des ministres en charge des médias des 41 pays du Conseil de l’Europe
Cracovie (Pologne) 15-16 juin 2000
Russie, Turquie, Ukraine : les « mauvais élèves » du Conseil de l’Europe
Sur les 41 Etats participant à la réunion des ministres en charge des médias du Conseil de l’Europe, trois pays ne respectent pas les engagements qu’ils ont souscrits en matière de liberté de la presse en signant la Convention européenne des droits de l’homme. Au mépris des recommandations répétées du Conseil de l’Europe, la Turquie, la Russie et l’Ukraine continuent de violer gravement la liberté de la presse. Dans la République caucasienne de Tchétchénie (Russie) et la région du Sud-Est anatolien (Turquie) qui abrite la minorité kurde, des lois d’exception permettent de réduire considérablement les libertés. En Ukraine, les médias critiques envers le régime continuent d’être victimes de pressions financières et politiques, alors qu’on assiste à un renforcement du pouvoir présidentiel. Par ailleurs, parmi les trois Etats – Azerbaïdjan, Arménie et Bosnie-Herzégovine – dont les demandes d’adhésion au Conseil de l’Europe sont en cours d’examen, l’Azerbaïdjan continue de prendre des mesures répressives à l’égard des médias.
Malgré la demande de suspension de la Russie présentée par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, le Comité des ministres a décidé au mois de mai 2000 de ne pas sanctionner cet Etat. Pourtant, aucune des exigences en matière de liberté de la presse émises par l’organisation n’est satisfaite : la Tchétchénie est plus que jamais une zone de non-droit où la guerre peut se dérouler sans témoins. Alors qu’il n’y a plus de média tchétchène indépendant, l’accès à la République sécessionniste est depuis plusieurs mois soumis à l’attribution d’une accréditation, délivrée par les forces militaires et quasiment impossible à obtenir. Depuis le début du conflit en octobre 1999, une dizaine de journalistes étrangers ont été interpellés, interrogés par les services secrets russes et éloignés des zones de combats. Le journaliste Andrei Babitsky, correspondant en Russie de la radio internationale Radio Free Europe, arrêté le 25 janvier 2000 puis détenu dans un camp de « filtration », est toujours assigné à résidence, sans qu’aucun jugement ait été prononcé contre lui. On est toujours sans nouvelles de la journaliste Tassia Issaeieva, arrêtée le 1er juin par les forces fédérales, sous prétexte qu’elle travaillait pour une agence de presse tchétchène. Dans le Caucase Nord, considéré comme l’une des régions les plus dangereuses pour les journalistes, au moins quatorze représentants de la presse ont trouvé la mort depuis 1994. Une vingtaine de journalistes ont été enlevés depuis 1997. Le photographe français Brice Fleutiaux, libéré le 12 juin 2000, aura été retenu en otage pendant plus de huit mois.
Dans le reste du pays, les autorités multiplient les menaces et les mesures d’intimidation pour faire taire les voix discordantes. Après avoir interdit, le 15 mars, aux médias russes d’ouvrir leurs antennes aux leaders tchétchènes, le gouvernement a menacé au mois de mai de suspendre les médias « hostiles aux intérêts russes » et de préparer une nouvelle loi visant à limiter « les abus de la liberté de la presse ». Au même moment, la police fiscale se livre à des perquisitions spectaculaires au siège du groupe de presse d’opposition Media-Most à Moscou. Par ailleurs, les agressions ou meurtres de journalistes non élucidés sont encore fréquents. Le 15 mai 2000, c’est à coups de marteau qu’un journaliste de Novaya Gazeta, un magazine indépendant d’investigation, est grièvement blessé devant son domicile. Au moins huit journalistes ont été tués depuis le 1er janvier 1999.
En Turquie, 21 journalistes ont été assassinés depuis 1988 pour avoir usé de leur droit à informer l’opinion publique. Ces meurtres n’ont été que très rarement punis. Quatre journalistes sont actuellement incarcérés pour avoir exercé leur profession, mais près de quatre-vingts autres sont détenus, sans qu’il soit possible de définir s’ils le sont pour leurs activités professionnelles ou pour des motifs politiques. Par ailleurs, outre le Code pénal qui prévoit des peines de prison pour des délits de presse, les autorités utilisent les textes de lois antiterroristes pour réprimer tout débat démocratique, notamment autour de la question kurde. Ainsi, depuis le début de l’année 2000, on compte une trentaine d’interpellations de journalistes et une dizaine d’agressions par les forces de police. Si les cas de tortures ont diminué, quatre représentants de la presse ont, néanmoins, subi des sévices corporels durant leur interpellation, en 1999. Par ailleurs, depuis le 1er janvier 2000, la Loi d’urgence en vigueur dans le Sud-Est anatolien a permis aux autorités de fermer treize journaux prokurdes, sans aucune explication. Durant la même période, seize chaînes de télévision et dix-neuf stations de radio privées ont été suspendues par le Conseil de l’audiovisuel, une instance gouvernementale de régulation des médias, pour une durée totale de 2 726 jours.
