Le reporter Dieudonné Niyonsenga, responsable d’une web-télé, a été condamné à sept ans de prison. RSF dénonce une peine lourde, arbitraire et aberrante et demande aux autorités de cesser leur chasse aux journalistes qui exercent en ligne.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 19 novembre 2021.
Le reporter Dieudonné Niyonsenga, responsable d’une web-télé, a été condamné à sept ans de prison par la justice rwandaise. Reporters sans frontières (RSF) dénonce une peine lourde, arbitraire et aberrante et demande aux autorités de cesser leur chasse aux journalistes qui exercent en ligne.
Dieudonné Niyonsenga, aussi connu sous le pseudonyme Cyuma Hassan, aura bénéficié de huit mois de liberté avant de retrouver sa cellule. Jeudi 11 novembre, la Haute Cour du Rwanda a condamné le directeur de la télévision en ligne Ishema TV à sept ans de prison, pour agression, obstruction auprès d’agents des forces de l’ordre et exercice du journalisme sans carte de presse.
Les ennuis du reporter remontent au 15 avril 2020. Alors qu’il était en route pour faire un reportage sur les effets des restrictions de déplacement imposées dans le pays, il est arrêté et accusé d’avoir “enfreint les mesures de confinement pendant la Covid-19” et avoir présenté à la police de “fausses cartes de presse”. Après 11 mois de détention préventive, durant lesquels il était presque impossible pour ses proches ou son avocat d’entrer en contact avec lui, son calvaire semble prendre fin le 14 avril 2021 : le journaliste est libéré deux jours après avoir été acquitté. C’était sans compter sur l’appel de cette décision par le procureur. Jeudi 11 novembre, Dieudonné Niyonsenga a donc finalement été condamné à sept ans de prison et à une amende de cinq millions de francs rwandais (environ 4.280 euros). Il a de nouveau été incarcéré à la prison de Magerarege, la plus grande du pays. Contacté par RSF, son avocat a déclaré qu’il allait faire appel de cette décision.
“Après avoir déjà passé près d’un an en détention préventive, cette condamnation très lourde et complètement arbitraire est aberrante, dénonce le responsable du bureau Afrique de RSF, Arnaud Froger. Il est désormais clair que les charges officiellement retenues contre ce journaliste ne servent qu’à masquer ce qu’on lui reproche réellement : ses enquêtes, ses reportages et la ligne critique de son média. Nous demandons aux autorités rwandaises de le libérer et de mettre fin aux arrestations et condamnations arbitraires de journalistes, notamment celles et ceux qui exercent en ligne.”
Quelques semaines avant sa première arrestation, Dieudonné Niyonsenga, connu pour ses reportages sur les quartiers défavorisés, avait publié plusieurs vidéos sur sa chaîne, notamment des interviews accusant des militaires rwandais de viols et de pillages présumés. Il avait également réalisé des reportages sur la destruction, par les autorités, d’habitations en pleine crise sanitaire. En février 2020, le journaliste s’était distingué en rapportant avoir vu des blessures sur le visage de Kizito Mihigo, célèbre chanteur militant pour la paix au Rwanda, lors de ses funérailles, mettant ainsi à mal la version du suicide relayée par le gouvernement.
Le 13 octobre dernier, les autorités rwandaises ont également arrêté Theoneste Nsengimana, le directeur de la chaîne critique du gouvernement Umubavu TV, pour avoir publié une vidéo colportant des “rumeurs destinées à déclencher un soulèvement”. Accusé d’appartenance à un groupe criminel, de diffusion de propagande visant à nuire au gouvernement rwandais à l’étranger, de propagation de rumeurs et d’incitation à l’agitation, il est actuellement détenu à Magerarege. Son avocat a fait appel pour demander sa libération lors de sa prochaine audience et dénonce un emprisonnement “complètement illégal, et contraire à la liberté d’expression”. Le journaliste avait déjà effectué un séjour en prison, accusé d’avoir récupéré de faux témoignages en avril 2020, avant d’être relâché un mois plus tard faute de preuves.
Plus tôt ce mois-ci, l’Office Rwandais d’Investigation (RIB), le service chargé des renseignements, a entamé des discussions avec Google pour fermer les chaînes Youtube dont les vidéos comprendraient “des mots ou expressions qui “constituent des crimes”. Le 13 avril, la commission rwandaise des médias avait par ailleurs publié une déclaration spécifiant que les détenteurs de chaînes Youtube personnelles n’étaient pas admissibles au statut de journaliste. Le code d’éthique et de conduite des médias au Rwanda est cependant actuellement en cours de révision pour prendre en compte les réseaux sociaux dans la définition du journalisme professionnel.
Le Rwanda occupe la 156e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2021.