Trois nouveaux journalistes érythréens, Dawit Habtemichael, Mattewos Habteab et Wedi Itay sont morts dans le camp pénitentiaire d'Eiraeiro.
(RSF/IFEX) – Le 30 août 2012 – Après plusieurs semaines d’enquête pour confirmer des informations provenant de sources en Erythrée et de gardes de prison ayant fui le pays, Reporters sans frontières est en mesure d’affirmer que trois nouveaux journalistes – Dawit Habtemichael, Mattewos Habteab et Wedi Itay – tous arrêtés à la fin de l’année 2001, sont morts dans le camp pénitentiaire d’Eiraeiro (Nord-Est).
Un autre journaliste, arrêté en février 2009 mais dont l’identité n’a pas pu être déterminée avec certitude, serait également mort en détention, dans la prison militaire d’Adi Abeito, près de la capitale Asmara. Seule « bonne nouvelle », le célèbre journaliste sportif pour la radio publique Dimtsi Hafash et la chaîne publique Eri-TV, Tesfalidet Mebrahtu, alias « Topo », a été relâché sous caution début 2012, après dix mois de détention.
« Alors que tous les regards sont braqués sur la Syrie, un autre drame se joue, moins visible et dans un Etat oublié de la communauté internationale, l’Erythrée. Dans ce pays, le pire au monde pour la liberté de la presse et la plus grande prison d’Afrique pour les professionnels des médias, des journalistes ont été jetés en prison, certains depuis plus de dix ans, simplement pour avoir osé s’exprimer. Un par un, ils disparaissent. Aunord-est de la capitale Asmara, Eiraeiro n’est pas une prison, c’est un camp de la mort », a déclaré Reporters sans frontières.
En janvier 2008, l’organisation avait publié de premières révélations sur les conditions de détention dans le camp d’Eiraeiro après avoir rencontré un ancien garde. En 2010, les confessions d’un autre garde, Eyob Bahta, lequel venait de fuir vers l’Ethiopie, avaient permis d’obtenir de nouvelles informations. Le rapport qui suit est le fruit de nouveaux témoignages sur ce camp de la mort.
I – Trois nouveaux morts parmi les journalistes emprisonnés depuis 2001
Dawit Habtemichael
Agé de trente ans lors de son arrestation, le 21 septembre 2001, après trois jours passés à se cacher dans le lycée où il enseignait la physique, le rédacteur en chef adjoint et cofondateur du bihebdomadaire Meqaleh était à l’époque le plus jeune parmi les journalistes érythréens envoyés en prison. A partir de 2007, sa santé mentale est affectée, il devient schizophrène. En 2010, il perd la raison. Malgré la sévère détérioration de son état de santé, Dawit Habtemichael n’a bénéficié d’aucun soin médical. Cette absence d’assistance serait la cause de sa mort, intervenue au cours du deuxième semestre 2010. A Eiraeiro, Dawit Habtemichael était le prisonnier numéro 12.
Mattewos Habteab
Après avoir été transférés, fin 2008, dans une prison de l’archipel des Dahlaks, Mattewos Habteab et Temesgen Gebreyesus avaient tous deux été reconduits sur le continent, au camp pénitentiaire d’Eiraeiro. C’est là que Mattewos Habteab, rédacteur en chef et cofondateur de Meqaleh, a finalement succombé à des conditions de détention trop difficiles.
Sahle Tsegazab, alias Wedi Itay
Ecrivain et journaliste freelance, collaborant régulièrement avec plusieurs journaux, comme Keste Debena mais également le quotidien pro-gouvernemental Hadas Eritrea, Wedi Itay avait été arrêté en octobre 2001. Il fait partie des personnes décédées au camp d’Eiraeiro, d’une maladie non identifiée et par manque de soins.
Avant celle de ces trois hommes, la mort de quatre journalistes arrêtés en même temps qu’eux avait déjà été confirmée : Medhanie Haile, Yusuf Mohamed Ali, Said Abdulkader, et Fessehaye Yohannes, dit « Joshua ».
Il ne reste ainsi que quatre journalistes encore en vie parmi les victimes de la rafle de septembre 2001 : Dawit Isaac ; Seyoum Tsehaye ; Amanuel Asrat ; et Temesgen Gebreyesus.
II – Tortures et mauvais traitements pour les journalistes de médias d’Etat emprisonnés depuis 2009
Ancien garde de la prison militaire d’Adi Abeito, où sont détenus la plupart des journalistes de Radio Bana et autres médias d’Etat arrêtés en février 2009, Berhane Afro a fui l’Erythrée en 2012 pour demander l’asile en Israël. Selon son témoignage, le ministre érythréen de l’Information, Ali Abdu, ainsi que l’un de ses employés, Asmelash, se sont rendus en personne à Adi Abeito pour s’entretenir avec le directeur de la prison, Wedi Welela.
Toujours selon Berhane Afro, les journalistes détenus dans cette prison sont soumis à diverses sortes de torture : passages à tabac, détention à l’isolement, privation de nourriture, décharges électriques, manque d’accès aux soins, etc.
Ces terribles conditions de détention auraient coûté la vie à un journaliste prénommé Bereket. Il est à craindre qu’il s’agisse de Bereket Misghina, mais Reporters sans frontières n’est pas en mesure de le confirmer avec certitude.
Tous les journalistes arrêtés en 2009 sont accusés de connivence avec des ONG et gouvernements occidentaux ainsi qu’avec des mouvements d’opposition en exil. Ils ne sont pas autorisés à recevoir de visite. Certains d’entre eux, comme Mulubrahan Habtegebriel, journaliste, écrivain et traducteur, et Meles Negusse, jeune journaliste et poète, sont toujours détenus à Adi Abeito. D’autres ont été transférés dans d’autres centres de détention, comme le journaliste de la chaîne publique Eri-TV Isaac Abraham à May Srwa.
Arrêtée également en février 2009, la journaliste Yirgalem Fisseha Mebrahtu se trouverait toujours dans un hôpital de la capitale.
Trois semaines de silence forcé pour Radio Erena, la voix érythéenne indépendante
Par ailleurs, la station Radio Erena (« Notre Erythrée ») lancée par Reporters sans frontières en juin 2009, qui émet à destination de l’Erythrée et de la diaspora de ce pays parmi les plus fermés du monde, a été victime d’un sabotage qui a entrainé l’interruption de sa diffusion pendant trois semaines sur le satellite Arabsat.
Seule source d’information indépendante en langue locale pour les Érythréens de l’intérieur, la station Radio Erena est l’objet de l’hostilité réitérée du gouvernement d’Erythrée. Le 14 août, une porteuse pirate brouillait le signal et empêchait la transmission jusqu’à son rétablissement le 2 septembre, vers 18 heures.
« La suspension de Radio Erena pendant plus de trois semaines n’a rien d’anodin. La station joue un rôle essentiel, en proposant une information impartiale et responsable à tout un peuple qui en est privé. Ouverte à tous les acteurs de la vie érythréenne, qu’ils soient de l’opposition, de la société civile ou du gouvernement, elle paie aujourd’hui son indépendance au prix fort », a déploré Reporters sans frontières.