Novembre 2024 en Afrique. Un tour d'horizon de la liberté d'expression et de l'espace civique produit par Reyhana Masters, rédactrice régionale de l'IFEX, à partir des rapports des membres de l'IFEX et des nouvelles de la région.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
Ce mois-ci, l’accent est mis sur les graves conséquences de l’impunité, avec le récent assassinat de journalistes en République démocratique du Congo, la réglementation restrictive des médias au Bénin et la suspension transnationale de la licence d’une chaîne de télévision.
Quelques jours avant que la communauté des médias africains ne se réunisse à Addis-Abeba pour commémorer la Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre les journalistes (IDEI), le journaliste congolais Yoshua Kambere Machozi a été assassiné de façon atroce par des rebelles du M23 dans le territoire de Walikale, dans la province du Nord-Kivu, à l’est du pays. Selon le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), un habitant du village qui a été témoin de l’attaque a rapporté que les rebelles du M23 ont tranché la gorge de Kambere et jeté son corps dans la rivière Mweso toute proche.
Plus d’un mois plus tôt, Edmond Bahati Monja, le coordinateur de la station de radio catholique Maria, avait été abattu à bout portant à Goma dans la soirée du 27 septembre.
Les journalistes et les médias sont constamment pris entre deux feux dans une République démocratique du Congo en proie à des conflits. Reporters sans frontières (RSF) met en garde contre l’instauration d’un désert de l’information, les stations de radio étant soit capturées, vandalisées, soit fermées.
Samira Sabou honorée par le CPJ
Sur une note optimiste, l’éminente journaliste d’investigation nigérienne Samira Sabou a été l’une des quatre lauréates des Prix internationaux de la liberté de la presse du CPJ de cette année.
Samira Sabou a été la cible d’une longue série de poursuites judiciaires et a dû faire face à des arrestations arbitraires et à une détention prolongée en raison de ses reportages sur les questions de gouvernance. Bien qu’elle ait été provisoirement libérée après son arrestation en septembre 2023 pour des accusations d’espionnage qui ont ensuite été abandonnées, Sabou continue de faire face à un harcèlement juridique permanent. Cela comprend un appel en cours d’une condamnation pour cybercriminalité de 2022 et une affaire non résolue de 2020, une situation qui reflète les luttes plus larges des journalistes au Sahel sous les régimes post-coup d’État.
[ Traduction : . @internet_sf et la directrice générale de @ContentPSL @JulieOwono remettent le Prix international de la #LibertédelaPress 2024 du CPJ à Samira Sabou, une journaliste d’investigation de premier plan du Niger. #IPFA #IPFA2024 ]
S’exprimant lors de la cérémonie de remise des prix qui s’est tenue à New York le 22 novembre, Samira Sabou a expliqué sa détermination:
« Pour ma part, il est difficile, voire impossible, d’effacer les épisodes douloureux de nos multiples arrestations lors de la couverture de manifestations publiques, les agressions de la police à mon domicile, sans parler de mon emprisonnement alors que j’étais enceinte de plusieurs mois. Je suis encore émue par le simple fait de penser à ces événements douloureux liés à l’exercice de ma belle profession. »
Le déclin des droits numériques à l’île Maurice
Le 1er novembre, les autorités mauriciennes ont annoncé la suspension des services de médias sociaux. Cette interruption, une semaine seulement avant le jour du scrutin, était étroitement liée à la fuite d’enregistrements audio impliquant des politiciens, des officiers supérieurs de la police, des journalistes et des diplomates étrangers, que le gouvernement avait décrit comme « une menace sérieuse pour la sécurité nationale et la sûreté publique ». La pression des groupes d’opposition, des citoyens et des militants des droits de l’homme nationaux, régionaux et internationaux a poussé les autorités à lever cette suspension.
Cinq journalistes ont également été impliqués dans le « scandale des écoutes téléphoniques », ce qui a poussé RSF à soupçonner une surveillance généralisée, qui nécessiterait « une enquête indépendante pour identifier les responsables des écoutes téléphoniques ».
Dans son analyse pour The Conversation, Roukaya Kasenally, professeure associée à l’Université de Maurice, a suggéré que cette perturbation était révélatrice du déclin des droits numériques dans le pays. « L’interdiction des réseaux sociaux doit être contextualisée dans le cadre d’une érosion généralisée des droits et libertés démocratiques à Maurice. Cette tendance se produit depuis 10 ans, mais s’est accélérée depuis 2019 en raison de l’introduction d’un certain nombre de projets visant à surveiller et à contrôler les données », a-t-elle expliqué.
Adoption de la résolution 620 de la CADHP
La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a adopté la résolution 620 sur la promotion et l’exploitation de l’accès aux données comme outil de promotion des droits humains et du développement durable à l’ère numérique.
[ Traduction : RÉSOLUTION DE LA COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES SUR LA PROMOTION ET L’EXPLOITATION DE L’ACCÈS AUX DONNÉES COMME OUTIL DE PROMOTION DES DROITS DE L’HOMME ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE À L’ÈRE NUMÉRIQUE ]
La résolution reconnaît les lacunes en matière de protection de la vie privée, met en évidence les préoccupations concernant l’exploitation des données sur le continent africain et formule des recommandations pour les États membres afin de s’assurer à ce que les pratiques en matière de données soient transparentes, responsables et conformes aux normes mondiales.
