Janvier et février 2024 en Afrique. Tour d'horizon de la liberté d'expression, produit sur la base des rapports des membres de l'IFEX et des nouvelles de la région, par Reyhana Masters, rédactrice régionale de l'IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
La libération du journaliste français Antoine Galindo en Éthiopie et de Sékou Jamal Pendessa en Guinée a constitué une pause bienvenue dans un cycle médiatique d’agressions et d’arrestations de journalistes sur le continent. Cette synthèse comprend également des rapports sur la République démocratique du Congo, le Kenya, le Ghana, le Malawi, le Nigeria et le Sénégal.
La perte d’un pilier panafricain
Les messages de condoléances du monde entier ont commencé à affluer le mois dernier lorsque le vice-président namibien, Nangolo Mbumba, a annoncé que le président Hage Geingob était décédé à l’hôpital Lady Pohamba de Windhoek.
[ Traduction : La mort est arrivée trop tôt, Président Hage Geingob. Nous avons ri ensemble et avons même échangé des coups verbaux au cours des plus de 40 années où nous nous sommes fréquentés, mais votre présence plus grande que nature, votre engagement en faveur de la démocratie, de la paix et de la liberté de la presse ne seront pas oubliés. La lutte continue !
@GwenLister1
« Ce qui se trouve derrière nous et ce qui se trouve devant nous sont des choses infimes comparées à ce qui se trouve en nous » (Ralph Waldo Emerson). En vous souhaitant la force de combattre et surmonter cette crise sanitaire, Président @hagegeingob. ]
Son engagement inébranlable en faveur de la liberté des médias se démarquait fortement sur un continent où la presse est constamment attaquée.
Son épouse, l’ancienne première dame Monica Geingos, a rendu hommage à son héritage d’inclusivité : « L’internationaliste. Le panafricain. Le fier Namibien. Le père de famille. Le père de beaucoup. Le joyeux donateur. […] Hage se consacrait à la construction d’une Namibie inclusive et unie, à la hauteur de son potentiel. Il a été élevé en Namibie et souhaitait voir l’intégration des cultures du pays et l’absence du tribalisme dans lequel il a grandi. »
La directrice du Namibia Media Trust, Zoé Titus a souligné son « profond engagement en faveur de la liberté de la presse, pierre angulaire de son héritage, qui a façonné positivement le paysage médiatique en Namibie ».
Pendessa arrêté, puis relâché et la répression qui continue en Guinée
En février, une exceptionnelle manifestation de solidarité a été couronnée par la libération du journaliste guinéen emprisonné Sékou Jamal Pendessa, à l’issue d’une audience en appel qui a réduit sa peine de six mois avec sursis partiel à la durée qu’il avait déjà purgée en détention.
Le soutien à Pendessa, qui est le secrétaire général du Syndicat des professionnels de la presse de Guinée (SPPG), a commencé lorsque le syndicat national du pays – le Syndicat des travailleurs de la Guinée (STG) – a demandé sa libération inconditionnelle peu après son arrestation. Cela faisait partie d’un ensemble plus large de revendications qui allaient des appels à une baisse des prix des denrées alimentaires à la fin de la censure des médias en passant par l’amélioration des conditions de vie des fonctionnaires. Lorsque Pendessa a été reconnu coupable et condamné à six mois de prison, le STG, soutenu par une douzaine de syndicats et d’autres parties prenantes, a déclenché des grèves à l’échelle nationale qui ont paralysé la capitale Conakry et ralenti le reste du pays.
Depuis la prise du pouvoir par l’armée en septembre 2021, le pays a connu un déclin constant et progressif de l’espace civique. Les stations de radiodiffusion ont été suspendues, l’accès aux sites d’information a été restreint, les journalistes ont été intimidés, menacés et arbitrairement arrêtés et emprisonnés. L’accès aux sites de réseaux sociaux populaires, notamment Facebook, Instagram, WhatsApp et TikTok, a été bloqué. La junte au pouvoir a rejeté l’appel des Nations Unies à lever l’interdiction des manifestations politiques, en vigueur depuis 2022.
Malgré l’interdiction, le SPPG mène la résistance contre la « répression accrue de la liberté des médias », comme l’a récemment décrit le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Volker Türk. Cela a placé le syndicat et Pendassa dans la ligne de mire, et les accusations les plus récentes portées contre lui de « participation illégale à une manifestation publique et trouble à l’ordre public » étaient liées à un rassemblement organisé pour protester contre les restrictions à la liberté de la presse et à l’accès à Internet dans le pays.
[ Traduction : #Guinea: le chef des droits de l’homme de l’ONU @volker_turk exprime son inquiétude face à la répression accrue de la liberté des médias en Guinée et exhorte les autorités de transition à changer rapidement de cap. Les mesures restrictives doivent cesser et les droits à la liberté d’expression et d’opinion doivent être pleinement respectés. ]
Le mois de janvier a apporté une dimension supplémentaire à la crise politique et économique volatile de la Guinée lorsqu’une déclaration vidéo a annoncé la dissolution du gouvernement de transition par le régime militaire. « Même si la junte n’a pas expliqué pourquoi elle a limogé le gouvernement lundi, l’un des principaux objectifs déclarés des chefs militaires guinéens seraitd’éradiquer la corruption », a noté DW News.
