Les autorités ukrainiennes affirment avoir résolu l’assassinat du journaliste Pavel Cheremet. RSF s’inquiète de l’inconsistance des preuves apportées et demande la poursuite de l’enquête.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 10 janvier 2020.
Les autorités ukrainiennes affirment avoir résolu l’assassinat du journaliste Pavel Cheremet. Reporters sans frontières (RSF) s’inquiète de l’inconsistance des preuves apportées et demande la poursuite de l’enquête.
En décembre 2019, après trois ans et demi d’une enquête entachée de nombreuses failles, la police ukrainienne a formellement accusé cinq suspects dans l’assassinat du journaliste Pavel Cheremet, tous vétérans de la guerre du Donbass, dans l’est du pays. Le rédacteur en chef du quotidien en ligne Ukrainskaya Pravda avait été tué à Kiev par l’explosion d’une bombe placée sous le siège de sa voiture le 20 juillet 2016.
Le parquet déclare avoir résolu l’affaire, mais s’appuie sur quatre expertises contestées et refuse de rendre public toutes les preuves en sa possession. Après une plainte du principal accusé contre le président et le ministre de l’Intérieur ukrainiens, puis des tentatives de chantage et des pressions sur certains témoins, l’enquête est à nouveau ternie ces derniers jours par une série de révélations. Ainsi, d’après l’expertise judiciaire d’une vidéo de surveillance, révélée par le média en ligne thebabel.net, l’homme ayant posé la bombe dans la voiture mesurait environ 1m70, et se trouvait en compagnie d’une femme de 1m65. Or, le principal suspect masculin arrêté en décembre, le musicien Andreï Antonenko, mesure 1m80, selon son avocat.
« Il est urgent de connaître la vérité sur cet assassinat, affirme la responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF, Jeanne Cavelier. Alors qu’un autre journaliste a été tué en 2019 dans le pays, RSF demande aux autorités ukrainiennes davantage de transparence de l’enquête. L’affaire Cheremet doit être l’occasion d’initier une lutte réelle contre l’impunité et, au delà des exécutants, d’identifier et de juger les commanditaires. »
L’enquête officielle avait été relancée après la diffusion du documentaire « Killing Pavel », réalisé par un collectif de journalistes d’investigation de l’OCCRP (Organized Crime and Corruption Reporting Project) et de Slidstvo.info. « Je ne dis pas qu’ils ont arrêté les mauvaises personnes, je n’en sais rien, explique Anna Babinets, rédactrice en chef de Slidstvo.info, qui a travaillé sur l’enquête, mais une chose est sûre : Les preuves fournies pour les inculper ne sont pas assez solides. »
De leur côté, les anciens collègues de Pavel Cheremet se déclarent « choqués » par la version du procureur général, en particulier par le nouveau motif officiel du meurtre, « tentative de déstabilisation du pays », qui leur semble incohérent. Jusqu’ici, la police retenait la piste de représailles liées à ses activités journalistiques.
Par ailleurs, un diplomate américain en poste à Kiev, William Taylor, a révélé que le ministre de l’Intérieur Arsen Avakov s’était adressé à d’autres pays pour obtenir de l’aide dans cette affaire. Seul ministre conservé par le nouveau président Volodymyr Zelensky lors de son arrivée au pouvoir en mai 2019, M. Avakov a été soumis à une obligation de résultat avant la fin de 2019. Il avait donc une motivation politique à faire avancer l’enquête coûte que coûte. Selon le diplomate américain, M. Avakov semble lui-même douter de la validité de ses conclusions.
L’Ukraine occupe la 102e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse 2019 de RSF.