Le texte, en discussion depuis deux ans, et dont la dernière version a été adoptée en catimini par le parlement fédéral, prévoit de nombreuses dispositions vagues et liberticides.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 23 janvier 2020.
Alors que le projet de loi sur les médias en Somalie a été adopté par le parlement, Reporters sans frontières (RSF) demande au président de ne pas signer un texte qui ouvrirait la voie à de nombreuses poursuites criminelles pour de simples délits de presse et qui saperait les efforts encourageants entrepris depuis un an par les autorités en faveur de la liberté de la presse dans le pays.
Une signature du président Mohamed Abudllahi Mohamed dit “Farmajo” en bas du projet de loi sur les médias et les journalistes somaliens auront de bonnes raisons de s’inquiéter. Le texte, en discussion depuis deux ans, et dont la dernière version a été adoptée en catimini par le parlement fédéral, prévoit de nombreuses dispositions vagues et liberticides. L’article 3 rend par exemple illégal, et donc répréhensible, la publication sous la contrainte ou la menace, par exemple d’acteurs politiques ou armés, d’informations “contraires aux intérêts du pays, à la sécurité, à l’économie et à la société”. Le secret des sources n’est pas protégé et les journalistes sont responsables des conséquences des révélations d’une information confidentielle.
Le texte expose les journalistes à des amendes dont les montants ne sont pas précisés et à des recours possibles devant des “juridictions compétentes” qui ne sont pas définies, ouvrant la possibilité à des peines privatives de liberté.
“Définitions vagues, dispositions liberticides, possibilité de poursuites criminelles ouvrant la voie à des peines privatives de liberté, restrictions draconiennes du droit de diffuser des informations, organe de régulation sous la coupe des autorités politiques, ce projet de loi, s’il était adopté en l’état serait mortifère pour les journalistes et médias somaliens, estime Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique de RSF. A quelques mois des prochaines élections nationales, cela pourrait faire peser de sérieuses menaces sur l’exercice du journalisme et enverrait un message terrible à celles et ceux qui se battent pour produire des informations de manière indépendante dans un contexte sécuritaire déjà difficile. Nous demandons au président de ne pas promulguer ce texte afin de ne pas anéantir les efforts encourageants en faveur de la liberté de la presse observés ces derniers mois en Somalie.”
Des journalistes sous la tutelle du ministre de l’Information
Le projet de loi prévoit également un “registre des journalistes” sur lequel doivent être inscrits toutes celles et ceux souhaitant exercer ce métier. Le dispositif implique un examen des qualifications et une approbation du ministre de l’Information. La liberté d’édition et de publication est remise en cause par l’introduction d’un système d’autorisation et de versement d’une caution préalable à la création d’un titre de presse.
L’organe de régulation des médias risque par ailleurs de manquer cruellement d’indépendance puisque la nomination de ses membres doit être approuvée par le conseil des ministres sur recommandations du ministre de l’Information. Ce dernier se voit confier des pouvoirs exorbitants avec entre autres la préparation d’un code de conduite des médias exigeant des journalistes qu’ils “évitent de répandre des “images perturbantes pour la société” ou qui “violent la morale publique”.
Avec 26 journalistes tués depuis 2013, dont trois l’année dernière, la Somalie reste le pays le plus meurtrier d’Afrique subsaharienne pour les professionnels de l’information. Les arrestations arbitraires y sont encore fréquentes, notamment au Somaliland et dans le Puntland. Vingt-cinq journalistes en ont fait les frais en 2019 selon le rapport annuel du syndicat national des journalistes somaliens (Nusoj).
Dans ce contexte, le président et le Premier ministre ont tout de même envoyé des signaux encourageants, notamment en matière de lutte contre l’impunité. Le policier qui avait abattu le cameraman de SBS, Abdirisak Qasim Iman, à Mogadiscio en juillet 2018 a été condamné par contumace à cinq ans de prison ferme. RSF continue à demander aux autorités de tout mettre en oeuvre pour qu’il soit arrêté afin qu’il effectue sa peine. Deux soldats qui avaient ligoté et laissé en plein soleil deux journalistes qui faisaient des interviews dans la rue ont également été arrêtés et renvoyés de l’armée.
La Somalie occupe la 164e place sur 180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.