(RSF/IFEX) – Ci-dessous, un communiqué de presse de RSF: 12 avril 2000 : diffusion immédiate Un an de présidence d’Abdelaziz Bouteflika : une presse sous haute surveillance Une année après l’élection controversée d’Abdelaziz Bouteflika, la liberté de la presse reste précaire. Durant la campagne électorale déjà, le candidat Bouteflika avait tenu des propos peu élogieux […]
(RSF/IFEX) – Ci-dessous, un communiqué de presse de RSF:
12 avril 2000 : diffusion immédiate
Un an de présidence d’Abdelaziz Bouteflika : une presse sous haute surveillance
Une année après l’élection controversée d’Abdelaziz Bouteflika, la liberté de la presse reste précaire. Durant la campagne électorale déjà, le candidat Bouteflika avait tenu des propos peu élogieux sur la presse de son pays. Il avait traité les journalistes de « tayabet el hammam » (commères), ce qui avait créé, à l’époque, une vive polémique entre l’actuel président algérien et la presse privée.
Le climat de peur, imposé par dix années de guerre civile, qui oppose, dans une totale confusion, des groupes armés se revendiquant du courant islamiste radical, et les différentes forces de sécurité, reste un frein à la liberté d’informer. Malgré les tentatives du Président visant à la réconciliation nationale, de nombreux attentats ont été perpétrés dans plusieurs régions du pays. Depuis le 15 avril 1999, et selon un décompte de la presse, plus d’un millier de personnes ont trouvé la mort. Les zones qui ont été le théâtre de massacres, sont placées sous haute surveillance militaire. Les journalistes algériens et étrangers ne peuvent y effectuer aucune enquête sérieuse. La plupart des quotidiens algériens, quant à eux, reprennent la version officielle et attribuent tous les assassinats aux groupes islamistes.
L’audiovisuel reste totalement contrôlé par l’Etat. Les radios et la télévision continuent de relayer la propagande du régime. Le président Bouteflika s’est, lui-même, décrit comme le « rédacteur en chef » des médias publics. Dans une interview accordée à la chaîne arabe MBC, en novembre 1999, il avait affirmé que « les opérateurs privés ne pourront pas investir dans l’audiovisuel et créer des chaînes de radio ou de télévision tant que l’état d’urgence, décrété en 1992, restera en vigueur ».
La loi organique relative à l’information, dont les dernières modifications ont été adoptées par le gouvernement le 9 septembre 1998, devait être soumise aux parlementaires à la session d’automne 1998. Début avril 2000, le Parlement ne l’avait toujours pas examinée. Si le projet réaffirme le principe de la liberté de la presse, il reste, cependant, inquiétant sur plusieurs points. Les notions de « sauvegarde de l’ordre public » et « d’outrage par voie de presse » notamment, sont invoquées pour limiter l’exercice de cette liberté. L’imprécision de telles qualifications juridiques peut ainsi donner lieu à bien des dérives. Par ailleurs, si le travail des journalistes est moins entravé par une censure directe, la mainmise du pouvoir sur les imprimeries et sur la manne publicitaire oblige la majorité des journalistes et des éditeurs de journaux à une autocensure pesante.
La presse privée sous la pression du régime
Les autorités algériennes tentent de prouver à l’opinion internationale que la liberté d’expression existe en Algérie. Toutefois, le pouvoir et les militaires en particulier font sentir leur influence en utilisant différents moyens de pression sur les journaux privés. Hormis les tracasseries administratives, l’Etat tente d’étouffer certains titres à travers les imprimeries qu’il contrôle complètement. Sodipresse, la seule imprimerie privée, appartenant à Saad Lounes, a été mise sous scellés depuis décembre 1999. Cette imprimerie avait assuré le tirage des quotidiens El Ouma, Le Matin et Demain l’Algérie, quand les imprimeries d’Etat refusaient d’accueillir ces journaux. Il est courant, par ailleurs, qu’un journal soit obligé de payer la totalité de ses factures à l’imprimeur à la suite d’un article ou d’une enquête, jugé gênants pour le pouvoir ou pour un clan du régime. Le quotidien Demain l’Algérie (appartenant au groupe de presse du général Betchine), qui était contre la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à la présidentielle d’avril 1999, a cessé sa parution depuis le 13 mai 1999. L’imprimerie d’Etat ne voulait plus en assurer le tirage. Le même sort a été réservé au quotidien arabophone El Alam El Siyassi qui a été obligé de suspendre sa parution en décembre 1999.
