Des personnes proches d’Illuminée Iragena craignent qu’elle n’ait été détenue illégalement et torturée, et certains renseignements non confirmés indiquent qu’elle serait morte.
Cet article a été initialement publié sur hrw.org le 29 septembre 2016.
Une activiste de l’opposition au Rwanda est portée disparue depuis six mois et on craint qu’elle n’ait été victime d’une disparition forcée, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Des proches de l’activiste Illuminée Iragena ne l’ont pas vue depuis le 26 mars 2016 et redoutent qu’elle ne soit décédée en détention.
Dans une affaire apparemment liée, quelques heures à peine avant qu’Illuminée Iragena ne disparaisse, Léonille Gasengayire, membre du parti d’opposition FDU-Inkingi, a été arrêtée après avoir rendu visite en prison à Victoire Ingabire, présidente de son parti. Léonille Gasengayire a été accusée d’avoir apporté à Victoire Ingabire un exemplaire du livre que cette dernière avait écrit. Apparemment, Illuminée Iragena avait contribué à organiser cette livraison. La police a relâché Léonille Gasengayire trois jours plus tard, mais l’a de nouveau arrêtée le 23 août.
« Le gouvernement rwandais devrait intensifier ses efforts pour déterminer ce qui est arrivé à Illuminée Iragena », a déclaré Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch. « Si elle est en détention, les autorités devraient révéler où elle se trouve et soit l’inculper et la juger rapidement, soit la libérer. Si elle est morte, elles devraient rendre publiques les circonstances de son décès. »
Human Rights Watch a documenté plusieurs disparitions, arrestations motivées par des raisons politiques et détentions illégales au Rwanda, notamment d’opposants ou de détracteurs présumés du gouvernement. À moins d’un an des élections présidentielles d’août 2017, l’espace politique reste très limité, avec de fortes restrictions de la liberté d’expression et d’association.
Illuminée Iragena est membre du parti FDU-Inkingi et avait été candidate pour le Parti Social Démocrate lors des élections législatives de 2008. Elle rendait régulièrement visite à Victoire Ingabire en prison, où cette dernière purge une peine de 15 ans pour complot visant à porter atteinte au pouvoir établi et déni de génocide. Illuminée Iragena est mariée avec Martin Ntavuka, l’ancien représentant des FDU-Inkingi pour la capitale rwandaise, Kigali, qui a été arrêté au moins deux fois depuis 2010 en lien avec ses activités politiques. Le 8 juillet 2011, la police a brièvement détenu Illuminée Iragena et Martin Ntavuka après qu’ils sont allés à la prison pour rendre visite à Victoire Ingabire et à des membres du PS-Imberakuri, un autre parti d’opposition.
Illuminée Iragena a quitté sa maison à Murama, dans le district de Gasabo, à la périphérie de Kigali, le soir du 26 mars pour se rendre à l’hôpital Roi Fayçal où elle travaille comme infirmière. Toutefois elle n’est jamais arrivée à sa destination. Les membres de sa famille ont demandé à la police d’enquêter, mais ils n’ont pas reçu de réponse officielle.
Des personnes proches d’Illuminée Iragena craignent qu’elle n’ait été détenue illégalement et torturée, et certains renseignements non confirmés indiquent qu’elle serait morte. Human Rights Watch n’a pas été en mesure de vérifier ces informations, mais a exprimé sa préoccupation au sujet du sort et du bien-être d’Illuminée Iragena, et du manque d’informations sur le lieu où elle se trouve.
La police a arrêté Léonille Gasengayire le 26 mars dans l’enceinte de la prison centrale de Kigali. Le mandat d’arrêt à son encontre indiquait qu’elle était accusée d’incitation au soulèvement ou aux troubles parmi la population, apparemment pour avoir apporté le livre à Victoire Ingabire. Des policiers ont frappé Léonille Gasengayire au poste de police de Remera et l’ont interrogée sur le livre, sur Illuminée Iragena et sur Victoire Ingabire. Le nom d’Illuminée Iragena avait été inscrit à la main dans le livre. La police a refusé à Léonille Gasengayire l’accès à un avocat. Elle a été libérée trois jours plus tard après avoir signé une déclaration dans laquelle elle a admis qu’Illuminée Iragena lui a remis le livre pour qu’elle le donne à Victoire Ingabire. Mais la police l’a de nouveau arrêtée le 23 août à Kivumu, dans le district de Rutsiro, et l’a accusée d’incitation au soulèvement ou aux troubles parmi la population.