Antoine Galindo arrêté, détenu, libéré, expulsé : le cycle du harcèlement en l’Éthiopie
Antoine Galindo, journaliste français travaillant pour le site d’information Africa Intelligence basé à Paris, s’est rendu en Éthiopie pour couvrir un sommet de l’Union africaine et travailler sur l’actualité locale. Bien qu’il ait reçu son accréditation et soit entré légalement en Éthiopie, il a été arrêté le 22 janvier et il n’y a eu aucune nouvelle de lui jusqu’au 24 février. Il a été libéré un jour avant sa comparution devant le tribunal et immédiatement expulsé.
Galindo a été arrêté alors qu’il était en conversation avec Battee Urgessa, un représentant du Front de libération Oromo (OLF) et ils ont tous deux été accusés de « complot en vue de créer le chaos ». Voice of America rapporte que : « deux jours plus tard, Galindo a été présenté devant un juge qui a accordé un délai d’enquête d’une semaine à la police pour fouiller le téléphone portable du journaliste et appréhender d’autres ‘suspects’ qui étaient ‘complices’ ».
Reporters sans frontières (RSF) a partagé un communiqué d’Africa Intelligence qui a condamné « l’arrestation injustifiée » de Galindo et les « accusations fallacieuses » portées contre lui, qui, selon le média , « ne reposent sur aucune preuve tangible pouvant justifier cette privation de liberté prolongée », et a appelé à la fin de la persécution croissante du journalisme en Éthiopie.
[ Traduction : Notre journaliste Antoine Galindo a été arrêté jeudi 22 février en Ethiopie et reste détenu. Nous sommes indignés par son arrestation injustifiée, qui constitue une grave atteinte à la liberté de la presse, et demandons sa libération immédiate . @Africa_In_EN a publié la déclaration ci-haut ]
Dans son dernier recensement annuel des prisons le Comité pour la protection des journalistes a noté que « l’Éthiopie est le deuxième pays où l’on emprisonne le plus de journalistes en Afrique subsaharienne. »
Appels au Malawi à garantir la sécurité de Gregory Gondwe
Craignant pour sa vie, le directeur général du site d’information privé Platform for Investigative Journalism, Gregory Godfrey Gondwe, qui a fui vers l’Afrique du Sud, souhaite rentrer chez lui au Malawi, et, avec le soutien de RSF, cherche des garanties pour sa sécurité.
Un exposé de Gondwe publié le 29 janvier rapporte que les Forces de défense du Malawi ont effectué un paiement important à un homme d’affaires britannique né au Malawi, soupçonné de pratiques de corruption. Quelques heures après sa publication, une source a prévenu Gondwe qu’il pourrait être arrêté à tout moment car les autorités voulaient savoir d’où venait la fuite, a rapporté RSF.
[ Traduction : Le journaliste malawien Gregory Gondwe se cache après les menaces de l’armée – Telly Africa ]
Amnesty International et le Réseau des défenseurs des droits humains d’Afrique australe (Southern Defenders) affirment que ces actions révèlent la détérioration de la liberté des médias dans le pays. Les autorités du Malawi ont l’habitude de cibler les journalistes qui dénoncent la corruption, et ce n’est pas la première fois que Gondwe est confronté à des menaces. Il a été arrêté en 2022 pour avoir refusé de révéler ses sources dans le cadre d’une autre enquête sur la corruption.
Comme le souligne MISA Malawi :
« Les menaces contre la vie de Gondwe ont un effet dissuasif sur les journalistes et la communautémédiatique. En tant que démocratie, le Malawi ne devrait pas retomber dans une ère de rigueur envers les médias et les voix critiques.»
Sénégal : le recul continue
Alors que la chute du Sénégal continue sur la pente glissante du déficit démocratique dont IFEX a fait état le mois dernier, un rayon de lumière a été la forte réaction contre la dernière crise politique en date, déclenchée par l’annonce du président Macky Sall selon laquelle « il avait abrogé le décret convoquant l’élection présidentielle pour le 25 février ». Comme le décrit justement Le Monde : « Sans jamais prononcer le mot ‘report’, il a provoqué un séisme politique. Jamais, depuis 1963, une élection présidentielle n’a été reportée au Sénégal.»
La réaction à la déclaration explosive du 3 février a été immédiate, avec des manifestations spontanées qui ont éclaté dans les rues et devant le Parlement. Au Parlement, les législateurs de l’opposition ont été exclus du vote sur l’amendement constitutionnel visant à retarder la date des élections, permettant ainsi au président Sall de prolonger son mandat et de réinitialiser la limite de son mandat.