Il est question, pourtant, depuis plusieurs mois, de la création d’imprimeries privées. Issaad Rebrab, un homme d’affaires proche du Président et du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) et propriétaire du quotidien Liberté et de la société de distribution les Nouvelles Messageries Algériennes (NMA) serait sur le point d’importer une rotative. La même initiative aurait été prise par le groupe de presse du général Mohamed Betchine.
La manne publicitaire est utilisée comme un autre moyen de pression ou de séduction. 80 % de la publicité provient des entreprises publiques et doit transiter obligatoirement par l’Agence nationale d’édition et de publicité (ANEP). Celle-ci, chargée de distribuer les espaces publicitaires, le fait, le plus souvent, selon des critères subjectifs. Le directeur général de l’ANEP, M. Khomri, a été installé par Abdelaziz Bouteflika en personne durant l’été 1999.
Le recours aux poursuites judiciaires représente un moyen habile pour les autorités de faire taire les journalistes s’ils se révèlent indociles. Depuis avril 1999, des directeurs et journalistes d’El Watan, du Soir d’Algérie, du Matin et d’Al Khabar ont été traduits devant les tribunaux pour diverses affaires. Il est courant, de plus, que des pressions s’exercent au sein même des rédactions. Djillali Hadjaj, journaliste au quotidien El Watan a été contraint par la direction du journal à la démission en décembre 1999 pour s’être intéressé de trop près à la corruption qui touche notamment les institutions de l’Etat.
La presse étrangère sous surveillance
À ce jour, peu de titres étrangers sont distribués en Algérie. Ceux qui ont réussi – ils sont rares – à obtenir un agrément leur permettant d’être présents dans les kiosques algériens se gardent de critiquer le régime par crainte de se faire interdire. Les correspondants de journaux étrangers et les envoyés spéciaux continuent de recevoir des visas avec parcimonie. Certains, critiques vis-à-vis du régime, se voient systématiquement refuser l’entrée sur le territoire. Jean-Pierre Tuquoi du quotidien français Le Monde, José Garçon du quotidien français Libération et Jean Baptiste Rivoire de l’agence de presse française Capa, par exemple, n’obtiennent pas de visas depuis plusieurs années, pour avoir rédigé des articles ou réalisé des reportages ayant déplu au pouvoir. En janvier 2000, une équipe de la chaîne de télévision France 2 avait réalisé une interview de Mohamed Benaïcha, l’un des émirs de l’Armée islamique du salut (AIS). Depuis cette date, les journalistes de cette chaîne n’ont pu obtenir de visas. Les journalistes étrangers autorisés à se rendre en Algérie sont obligés d’accepter une escorte policière durant tout leur séjour. Celle-ci, de l’avis des journalistes, au-delà du fait qu’elle représente une véritable contrainte, vise davantage à les surveiller qu’à les protéger.
Les correspondants permanents sont, quant à eux, surveillés de très près. L’ancien correspondant permanent de l’hebdomadaire français Jeune Afrique, Mohamed Sifaoui, a subi un véritable harcèlement et reçu des menaces de la part des militaires pour avoir tenté d’enquêter sur certains assassinats et sur la question des « disparus ». Craignant pour sa vie, il a dû s’exiler, fin 1999. Le 28 mars 2000, Walid Zeroug, photographe pigiste à l’agence française IMA Presse est arrêté à son domicile par six hommes appartenant à la DRS (ex-sécurité militaire). Il sera détenu arbitrairement dans une caserne située à Ben Aknoun, avant d’être libéré le 2 avril 2000.
Une bonne nouvelle néanmoins pour les organisations de défense des droits de l’homme et de la liberté d’expression : le gouvernement algérien a adressé, le 28 mars 2000, une invitation à quatre organisations non gouvernementales dont Reporters sans frontières (RSF), pour effectuer une mission d’observation en Algérie.