Lors d’une audience devant un tribunal à Ruhango, dans le district de Rutsiro, le 13 septembre, le procureur a accusé Léonille Gasengayire de soulever l’opposition locale face aux expropriations pour construire un nouveau village, de critiquer le gouvernement pour l’absence d’indemnisation appropriée et de promouvoir les FDU-Inkingi, dont l’enregistrement en tant que parti politique a été empêché. Léonille Gasengayire et son avocat ont réfuté les accusations, en déclarant qu’elles étaient motivées par des raisons politiques. Le 14 septembre, le tribunal a décidé de maintenir Léonille Gasengayire en détention provisoire pendant 30 jours. Si elle est jugée coupable, elle pourrait être condamnée à une peine maximale de 15 ans d’emprisonnement.
Léonille Gasengayire avait précédemment été arrêtée en septembre 2012, avec d’autres membres des FDU-Inkingi, pour avoir assisté à une réunion du parti à Kivumu. Elle avait été condamnée à deux ans d’emprisonnement le 11 juillet 2013, avec cinq co-accusés, pour non-dénonciation d’une infraction, et a été libérée le 5 septembre 2014. Sylvain Sibomana, secrétaire général du parti, et Anselme Mutuyimana, membre du parti, qui ont chacun été condamnés à six ans d’emprisonnement pour avoir organisé la réunion, sont toujours en prison.
Le 18 septembre 2016, Théophile Ntirutwa, actuel représentant des FDU-Inkingi à Kigali, a été arrêté dans cette ville, apparemment par des militaires, à Nyarutarama. Il a été détenu dans un lieu qu’il ne connaissait pas, a été frappé et interrogé sur son adhésion aux FDU-Inkingi. Il a été libéré deux jours plus tard.
Au cours des dernières années, Théophile Ntirutwa avait informé les autorités à plusieurs reprises des menaces et du harcèlement dont il faisait l’objet. En novembre 2015, il a expliqué à la police, à la Commission nationale des droits de la personne et aux autorités locales et nationales qu’il avait été menacé après qu’il a refusé de signer une pétition en faveur d’amendements de la constitution et de contribuer financièrement au Front patriotique rwandais, le parti au pouvoir.
Très peu de représentants de l’opposition ont la possibilité de fonctionner au Rwanda, et les organisations de défense des droits humains et les médias indépendants sont affaiblis. Dans la période précédant les élections présidentielles de 2010, Human Rights Watch a rapporté une récurrence préoccupante d’abus contre les partis d’opposition, les journalistes, les activistes et d’autres détracteurs. Depuis lors, Human Rights Watch a continué de documenter des abus et des incidents d’intimidation de journalistes.
John Ndabarasa, un journaliste de Sana Radio, a été vu pour la dernière fois dans le district de Kicukiro à Kigali, le 7 août. Le 30 août, la police a annoncé aux médias qu’elle avait ouvert une enquête après avoir été informée de l’affaire par la Commission rwandaise des médias, un organe d’auto-réglementation des médias.
Un ami de John Ndabarasa a reçu un message, prétendument de la part de John Ndabarasa, lui indiquant qu’il partait à l’étranger. Des personnes proches d’Illuminée Iragena ont expliqué qu’après sa disparition, elles avaient reçu des messages similaires, prétendument d’Illuminée Iragena. Ni la famille de John Ndabarasa, ni celle d’Illuminée Iragena ne croient toutefois qu’ils aient quitté le pays.
On ignore si John Ndabarasa a disparu en raison de ses activités de journaliste. John Ndabarasa est un membre de la famille de Joel Mutabazi, ancien garde du corps présidentiel qui a été renvoyé de force de l’Ouganda vers le Rwanda en 2013 où il a été condamné à la prison à perpétuité en octobre 2014 pour des crimes liés à la sécurité. Le frère de Joel Mutabazi, Jackson Karemera, a été condamné à quatre mois d’emprisonnement lors du même procès, mais il a été libéré après le verdict. Jackson Karemera a de nouveau été arrêté et on ne sait pas où il se trouve.
Human Rights Watch a écrit au ministère de la Justice rwandais le 2 et le 22 septembre pour demander des informations sur ces cas individuels. Le ministère a répondu qu’il suivait ces affaires, mais n’a pas fourni de plus amples renseignements.
Dans sa feuille de route de juillet pour exécuter les recommandations de l’Examen périodique universel par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève, le gouvernement rwandais a déclaré qu’il supprimerait toutes les dispositions qui compromettent la liberté d’expression dans une révision en cours des lois sur les médias et les partis politiques. Le Code pénal est également en cours de révision.
« Les affaires concernant Illuminée Iragena, Léonille Gasengayire et John Ndabarasa constituent un test pour l’engagement du gouvernement rwandais à respecter les droits civils et politiques », a conclu Daniel Bekele. « À l’approche des élections présidentielles de 2017, le gouvernement rwandais devrait afficher sa volonté d’enquêter sur les abus présumés contre les journalistes et les activistes de l’opposition, un préalable indispensable pour créer un climat propice à des élections libres et équitables. »
Le journaliste rwandais John Ndabarasa, porté disparu depuis le 7 août 2016.© 2015 Privé/Human Rights Watch