"... les autorités nationales n’aient tiré que peu de leçons de l’assassinat de quatre journalistes européens et des multiples menaces pesant sur les professionnels de l’information. Nous appelons les États à accélérer la mise en œuvre de la recommandation de 2021" - RSF
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 18 septembre 2023.
Deux ans après son adoption, les pays européens ont insuffisamment traduit en actes la recommandation de la Commission européenne sur la sécurité des professionnels de l’information. Reporters sans frontières (RSF) les appelle à prendre des mesures au plus vite pour lutter contre l’impunité des crimes contre les journalistes et assurer leur protection. Sollicités par l’organisation, les gouvernements bulgare et slovaque ont détaillé des nouvelles mesures, quand Malte et la Pologne n’ont fait que de vagues promesses.
Daphne Caruana Galizia à Malte, Jan Kuciak en Slovaquie, Giorgos Karaivaz en Grèce et Peter R. de Vries aux Pays-Bas. Ces quatres journalistes ont été assassinés, en Europe, entre 2017 et 2021. Face à ces drames, la Commission européenne a adopté, le 16 septembre 2021, la recommandation sur la sécurité des journalistes.
Deux ans plus tard, force est de constater que de nouvelles mesures concrètes pour protéger les professionnels de l’information sont encore trop rares au regard de quatre axes prioritaires analysés par RSF : avancée des enquêtes sur les crimes commis contre les journalistes ; coopération entre les autorités et la profession ; services d’assistance aux reporters et mobilisation des autorités pour la sécurité des journalistes couvrant les manifestations.
RSF a en effet analysé l’application du texte européen sur un échantillon varié de dix pays différemment placés dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2023 à partir de 180 pays : l’Allemagne (21e), la Bulgarie (71e), l’Espagne (36e), la France (24e), la Grèce (107e), l’Italie (41e), Malte (84e), la Pologne (57e), la Slovaquie (17e) et la Suède (4e). Sollicités par RSF, seuls les gouvernements bulgare, polonais et slovaque se sont engagés à prendre, à présent, de nouvelles mesures.
« Si nous saluons les nouveaux engagements de certains gouvernements, il n’y a rien à fêter à l’occasion du deuxième anniversaire de la recommandation de l’UE sur la sécurité des journalistes. Nous regrettons que les autorités nationales n’aient tiré que peu de leçons de l’assassinat de quatre journalistes européens et des multiples menaces pesant sur les professionnels de l’information. Nous appelons les États à accélérer la mise en œuvre de la recommandation de 2021. »
Pavol Szalai, Responsable du bureau UE-Balkans de RSF
En matière d’action, quatre des gouvernements, interrogés par RSF, ont promis de faire davantage pour la sécurité des journalistes. La porte-parole du conseil des ministres bulgare, Konstantina Markova, a indiqué qu’un groupe de travail interministériel sur la protection des journalistes venait d’être lancé cet l’été et qu’il « continuera[it] à travailler » sur l’application du texte européen Une initiative qui faisait partie d’une salve de signaux positifs envoyés en juillet et en août. Son homologue maltais, Edward Montebello, a quant à lui assuré à RSF que son gouvernement avait “appliqué et appliqu[ait]les mesures listées par la Commission européenne […] et qu’il était“déterminé à adopter des changements légaux”. Pourtant, ce même gouvernement refuse de publier le rapport sur les réformes de la liberté de la presse rédigé par un organe consultatif sur l’adoption des recommandations issues de l’enquête publique suite à l’assassinat de Daphne Caruana Galizia en 2017.
Considérant que la législation nationale est déjà conforme à de nombreuses dispositions du texte européen, le ministère de la Culture polonais est pour le moment au stade de la collecte des données et de l’étude des meilleures pratiques adoptées par les autres institutions d’État responsables de l’application de la recommandation avant d’envisager des amendements à la législation nationale pour parfaire sa reprise de la recommandation européenne. Les autorités slovaques préparent, quant à elles, des procédures internes sur la protection des reporters durant les manifestations, une révision des formations pour les juges, ainsi que la création « d’un groupe de travail permanent pour coordonner ces mesures et évaluer leur efficacité ».
Les quatre recommandations de RSF pour la protection des journalistes
Afin d’aller plus loin dans la mise en œuvre de la recommandation européenne, RSF demande aux États membres notamment de :
- Mener les enquêtes sur les crimes commis contre les journalistes de manière impartiale, indépendante, efficace et transparente. Alors que l’Allemagne, l’Espagne, la France et la Suède respectent ce principe dans une large mesure, les crimes sont poursuivis à un niveau modéré en Italie, faible en Grèce, à Malte, en Pologne, en Slovaquie et aucunement en Bulgarie. Malgré des progrès judiciaires, l’ensemble des commanditaires des assassinats de Daphne Caruana Galizia en 2017, de Jan Kuciak en 2018 et de Giorgos Karaivaz n’ont toujours pas été condamnés.
- Mettre en place ou soutenir des dispositifs de coopération entre les autorités et les journalistes pour améliorer la sécurité de ces derniers. Sous l’impulsion et avec la contribution de RSF, de telles initiatives ont été lancées depuis 2021 dans plusieurs pays, dont l’Espagne, la France, la Grèce et la Slovaquie. En Allemagne, en Italie et en Suède, ces dispositifs existaient déjà avant l’adoption du texte européen. En revanche, une coopération systématique entre les autorités et la profession est absente en Bulgarie, à Malte et en Pologne.
- Lancer ou apporter un soutien aux services d’assistance dédiés aux journalistes menacés. Alors que ces services sont fournis –souvent avec la participation directe des organisations non gouvernementales telles que RSF – en Allemagne, en France, en Italie, en Slovaquie et en Suède – ils ne sont pas suffisamment épaulés par les autorités. Pire encore, les journalistes en Bulgarie, en Espagne, en Grèce, à Malte et en Pologne ne bénéficient d’aucun dispositif dédié et ne peuvent faire appel, sur le plan national, qu’à des organisations de défense des droits de l’homme.
- Prendre des mesures spécifiques pour la sécurité des journalistes couvrant les manifestations. Les autorités nationales doivent en particulier organiser des formations pour les forces de l’ordre, les procureurs et les juges, ainsi que mettre en place une stratégie d’atténuation des risques pour les journalistes et une communication efficace entre les forces de l’ordre et les journalistes pendant les événements d’ordre public. Si ces recommandations ont été adoptées dans une certaine mesure en Allemagne, en France, en Italie, en Suède et en Slovaquie, elles n’ont pas empêché des violences commises sur les reporters. En France, des dizaines des journalistes ont fait l’objet d’agressions de la part des forces de l’ordre et des manifestants depuis 2021, alors qu’en Allemagne et en Italie ils ont été attaqués surtout par des groupes extrémistes. D’après les informations à la disposition de RSF, aucune formation et aucune stratégie de réduction de risques n’a été mise en place en Bulgarie, en Espagne, en Grèce, à Malte, en Pologne et en Slovaquie.