Pas de nouvelles de quatre journalistes disparus entre 1994 et 1997
Quatre journalistes sont portés disparus en Algérie. Certains à la suite de leur enlèvement par des groupes armés, d’autres par les services de sécurité qui nient en bloc leurs interpellations. Le 29 octobre 1994, Kadour Bouselham, correspondant du quotidien gouvernemental Horizons dans la région de Mascara à l’ouest du pays, disparaît. Selon des témoignages concordants recueillis par RSF, le journaliste a été enlevé par un groupe islamiste armé. Un terroriste repenti aurait affirmé aux autorités que Kadour Bouselham a été égorgé après avoir été torturé. Toujours selon ce témoignage, le journaliste aurait été enterré dans une forêt située près de la ville de Mascara. Mohamed Hassaine, correspondant d’Alger Républicain dans la région de Khemis El-Khechna, près d’Alger, a été enlevé en mars 1994, à la sortie de son domicile, par un groupe armé. Depuis cette date, sa famille n’a eu aucune nouvelle à son sujet.
D’autres journalistes ont disparu à la suite de leur enlèvement par des éléments appartenant aux services algériens de sécurité. Le 6 mai 1995, Djamil Fahassi, journaliste à la radio algérienne Chaîne III et sympathisant du Front islamique du salut (FIS), dissous en 1992, est interpellé, selon des témoins, par des individus appartenant aux corps de sécurité. Depuis cette date, et malgré les recherches actives effectuées par son épouse, on reste sans nouvelles de Djamil Fahassi. Le 12 Avril 1997, Aziz Bouabdallah, journaliste au quotidien arabophone El Alam El Siyassi, est enlevé à son domicile par des hommes habillés en policiers. Le 18 avril 1997, un article signé par Ghania Oukazi révèle, dans les colonnes du quotidien El Watan, que Aziz Bouabdallah a été arrêté par des policiers pour un article « jugé diffamatoire ». Mais le lendemain, El Watan revient sur ces informations et affirme que le journaliste a été enlevé par un groupe islamiste armé. Depuis cette date, on est sans nouvelles de Aziz Bouabdallah. Dans un courrier adressé à RSF en date du 30 juin 1997, l’ambassade d’Algérie à Paris affirmait que « suite aux investigations entreprises sous le contrôle du ministère de la justice, il s’avère que l’intéressé est inconnu des services de sécurité, qu’il ne fait l’objet d’aucun mandat et qu’il n’a pas été arrêté, ni détenu ».
Des assassinats de journalistes toujours non élucidés
Depuis 1993, cinquante-sept journalistes et une trentaine d’employés des médias ont été tués. La plupart de ces meurtres ont été revendiqués par les différents groupes armés se réclamant de l’islamisme qui considèrent les professionnels algériens de l’information comme des « suppôts du pouvoir » et « des ennemis de l’islam ». Toutefois, les circonstances qui entourent certains de ces assassinats demeurent obscures et suscitent des interrogations. Des journalistes algériens affirment, en effet, que certains clans gravitant autour du pouvoir et certains services de sécurité seraient derrière ces assassinats. En octobre 1995, Omar Belhouchet, directeur du quotidien El Watan, avait ainsi déclaré sur la chaîne de télévision française Canal + : « Il y a des journalistes qui gênent le pouvoir. Et je ne serais pas étonné si j’apprenais que certains de mes collègues ont été assassinés par des hommes du pouvoir. » Ces propos lui avaient valu, à l’époque, un procès en diffamation. La plupart des auteurs présumés d’assassinats de journalistes ont été jugés par contumace. Selon la version officielle, certains de ces meurtriers auraient été abattus par la suite lors d’opérations de ratissages effectuées par l’armée.
Recommandations :
Reporters sans frontières demande aux autorités algériennes :
1. De supprimer l’arrêté interministériel, signé le 7 juin 1994 par les ministres de l’Intérieur et de la Communication, relatif au traitement de l’information « à caractère sécuritaire » ;
2. De faire adopter une loi relative à l’information, attachée à protéger la liberté d’informer et d’être informé, en conformité avec les engagements internationaux de l’Algérie, en particulier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques qu’elle a ratifié le 12 septembre 1989 ;
3. De prendre les mesures policières, administratives et judiciaires afin que les journalistes portés disparus soient activement recherchés ;
4. De réviser le mode de gestion de la distribution de la publicité publique par l’Agence nationale d’édition et de publicité (ANEP) ;
5. De garantir l’accès de toutes les composantes de la société aux médias audiovisuels ;
6. De délivrer sans limitation visas et accréditations aux journalistes étrangers qui en font la demande et de leur permettre d’effectuer leur travail sans restriction, notamment en les laissant libres de se déplacer sans escorte des services de sécurité.