(RSF/IFEX) – Ci-dessous, un communiqué de presse de RSF du 24 mai 2000: Paris, le 24 mai 2000 Communiqué de presse Cambodge Réunion du groupe des pays donateurs Six journalistes assassinés depuis 1994 : Reporters sans frontières s’inquiète de la totale impunité dans ces affaires A l’occasion de la réunion annuelle du groupe consultatif des […]
(RSF/IFEX) – Ci-dessous, un communiqué de presse de RSF du 24 mai 2000:
Paris, le 24 mai 2000
Communiqué de presse
Cambodge
Réunion du groupe des pays donateurs
Six journalistes assassinés depuis 1994 : Reporters sans frontières s’inquiète de la totale impunité dans ces affaires
A l’occasion de la réunion annuelle du groupe consultatif des pays donateurs et de la délégation du gouvernement du Cambodge, le 25 et 26 mai, à Paris, Reporters sans frontières adresse une série de recommandations aux participants. Elles visent à améliorer durablement la situation de la liberté de la presse.
Depuis la fin de l’année 1998 et la formation d’un nouveau gouvernement de coalition entre les partisans du Premier ministre Hun Sen, réunis au sein du Parti du peuple cambodgien (PPC), et les royalistes, la situation de la presse s’est notablement améliorée. La presse écrite jouit d’une réelle liberté et plus de 260 publications sont recensées par le ministère de l’Information. Mais sur ces très nombreux titres, seulement une dizaine paraissent régulièrement.
Les lois en vigueur dans le pays permettent de suspendre des titres sur simple décision administrative du ministère de l’Information. Ainsi, le 4 avril 2000, le ministère de l’Information a suspendu l’hebdomadaire Cambodia News Bulletin, pour une durée de 30 jours.
Les assassinats de journalistes – six ont été tués entre 1994 et 1997 – restent impunis. La police n’a identifié aucun des meurtriers et l’on peut craindre que les procès n’aient jamais lieu.
Six journalistes assassinés entre 1994 et 1997
Entre 1994 et 1997, six journalistes ont été assassinés pour avoir exercé leur profession. En juin 1994, Tou Chom Mongkol, le rédacteur en chef d’Antarakhum, est retrouvé mort dans une rue de la capitale. La police conclut, dans un premier temps, à un accident de circulation mais les expertises médico-légales infirment cette thèse. Le journal qu’il dirigeait avait publié une série d’articles mettant en cause des personnalités politiques et militaires dans des affaires de corruption. En septembre de la même année, Nuon Chan, rédacteur en chef de Samlong Yuvachon Khmer, est tué par balles. Deux suspects sont arrêtés et reconnaissent les faits. Ils n’ont jamais été jugés et les commanditaires n’ont pas été identifiés. Les articles publiés dans ce journal, proche du ministre Sam Rainsy, avaient valu à ce journaliste de nombreuses menaces. Au mois de décembre 1994, Sao Chan Dara, correspondant du journal en langue khmère Koh Santepheap, est abattu par deux inconnus dans la province de Kompong Cham (au nord-est de la capitale). Quelques semaines auparavant, le journaliste avait mis en cause les autorités locales dans une affaire de trafic de bois.
En mai 1996, Thun Bun Ly, ancien rédacteur en chef du journal d’opposition Uddomgatik Khmer, est abattu par un tueur à moto. Quelques jours avant sa mort, dans un article, celui-ci avait eu des mots très durs envers la femme du Premier ministre Hun Sen.
En mars 1997, lors d’un attentat à la grenade contre une manifestation de l’opposant Sam Rainsy, Chet Duong Daravuth, ancien journaliste de Neak Proyuth, trouve la mort. Dix-huit autres journalistes sont blessés. Au mois de juillet de la même année, durant les affrontements qui opposent dans la capitale, les forces royalistes et celles du PPC, Michael Senior, un journaliste canadien travaillant pour la télévision cambodgienne, est abattu à bout portant par des soldats de l’armée cambodgienne en plein centre de Phnom Pemh.
Aucun des assassins de ces journalistes n’a été jugé et les enquêtes sont au point mort. Il en est de même pour toutes les autres atteintes à la liberté de la presse – attaques à la grenade, au lance roquette, agressions et menaces – perpétrées pendant les années 90. En raison de cette impunité, les journalistes ne travaillent pas en toute sérénité. Ainsi, par peur de représailles, certains journaux de l’opposition choisissent de ne pas donner leur adresse.
