"L'ancien texte punissait de 2 mois à 5 ans de prison les crimes et délits de presse alors que le nouveau projet de loi faisait passer la peine à 1 à 3 mois", affirme RSF.
(RSF/IFEX) – Reporters sans frontières prend acte du rejet par l’Assemblée nationale tchadienne, le 2 juin 2010, du projet de loi relatif au régime de la presse introduit par le gouvernement. Ce texte devait remplacer l’ordonnance 05 adoptée par décret du président de la République, le 20 février 2008, au lendemain de l’offensive rebelle sur N’Djamena.
« Il est temps que le Tchad adopte une nouvelle loi sur la presse car, depuis plus de deux ans, les journalistes du pays exercent dans le cadre très répressif d’une ordonnance adoptée dans des circonstances exceptionnelles. Nous nous réjouissons cependant du rejet par les parlementaires tchadiens de ce projet de loi car il ne constituait qu’un toilettage de l’ordonnance 05 et il prévoyait encore des peines de prison pour les journalistes. Nous appelons les autorités tchadiennes à avancer résolument vers la dépénalisation des délits de presse et à privilégier le dialogue avec les associations de défense des journalistes afin de parvenir au vote d’un nouveau texte de loi consensuel », a déclaré l’organisation, qui s’était entretenue, le 1er juin, avec le président de l’Assemblé nationale, Nassour Guelendouksia Waiddou.
Le 2 juin, les députés tchadiens réunis en assemblée plénière ont été appelés à se prononcer sur deux projets de loi. Le premier, sur le régime de la communication audiovisuelle, a été adopté. Le second, relatif au régime de la presse, présenté par Mahamat Saleh Malloum, rapporteur général adjoint au nom de la commission « Communication, droits fondamentaux et libertés » de l’Assemblée nationale, a été rejeté. Sur les 72 députés, 31 ont voté contre, 18 se sont abstenus, et 23 ont voté pour le projet de loi.
Celui-ci visait à atténuer les peines prévues par l’ordonnance 05, mais ne les supprimait pas. Par exemple, l’ancien texte punissait de 2 mois à 5 ans de prison les crimes et délits de presse alors que le nouveau projet de loi faisait passer la peine à « 1 à 3 mois ». Par ailleurs, il prévoyait un délit spécial d' »offense au chef de l’Etat » et accordait des pouvoirs trop importants à l’organe de régulation des médias, le Haut Conseil de la communication (HCC).
Les états généraux de la communication, tenus au printemps 2009, ont recommandé au gouvernement d’abroger purement et simplement l’ordonnance 05 et de procéder au réaménagement de la loi 29 de 1994. Refusant de suivre ces recommandations, celui-ci a préféré soumettre au vote des parlementaires un nouveau projet de loi. Le rejet de ce texte par les députés rend caduque l’ordonnance 05 et entraîne de fait le retour de la loi 29 de 1994.
Les associations tchadiennes de défense des journalistes, avec à leur tête l’Union des journalistes tchadiens (UJT), avaient vivement critiqué ce nouveau projet de loi et la méthode utilisée par le gouvernement pour le faire passer, sans débat et dans l’urgence.
« Le problème c’est la méthode que le gouvernement a adoptée. Il a voulu opérer un passage en force. Nous sommes satisfaits que le projet de loi ait été rejeté par les parlementaires », a confié le 2 juin, Evariste Ngarlem Toldé, président de l’UJT à Reporters sans frontières.
« Pour autant la bataille n’est pas encore gagnée. Une loi d’habilitation a été adoptée le même jour par l’Assemblée nationale. Elle autorise le gouvernement à légiférer, entre le 3 juin et le 4 octobre 2010, par voie d’ordonnance pour tous les projets concernant le Tchad. Nous craignons qu’il ne profite de cette disposition pour rebondir rapidement et présenter avant octobre un nouveau projet de loi. Nous devons travailler à pied d’oeuvre avec l’Assemblée nationale et d’autres organisations tchadiennes, afin de proposer au gouvernement un nouveau projet de loi consensuel », a-t-il ajouté.
Reporters sans frontières enjoint le gouvernement tchadien de privilégier la concertation, de suivre les recommandations des experts du domaine des médias dans l’élaboration de la future loi sur la presse, et de revenir sur la loi d’habilitation récemment adoptée de manière à éviter qu’un projet de loi soit adopté par ordonnance.