Malgré les menaces de suspension émises par le Conseil de l’Europe en 1999 contre l’Ukraine, les autorités de ce pays ont continué de ne pas respecter la liberté d’informer à l’occasion de l’élection présidentielle d’octobre 1999. Les candidats de l’opposition n’ont eu qu’un accès très limité aux médias publics et au moins 25 médias privés ont fait l’objet de pressions et de censures. Depuis, le référendum du 16 avril 2000 a encore renforcé les pouvoirs présidentiels. Les mesures fiscales, telles que les fortes taxes imposées aux médias pour les frais d’exploitation de fréquences, et les amendes prohibitives appliquées pour « diffamation » continuent d’asphyxier économiquement la presse indépendante. Durant l’année 1999, 2 257 plaintes contre des médias ou des journalistes ont été déposées. La somme totale des dommages et intérêts réclamés s’élève à 90 milliards de hryvnias (14,7 milliards d’euros ) soit trois fois plus que le budget annuel du pays. Les tribunaux ont condamné les médias à des amendes d’un total de 1,5 million de hryvnias (365 000 euros). Par ailleurs, en 1999, une dizaine de journalistes ont été agressés et une vingtaine d’autres se sont plaints de menaces reçues. Dans ces différents cas, les enquêtes n’ont que très rarement abouti.
Parmi les trois pays dont l’entrée au sein du Conseil de l’Europe sera discutée par l’Assemblée parlementaire de l’organisation en juin 2000, l’Azerbaïdjan ne respecte toujours pas la liberté de la presse. Malgré les critiques émises par le Conseil de l’Europe, les nouvelles dispositions de la loi sur les médias ont été signées par le président de la République en février 2000. Trois articles sont en particulier incriminés : les articles 26 et 27, qui permettent de retirer de la vente sans décision de justice les imprimés portant « atteinte à l’intégrité et à la sécurité nationale », et l’article 50, qui permet de retirer l’accréditation de tout journaliste soupçonné d’avoir « diffusé des fausses nouvelles ». Par ailleurs, toujours en Azerbaïdjan, la sécurité des représentants de la presse est menacée : au moins quatorze journalistes ont été agressés en 1999. Pas moins d’une quarantaine d’autres ont subi des pressions physiques et morales. Depuis le début de l’année 2000, les violences policières se sont encore accrues. Lors d’une manifestation le 29 avril dernier, une quinzaine de journalistes qui couvraient l’événement ont été blessés. Le 27 mai, les forces de l’ordre ont investi la rédaction du quotidien d’opposition Bu gun et malmené les journalistes. Enfin, une quinzaine de médias se sont vu infliger de fortes amendes pour « diffamation » en 1999. Le montant total de celles-ci s’élève à environ 7 milliards de manats (1,2 millions d’euros). Dernièrement, l’hebdomadaire Monitor Weekly, très critique envers le gouvernement, le journal Bakinski Bulvar, ainsi que Baku Printing Press, la plus grande imprimerie privée du pays appartenant au même groupe, ont fait l’objet de mesures de suspension provisoire ou de fermeture.
En Bosnie-Herzégovine, autre Etat candidat à l’adhésion au Conseil de l’Europe, la sécurité des journalistes n’est toujours pas assurée, malgré les efforts accomplis par les autorités et la Communauté internationale. L’attentat qui a grièvement blessé, en octobre 1999, le rédacteur en chef du quotidien de Nezavisne novine – seul journal serbe de Bosnie à enquêter sur les crimes de guerre – a été perçu comme un avertissement pour tous les journalistes travaillant dans ce pays.
Face aux exactions répétées à l’encontre de la liberté de la presse en Turquie et en Russie, Reporters sans frontières demande au Conseil de l’Europe de suspendre ces deux Etats de l’organisation, tant qu’ils continueront de bafouer la Convention européenne des droits de l’homme. Reporters sans frontières demande la libération immédiate et sans conditions de tous les journalistes emprisonnés pour des délits de presse. L’organisation appelle également les autorités de ces deux pays à supprimer les peines de prison pour les délits de presse et les juridictions d’exception en Tchétchénie et dans le Sud-Est anatolien, qui transforment ces régions en véritables zones de non droit.
Reporters sans frontières engage le Conseil de l’Europe à exiger de l’Ukraine la fin des pressions financières et politiques sur la presse indépendante, sous peine d’être suspendue de l’organisation.
Reporters sans frontières demande que l’adhésion de l’Azerbaïdjan au Conseil de l’Europe ait pour condition l’acceptation des modifications de la loi sur les médias, en particulier la suppression des articles 26, 27 et 50. Reporters sans frontières exhorte les autorités azéris à faire cesser les violences policières à l’encontre des représentants de la presse.
Enfin, Reporters sans frontières recommande au Conseil de l’Europe d’accorder une attention particulière à la sécurité des journalistes en Bosnie-Herzégovine.