Au Tchad, pour la deuxième fois en quelques mois, un journaliste a écopé d’une peine de prison ferme après des poursuites pour diffamation.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 7 janvier 2020.
Alors qu’un directeur de publication condamné à trois ans de prison, notamment pour diffamation, croupit derrière les barreaux dans des conditions exécrables depuis cinq mois, le correspondant d’une radio vient d’être condamné à six mois de prison ferme après avoir critiqué les insuffisances de la justice. Reporters sans frontières (RSF) dénonce la multiplication de ces condamnations disproportionnées qui n’ont d’autre but que de faire taire des journalistes.
Ecrire au péril de sa liberté. Au Tchad, pour la deuxième fois en quelques mois, un journaliste a écopé d’une peine de prison ferme après des poursuites pour diffamation. Ali Hamata Achène, correspondant de la radio DJA FM, à Mongo dans le centre du Tchad, vient d’être condamné à six mois de prison ferme et 152 euros d’amende. Arrêté le 26 décembre 2019, il était poursuivi pour diffamation et outrage à magistrat après avoir dénoncé sur Facebook les lenteurs et la corruption de la justice dans sa région.
“Les autorités tchadiennes vont-elles jeter en prison chaque journaliste poursuivi pour diffamation? La multiplication des peines de prison ferme pour de simples délits de presse constitue une grave dérive, déplore Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique de RSF. Ces sanctions, très contestables sur le fond, sont complètement injustifiées et disproportionnées sur la forme. En l’état, le droit tchadien permet aux auteurs de poursuites de faire écrouer des journalistes dès que des écrits leur déplaisent. Cela porte gravement atteinte à la liberté de la presse et constitue une menace importante sur l’exercice du journalisme dans ce pays. Ces peines s’inscrivent également en totale contradiction des positions sur le droit à la critique récemment exprimés par le président.”
Dans un communiqué, la station de radio du journaliste avait indiqué que cette arrestation faisait suite à une enquête de son correspondant sur la justice locale. Ce dernier s’était rendu chez un juge d’instruction pour le confronter aux éléments qu’il avait recueillis trois jours avant d’être convoqué par un officier de police judiciaire.
Lors d’un forum sur le numérique organisé au Tchad en juillet 2019, le président Idriss Deby Itno avait invité ses concitoyens à “s’exprimer en toute liberté” et à “critiquer librement” la conduite des affaires publiques et l’action des gouvernants, affirmant qu’il s’agissait de leur “droit le plus absolu”.
Dans une enquête publiée en décembre, RSF avait dénoncé les conditions de détention “exécrables” du journaliste Martin Inoua Doulguet, lui aussi condamné à une peine de prison ferme, à la suite d’une plainte en diffamation. Le directeur de publication de Salam Info qui occupe une cellule de fortune, construite par les prisonniers eux-mêmes, et qui doit payer pour bénéficier de toilettes propres, avait été arrêté le 16 août 2019 et condamné un mois plus tard à trois ans de prison ferme pour “diffamation”, “dénonciations calomnieuses” et “association de malfaiteurs informatiques” après une plainte déposée par une ancienne ministre de la Santé accusée d’agression sexuelle par sa nièce. Depuis le lancement de son journal en 2018, le journaliste avait fait l’objet de nombreuses convocations et menaces après avoir dénoncé des affaires de corruption. Son domicile et sa voiture avaient aussi été incendiés.
Le Tchad occupe la 122e place sur 180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2019.