Les menaces et arrestations régulières pèsent sur les professionnels de l'information.
(JED/RSF/IFEX) – Trente-et-un membres de l’IFEX signent une lettre ouverte au président congolais Joseph Kabila:
Monsieur Joseph Kabila
Président de la République
Kinshasa – République démocratique du Congo
Le 14 septembre 2010
Monsieur le Président de la République,
Nous, les organisations soussignées, souhaitons attirer votre attention sur la détérioration persistante du climat de travail pour les journalistes, ainsi que sur la réduction progressive des espaces de liberté d’expression en RD Congo.
En guise d’illustration nous signalons notamment les menaces et arrestations régulières pesant sur les professionnels de l’information au cours des derniers mois, ainsi que les difficultés de la presse étrangère à travailler convenablement.
Nos organisations ont même recensé, dans les deux derniers mois, près d’une dizaine d’attaques délibérées contre des journalistes et contre des médias, ce qui peut préluder, si on n’y prend garde, à une répression plus grande à l’approche des échéances électorales annoncées.
A titre illustratif :
1. Le 17 août 2010, Michel Tshiyoyo, cameraman de la Radio Télévision Amazone (RTA) émettant à Kananga, capitale de la province du Kasaï-Occidental, a été évacué d’urgence sur Kinshasa par la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation du Congo (MONUSCO). Le journaliste recevait, depuis quelques jours, des menaces de mort par SMS de la part des individus supposés proches du gouverneur de la province, Trésor Kapuku. Le seul tort du journaliste est d’avoir été un témoin gênant des affrontements ayant opposé, quelques jours auparavant, le gouverneur et ses hommes à la population du village de Lwandanda, à 25 kilomètres de Kananga. Même après son évacuation, le journaliste a déclaré continuer de recevoir des menaces, comme celle l’avertissant que « l’assassinat est fréquent à Kin ».
2. Pascal Mulunda, éditeur de l’hebdomadaire privé « Le Monitor », vient d’être libéré après avoir passé 24 jours en prison et payé $US 600 de caution injustifiée. Le journaliste avait été arrêté, le 27 juillet, et placé en détention provisoire à la prison centrale de Kinshasa. Cette mesure faisait suite à une plainte en diffamation déposée par Baudouin Iheta, coordinateur du service public d’assistance et d’encadrement du Small Scale Mining (Saesscam), qui reprochait au journaliste la publication, le 23 juin dernier, d’un article dans lequel il dénonçait sa mauvaise gestion et le détournement des biens publics. Le 19 août, Pascal Mulunda a bénéficié d’une libération conditionnelle. Son avocat a déclaré que son client devait se présenter chaque mardi et vendredi devant le magistrat et qu’il lui était interdit de quitter la capitale avant la clôture de son dossier.
3. Après cinq mois en détention, le journaliste Jullson Eninga, du quotidien « Le Journal », a finalement été acquitté le 6 septembre. Initialement accusé de faire la « propagande de la rébellion », une infraction qui n’existe pas dans la législation congolaise, il risquait entre 20 ans de prison et la peine de mort. Eninga était détenu depuis le 13 avril suite à la publication par « Le Journal », dans son édition du vendredi 11 septembre 2009, d’un communiqué, tiré sur internet, des rebelles Hutus des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), opérant à l’est de la RDC. Le journaliste a clamé son innocence en affirmant qu’il s’agissait d’une méprise de son journal pour laquelle il a officiellement demandé pardon aux autorités congolaises. Pourtant, « Le Journal » reste suspendu depuis une année par le ministre de la Communication, qui a également saisi la justice pour obtenir une double sanction contre le média incriminé.
4. Le 26 juillet, les signaux d’émission de Canal Kin Télévision (CKTV), Canal Congo Télévision (CCTV) et Radio liberté Kinshasa (Ralik), propriétés de M. Jean-Pierre Bemba, ont été coupés. Selon nos informations, un commando armé a fait irruption au milieu de la nuit dans les installations abritant les émetteurs et a ordonné aux techniciens de couper les faisceaux de ces trois chaînes proches de l’opposition. Aucune explication officielle n’a été donnée aux médias qui ont pu reprendre une activité normale deux jours plus tard.
5. Le 28 juillet, plusieurs militaires ont fait irruption dans les locaux de la radio Moto Oïcha, à Oïcha, dans le territoire de Béni (province du Nord-Kivu), et ont demandé à parler à un animateur. Ce dernier étant absent, les hommes armés s’en sont pris au technicien, qu’ils ont passé à tabac avant de fouiller tout le bâtiment. Inquiet pour sa sécurité, l’animateur vit désormais dans la clandestinité. Quelques jours avant cet incident, le rédacteur en chef de la radio avait reçu des menaces de mort anonymes par téléphone.
Toutes ces atteintes à la liberté de la presse sont symptomatiques des difficultés pour les journalistes congolais d’exercer leur métier à l’abri des menaces et des risques, que ce soit dans la capitale ou en province, notamment dans l’est du pays.
Nous exigeons:
– l’application d’un moratoire sur les emprisonnements de journalistes pour les délits de diffamation et d’offense aux autorités, dans la perspective de l’élection présidentielle de 2011, afin de permettre aux professionnels de l’information de jouer leur rôle de quatrième pouvoir contre la corruption et tentatives potentielles de fraude électorale.
– la mise en place dans les meilleurs délais du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et de la Communication (CSAC), seul organe habilité à réguler le fonctionnement des médias et à permettre un accès équitable de tous aux médias publics. Cette instance de régulation doit permettre de lutter contre les dérapages et les risques de politisation à outrance des médias qui pourraient survenir au cours de l’année électorale à venir.
Il est aujourd’hui plus urgent que jamais que vous engagiez les réformes profondes et courageuses afin de faire progresser la liberté de la presse en République démocratique du Congo. Cela permettrait à la fois de répondre aux problèmes actuels mais aussi de préparer l’année à venir, sachant qu’à un an de l’élection présidentielle de 2011, les journalistes congolais risquent de faire face à de nouvelles difficultés liées à la campagne électorale.
Dans l’espoir que vous tiendrez compte de nos requêtes, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre très haute considération.