Conformément à cet idéal, il charge le Rapporteur spécial sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en Afrique de créer des lignes directrices sur la manière dont les données doivent être collectées, utilisées et consultées, et également de soutenir les initiatives qui encouragent et garantissent l’accès aux données dans toute l’Afrique.
Transformation de la radiotélévision publique du Bénin en média d’État
Depuis le début de l’année 2024, un comité éditorial créé par décret présidentiel contrôle tous les flux d’informations provenant de la Société de Radio et de Télévision du Bénin (SRTB).
La radiotélévision publique du pays a été intégrée à la SRTB par l’intégration de l’Office de Radio et de Télévision du Bénin et du Centre multimédia pour adolescents et jeunes du Bénin, qui exploite Ado TV et Ado FM.
Les reportages sont envoyés quotidiennement à un comité éditorial composé exclusivement de membres de la présidence et de trois ministères, dont le rôle est d’examiner et d’approuver tous les programmes. Ce processus a conduit à la suppression de nombreux programmes sous le prétexte vague de « professionnalisation des productions ».
RSF s’inquiète également des « directives politiques imposées aux médias béninois à travers les ‘notes d’orientation’ gouvernementales indiquant aux rédactions quelles informations doivent être publiées et les « partenariats », en incitant les médias à traiter en priorité les activités du gouvernement ».
La censure traverse les frontières
En réponse à une plainte du Conseil supérieur de la communication (CSC) du Burkina Faso, son homologue malien, la Haute autorité de la communication (HAC), a retiré la license d’exploitation de Djoliba TV News.
Cette collaboration dans la répression transnationale constitue un précédent risqué car elle peut inciter les autorités gouvernementales à tendre la main à leurs homologues d’autres pays pour censurer la liberté d’expression. « Si les débats organisés par Djoliba TV News ont parfois suscité des controverses, il est difficile d’admettre que cela constitue en soi un motif suffisant pour une sanction aussi radicale », estime la Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA).
La CSC a initié cette procédure dans une lettre datée du 12 novembre, accusant Djoliba TV News d’avoir porté atteinte au pouvoir suite à une émission dans laquelle le chroniqueur Issa Kaou N’Djim remettait en cause les communications officielles sur une tentative de coup d’État au Burkina Faso. Djoliba TV News a déjà fait face à la colère de la HAC, en novembre 2022, qui s’est soldée par une suspension de deux mois pour avoir critiqué le Premier ministre malien, Choguel Kokalla Maiga, pour « son ton et sa posture lors de son discours à l’Assemblée générale des Nations unies [qui] étaient hostiles et peu diplomatiques ».
Une décision historique en Ouganda rend hommage à la liberté des médias
En octobre, dans une décision historique, la Haute Cour de Kampala a accordé aux journalistes Timothy Murungi et Henry Sekanjako un peu plus de 20 000 dollars américains en guise d’indemnisation pour les blessures qu’ils ont subies en 2021, lorsqu’ils ont été agressés alors qu’ils couvraient la remise d’une pétition au bureau des droits de l’homme des Nations Unies par Robert Kyagulanyi, alias Bobi Wine, le chef du parti d’opposition National Unity Platform.
La cour a statué que : « les droits des journalistes à la liberté de la presse et des médias prévus par l’article 29(1)(a) de la Constitution ont été violés par les défendeurs » – dans ce cas, l’armée.
Se félicitant de la décision de la cour, Robert Ssempala, le directeur général du Human Rights Network for Journalists (HRNJ-Uganda), a déclaré :
« Cette décision envoie un message fort selon lequel les droits des journalistes ne sont pas négociables. Nous ne nous laisserons pas réduire au silence ni intimider. »
Il a également souligné que « la décision de la Cour souligne le rôle vital d’une presse libre pour demander des comptes aux personnes au pouvoir ».
En bref
Le 14 novembre, la Cour de justice de la CEDEAO a ordonné à la Sierra Leone de payer 15 000 dollars de compensation chacun à Hassan Kargbo et Mohamed Fornah pour avoir violé leur droit fondamental à la sécurité lors d’une violente répression d’une manifestation en 2020. La Sierra Leone n’a pas comparu ni ne s’est défendue, ce qui a donné lieu à un jugement par défaut.
Avant les élections prévues au Ghana, MFWA, Dubawa, FactSpace West Africa et d’autres organisations de la société civile ont pris des mesures proactives pour atténuer les contenus clivants en s’associant pour former la Ghana Fact-Checking Coalition.
Emmanuel Nabugodi, 21 ans, a été condamné à 32 mois de prison pour sa vidéo sur TikTok considérée comme offensante à l’égard du président ougandais Yoweri Museveni. Lors de sa condamnation, la magistrate en chef Stellah Maris Amabilis a déclaré : « la peine contribuerait à prévenir les attaques sur les réseaux sociaux contre des personnes, y compris la personne du président. »