Les hommes politiques de l’opposition et les candidats à la présidentielle ont immédiatement résisté à ce que les opposants ont qualifié de coup d’État constitutionnel, en saisissant le Conseil constitutionnel (CC) du Sénégal. Le CC a annulé le décret présidentiel du 3 février et déclaré l’amendement du 5 février « contraire à la Constitution ».
Comme le décrit The Economist : « Dépouillé de tout semblant de légalité pour ses actions et soumis à de fortes pressions, [le président] Macky Sall a promis de mettre pleinement en œuvre la décision » du conseil. Bien qu’il ait promis de se retirer en avril – lorsque son mandat prendra officiellement fin – le président Sall n’a pas encore fixé la date pour l’ élection.
La Commission du dialogue national du Sénégal a proposé le 2 juin comme date du scrutin et a recommandé que le président Sall soit autorisé à rester en fonction jusqu’à ce que son successeur prête serment. Rassemblés sous le nom de Fippu (« Résistance »), le groupe de la société civile Aar Sunu Election (Protégez notre élection), ainsi que des candidats de l’opposition et d’autres militants, ont non seulement refusé de participer au dialogue, mais se sont également opposés aux propositions de la Commission. Au lieu de cela, le collectif fait pression pour que l’élection présidentielle ait lieu avant la fin du mandat du président Sall.
Les journalistes, lourdement touchés par la crise politique que traverse le pays, ont organisé le 12 février une veillée devant la Maison de la presse à Dakar, la capitale, au cours de laquelle ils ont condamné les violences auxquelles ils sont confrontés.
Des stations de radiodiffusion ont été fermées puis rétablies, tandis que de nombreux journalistes qui dénoncent la corruption du gouvernement, les scandales ou qui couvrent les procès en cours de l’opposant Ousmane Sonko se retrouvent confrontés à une attaque judiciaire initiée par l’État. Les médias qui couvrent les manifestations sont pris dans la mêlée et agressés. En janvier de cette année, Babacar Fall, rédacteur en chef de la station de radio RFM, a commencé à recevoir des menaces de mort pour sa critique de la gouvernance du président Sall.
En bref
Dans une décision historique, une haute cour fédérale a ordonné au gouvernement nigérian d’enquêter sur les attaques contre des journalistes, de poursuivre les auteurs de ces attaques et d’assurer la sécurité des journalistes. Le jugement, rendu dans le cadre d’une action intentée par Media Rights Agenda contre le gouvernement fédéral, a confirmé l’affirmation de l’organisation selon laquelle, « en ne garantissant pas la sécurité des journalistes et des autres professionnels des médias conformément au principe 20 de la Déclaration de principes sur la liberté d’expression et d’accès à l’information en Afrique, le gouvernement fédéral a violé son obligation statutaire en vertu de la Déclaration et de la Loi sur la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (ratification et application) (Cap A9), lois de la Fédération du Nigeria, 2004. »
Déçue par l’aveu du procureur général et ministre de la Justice du Ghana, Godfred Yeboah Dame, selon lequel son bureau n’a pas encore reçu le dossier sur le meurtre du journaliste Ahmed Suale, cinq ans après sa mort, la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) a décrit l’inaction continue comme révélatrice de « l’indifférence flagrante » du gouvernement. MFWA exhorte également les autorités à sanctionner les agents qui ont arbitrairement arrêté et confisqué le matériel de la journaliste nigériane Kasara Chi Anadolu . Journaliste du journal The Whistler, basé à Abuja, Aniagolu a été arrêtée le 21 février alors qu’elle couvrait une descente de police sur les Bureau de Change (BDC).
L’éminent journaliste Stanis Bujakera est toujours en détention en République démocratique du Congo depuis le 8 septembre 2023. Il est accusé d’avoir fabriqué et distribué une note de deux pages qui a servi de base à un article publié dans Jeune Afrique, dont Bujakera affirme n’être pas l’auteur. Les appels visant à obtenir sa libération provisoire continuent d’être rejetés.
Lors de l’audition de son appel le 10 janvier, le journaliste rwandais Dieudonné Niyonsenga – également connu sous le nom de Cyuma Hassan – a décrit les conditions inhumaines dans lesquelles il vit et les tortures qu’il subit. « Il s’est présenté devant le tribunal avec une blessure à la tête et a déclaré que son audition et sa vision étaient altérées par les conditions de sa détention, selon des sources », rapporte le CPJ.
Récent et intéressant
L’Association des femmes des médias du Kenya (AMWIK) a publié deux rapports axés sur le problème répandu du harcèlement sexuel dans les médias. Le premier rapport aborde l’efficacité des politiques destinées à mettre fin au harcèlement sexuel, et le second examine les services de soutien psychosocial et de santé mentale disponibles pour les victimess du harcèlement sexuel dans les médias kenyans, tout en identifiant les lacunes et les limites de leur efficacité.