Des médias électroniques contrôlés par le pouvoir
Les médias électroniques – il existe six chaînes de télévision en langue khmère et quatorze stations de radios sur la bande FM – restent sous le contrôle du gouvernement. La quasi-totalité des radios et télévisions en langue khmère appartiennent à des membres du gouvernement ou à leurs proches. L’opposant Sam Rainsy, malgré ses demandes répétées, n’a jamais pu obtenir de licence du ministère de l’Information.
La radio internationale Voice of America peut être captée en ondes moyennes et Radio Free Asia en ondes courtes. Cette dernière n’a pas obtenu, début 2000, l’autorisation du ministère de l’Information pour émettre en FM.
Enfin, le développement de l’Internet est bridé par les autorités. Le gouvernement n’a pour l’instant autorisé, en plus du fournisseur d’accès public, camnet.com.kh, qu’un seul fournisseur privé : big-pond.com.kh. Les médias sont sous-équipés. Ainsi, le principal quotidien, Raksmey Kampuchéa, n’a pas d’adresse électronique.
Une loi sur la presse répressive
Le seul texte régissant les médias est la Loi sur le régime de la presse promulguée le 18 juillet 1995. Des notions floues telles que « l’atteinte à la sécurité nationale et à la stabilité politique » ou les « informations insultant ou tournant en dérision les pouvoirs publics » sont autant de menaces pour les journaux.
Cette loi de 1995 donne tout pouvoir au ministère de l’Information cambodgien. L’article 12 permet notamment de suspendre une publication pour une période maximum de trente jours en cas « d’atteinte à la sécurité nationale et à la stabilité politique ». Dans la plupart des cas, quand le gouvernement menace de suspendre un journal, les responsables de celui-ci échappent aux sanctions en écrivant une lettre d’excuses au ministère. Mais la menace persiste.
Le 15 septembre 1999, le secrétaire d’Etat à l’Information, Oum Darawuth, annonce la suspension pour un mois du journal antiroyaliste Sathearnakroath (Les Nouvelles républicaines). Il justifie cette sanction par la publication de deux articles considérés comme « irrespectueux » à l’égard du roi. Le journal a traité le roi de « vieux renard », faisant référence à sa longue carrière politique.
Le 4 avril 2000, le ministère de l’Information décide de suspendre l’hebdomadaire Cambodia News Bulletin (CNB) pour une durée de trente jours. Le motif invoqué : « diffamation envers plusieurs membres du gouvernement. » La direction du CNB nie ces accusations. Et affirme qu’elle n’a reçu aucune demande de rectification ou de droit de réponse, comme la loi de 1995 le prévoit dans les cas où une personne s’estime injustement mise en cause.
Même la presse en langue étrangère, pourtant beaucoup plus indépendante que celle en langue khmère, n’est pas à l’abri des pressions. En octobre 1998, les autorités avaient envisagé la suspension de deux journaux en Anglais, The Cambodia Daily et Phnom Penh Post, et l’expulsion de journalistes américains ayant commis « des erreurs professionnelles graves ».
Le gouvernement avait annoncé, au moment de sa promulgation en 1995, que la loi serait suivie de décrets d’application, plus libéraux, mais ces promesses n’ont jamais été tenues. En revanche, dans le domaine audiovisuel, un projet de loi est actuellement à l’étude. Il devrait aller dans le sens d’une libéralisation du secteur.
Recommandations
Reporters sans frontières recommande au gouvernement du Royaume du Cambodge de:
– rendre public les conclusions des enquêtes sur les six meurtres de journalistes ayant eu lieu entre 1994 et 1997,
– modifier la Loi sur le régime de la presse, et notamment son article 12 qui permet, entre autres, de suspendre une publication pour une période maximum de trente jours en cas « d’atteinte à la sécurité nationale et à la stabilité politique »,
– proposer dans les plus brefs délais un projet de loi sur l’audiovisuel, libéralisant ce secteur et établissant un organe indépendant d’attribution des fréquences.
Reporters sans frontières recommande également aux journalistes cambodgiens de respecter scrupuleusement les règles d’éthique et de déontologie professionnelles telles que définies dans la Charte des droits et des devoirs des journalistes adoptée à Munich en 1971.
Enfin, Reporters sans frontières recommande aux pays donateurs de:
– faire pression sur le gouvernement du Cambodge afin que de véritables enquêtes soient menées sur les meurtres de journalistes,
– apporter une assistance aux médias, en matière notamment d’accès à l’Internet.