L’enquête officielle sur l'assassinat de Gustave Makonene, coordinateur du Centre de plaidoyer et de consultation juridique de Transparency International Rwanda, semble s’être enlisée au bout de six mois. Dans le cadre de son travail pour Transparency International, Makonene avait traité des allégations de corruption, dont certaines auraient impliqué des membres de la police.
L’enquête officielle sur l’assassinat d’un militant anticorruption rwandais semble s’être enlisée au bout de six mois. Étonnamment, l’affaire a peu attiré l’attention du public et la famille de la victime est toujours en attente de justice. Human Rights Watch s’est rendu dans la ville de Rubavu, où le corps a été découvert, et a interrogé des témoins ainsi que la police.
Gustave Makonene, coordinateur du Centre de plaidoyer et de consultation juridique de Transparency International Rwanda à Rubavu, dans le nord-ouest du Rwanda, a été vu pour la dernière fois quittant son bureau dans cette ville dans la soirée du 17 juillet 2013. Des habitants de Nyiraruhonga ont découvert son corps dans la matinée du 18 juillet tout près d’une route longeant la rive du lac Kivu. Un rapport médical de la police indique qu’il a été étranglé.
Dans le cadre de son travail pour Transparency International, Makonene avait traité des allégations de corruption, dont certaines auraient impliqué des membres de la police.
« La corruption est un sujet sensible au Rwanda, comme dans de nombreux pays », a déclaré Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch. « Le meurtre de Makonene aurait dû être un signal d’alarme. Au lieu de cela, un silence troublant s’est ensuivi. »
Dans les jours suivant la découverte du corps de Makonene, la police locale a arrêté quatre personnes dans le cadre de l’assassinat, mais elles ont été libérées en août pour manque de preuves. Depuis lors, les enquêtes menées par la police et par le parquet semblent être au point mort.
Lors d’entretiens avec des témoins indépendants et avec la police, Human Rights Watch a appris qu’un homme en civil, qui s’est présenté comme un employé de la compagnie nationale des services publics, mais a plus tard été identifié comme un agent de police, est venu à trois reprises au bureau de Transparency International Rwanda à Rubavu avant le meurtre de Makonene, notamment deux jours avant qu’il ait été tué.
À chaque fois, le policier a tenté de déterminer à quoi Makonene ressemblait et quels étaient ses déplacements. Il a demandé et obtenu le numéro de téléphone personnel de Makonene, mais n’a apparemment pas appelé Makonene ni ne lui a parlé directement, même si Makonene se trouvait au bureau lors d’une de ses visites. Le jour du meurtre de Makonene, l’homme a téléphoné à une personne proche de Makonene pour essayer de confirmer l’endroit où celui-ci se trouvait.
Les policiers ont interrogé cet agent de police et envoyé la déposition au parquet. La police a déclaré à Human Rights Watch que le policier avait posé des questions sur Makonene à titre personnel.
« Le fait que Makonene peut avoir enquêté sur la corruption policière et qu’un policier cherchait à confirmer son identité juste avant son meurtre soulève à tout le moins des questions », a déclaré Daniel Bekele. « La police devrait explorer toutes les pistes possibles, notamment en interrogeant les personnes se trouvant à proximité de l’endroit où le corps de Makonene a été découvert. »
Human Rights Watch s’est entretenu avec de nombreux habitants de Nyiraruhonga, dont certains ont découvert le corps de Makonene. L’un d’eux a décrit comment Makonene a été retrouvé affalé contre un arbre, avec une corde autour du cou. Le témoin a affirmé que lorsque la corde a été retirée, une contusion profonde était visible sur la gorge de Makonene.
Le corps de Makonene a été trouvé tout près d’une route menant à Rubavu, proche de la brasserie BRALIRWA. Le seul moyen pratique d’atteindre cette route en voiture est de traverser le portail de la brasserie. La brasserie surveille l’accès à son portail la nuit, sauf dans le cas des véhicules de la police ou de l’armée. Plusieurs témoins ont confirmé à Human Rights Watch que Makonene a quitté son bureau le 17 juillet après 20 heures.
Étant donné l’emplacement du corps de Makonene, il est probable que la police pourrait déterminer la façon dont le corps s’est retrouvé là, et peut-être qui l’a amené, selon Human Rights Watch.
Deux personnes ont été identifiées à Human Rights Watch en tant que témoins ayant vu le corps de Makonene alors qu’il a été extrait d’un véhicule et abandonné près de la rive du lac Kivu. Mais elles ont refusé de parler à Human Rights Watch, même à titre confidentiel, illustrant ainsi l’aspect extrêmement sensible de cette affaire.
Après que la police ait arrêté quatre hommes dans le cadre du meurtre de Makonene, le parquet a ordonné la libération de deux d’entre eux et a plaidé en faveur de la détention préventive pour les deux autres. Cependant, le Tribunal de grande instance de Rubavu a ordonné leur libération le 5 août au motif que le procureur manquait de preuves contre eux. La Haute Cour de Musanze a confirmé cette décision le 29 août.
Le 7 décembre, le major Vita Hama, porte-parole de la Police Nationale du Rwanda, province de l’Ouest, a déclaré à Human Rights Watch qu’il n’y avait eu aucun progrès significatif dans l’affaire et que le parquet n’avait pas demandé à la police de poursuivre l’enquête. Le 16 décembre, Damas Gatare, porte-parole de la police au niveau national, a indiqué à Human Rights Watch que l’affaire avait été confiée au parquet et que Human Rights Watch devrait donc contacter le parquet pour plus de détails.
Le procureur de Rubavu a recommandé à Human Rights Watch de prendre contact avec le porte-parole de l’Organe national de poursuite judiciaire, Alain Mukuralinda, qui a confirmé le 18 décembre que l’affaire n’avait pas progressé. Cependant, le 24 décembre, le ministre de la Justice, Johnston Busingye, a affirmé à Human Rights Watch que le dossier était toujours ouvert.
L’assassinat de Makonene a reçu très peu d’attention du public. Ce silence illustre la faiblesse des organisations et des médias indépendants au Rwanda. En conséquence de nombreuses années d’intimidation, de menaces et d’infiltration par le gouvernement, peu d’organisations non gouvernementales rwandaises mènent des enquêtes détaillées ou publient des rapports sur des questions politiquement sensibles ou des violations des droits humains commises par des agents du gouvernement. Encore moins d’entre elles effectuent un travail en profondeur sur la corruption. La plupart des journalistes rwandais évitent également d’enquêter ou de rendre compte des affaires sensibles.
Les autorités rwandaises devraient relancer leurs enquêtes sur le meurtre de Makonene, a déclaré Human Rights Watch, tant afin de rendre la justice que pour rassurer les militants anticorruption et des droits humains sur le fait que les autorités policières et judiciaires traitent ces affaires avec le sérieux qu’elles méritent.L’organisation Transparency International a indiqué qu’elle poursuivait son travail de plaidoyer afin d’obtenir que les autorités chargées de l’application de la loi au Rwanda s’assurent que les enquêtes menées par la police soient menées à terme.
« Dans la plupart des autres pays, le meurtre non résolu d’un militant anticorruption aurait fait la une des journaux, et des groupes indépendants réclameraient justice », a conclu Daniel Bekele. « Au lieu de cela, il semble que chacun espère que le problème va disparaître. Cela adresse un message inquiétant et dissuasif aux personnes qui militent pour l’obligation de rendre des comptes au Rwanda. »