Un certain nombre de manifestants ont été tués, l’internet a été perturbé et la chaîne de télévision publique attaquée, alors qu’une gigantesque manifestation antigouvernementale au Mali a tourné à la violence, avec de nombreuses violations de la liberté de la presse.
Cet article a été initialement publié sur mfwa.org le 3 juillet 2020.
Un certain nombre de manifestants ont été tués, l’internet a été perturbé et la chaîne de télévision publique attaquée, alors qu’une gigantesque manifestation antigouvernementale au Mali a tourné à la violence, avec de nombreuses violations de la liberté de la presse.
Le 10 juillet 2020, Bamako a été paralysée par des scènes de pillage et de violence alors que des milliers de Maliens se sont rassemblés sur la Place de l’Indépendance à Bamako en réponse à un appel à la désobéissance civile lancé par le M5-RFP (une coalition des partis politiques d’opposition, de la société civile et des organisations religieuses).
L’Assemblée nationale a été vandalisée. Plusieurs bâtiments gouvernementaux ont été occupés et trois ponts principaux de la capitale ont été bloqués. Une épaisse fumée éclipsait la lumière du soleil matinal, les jeunes brûlant des pneus de voiture sur plusieurs routes principales dans un accès de rage.
Les forces de sécurité ont répondu avec une force brutale aux actes de violence et de vandalisme des manifestants en tirant des coups de sommation, en réprimant avec des matraques et des gaz lacrymogènes les manifestants. Des sources officielles ont confirmé un décès.
Une source hospitalière indique que les manifestations ont fait morts, et 74 blessés répartis entre le Centre hospitalier Gabriel Touré (CHU GT) et les centres de santé de référence de Bamako. Les organisateurs de la manifestation affirment qu’environ huit personnes ont été tuées en deux jours. Les tirs de gaz lacrymogènes par la police se sont poursuivis tout vendredi soir pour disperser les manifestants.
Les manifestations se sont poursuivies le 11 juillet, dans plusieurs artères principales de la capitale malienne. Dans des quartiers comme Magmanbougou, Niamakoro, Baco Djikoroni et Faladie, les manifestants ont brûlé des pneus et placé des barricades géantes sur les voies.
Conformément à la récente tendance problématique des manifestations anti-gouvernementales en Afrique, l’internet a été perturbé.
Netblocks, une organisation qui surveille les coupures d’Internet, a annoncé le 10 juin que les premiers rapports indiquent que l’Internet et les médias sociaux ont été censurés.
Violation de la liberté de la presse
La chaine de diffusion de l’Etat, l’Office de Radio-Télévision du Mali (ORTM), a été durement touché par la violence. Plusieurs de ses bureaux à Bozola (siège de l’ORTM) ont été saccagés et du matériel appartenant à la radiotélévision a été pillé.
L’ORTM a été envahi, occupé de manière chaotique et vandalisé, ce qui a entraîné des pertes de plusieurs centaines de millions de francs CFA. Deux véhicules appartenant à des journalistes ont également été incendiés.
La chaîne publique a cessé de diffuser dans la soirée du 10 juillet après l’invasion de ses locaux pendant plusieurs heures. Cette situation chaotique s’est poursuivie jusqu’au 11 juillet à midi.
Les bureaux de l’ORTM et ses journalistes n’ont pas été les seules victimes de la violence des manifestants. Les journalistes ont connu leur lot de désagrément dans ces manifestants, tandis que la réponse énergique des forces de sécurité a également conduit à plusieurs violations de la liberté de la presse. Mamadou Cissé, journaliste du Groupe Horon, a déclaré au correspondant du MFWA : « J’ai été arrêté par la police puis relâché en plein reportage « .
La journaliste Hawa Kamissoko du Groupe Liberté TV s’est vue arrêtée manu militari en plein reportage par des éléments de la police qui l’ont embarqué dans un pick-up devant le siège d’une organisation politique de l’opposition à Badalabougou. Ses proches collaborateurs ont signalé sa libération ce samedi à 18h.
Dans un communiqué de presse, l’organisation médiatique Groupe Ernergie a également fait état d’attaques contre ses reporters le 10 juillet. Selon le Groupe, les journalistes Harouna Keïta et Fanta Cisse ont été dépouillés de leur téléphone, de leur appareil photo et de leur portefeuille.
« Nous condamnons avec la dernière Energie cet acte barbare et ignoble tout en rassurant qu’une procédure judiciaire sera engagée aux fins de mettre la main sur les auteurs « , conclut le communiqué signé par le rédacteur en chef, Moussa Salif Diarra.
Moussa Koné, correspondant des médias internationaux, a témoigné : « J’ai subi des coups de matraques et mon verre correcteur s’est écrasé sur le sol. C’est le même contingent qui a tué le garçon à Badalabougou ».
Arrestations de dirigeants du mouvement de protestation
Plusieurs dirigeants à l’origine des manifestations ont été arrêtées immédiatement après la manifestation du 10 juillet. Il s’agit notamment du Coordinateur Général de la Coordination des Mouvements, Associations et Sympathisants (CMAS), Issa Kaou N’djim, qui a été arrêté à son domicile. Les autres sont Nouhoum Sarr du parti FAD, Adama Ben Diarra et Clément Dembele.
Une nouvelle vague d’arrestations a eu lieu le lendemain. Les anciens ministres Mountaga Tall et Choguel Kokalla Maîga ont été arrêtés en pleine réunion ce samedi dans le bureau du Chef de fil de l’opposition. L’imam Mahmoud Dicko s’est lui constitué prisonnier en se rendant par lui-même à la police en solidarité.
Indignation et appel au dialogue du premier ministre
Le Premier ministre Boubou Cissé, en visite au CHU GT (le Centre Hospitalier Universitaire) le 11 juillet, a exprimé sa colère et son indignation.
« Je suis venu rendre visite aux blessés des évènements d’hier. Je suis venu leur dire que le Chef de l’Etat est un homme de paix et de dialogue. Il ne cessera jamais de nous exhorter au dialogue pour que nous trouvions la solution à nos problèmes par l’écoute plutôt que l’affrontement. »
Le Premier ministre Cissé a appelé les responsables du mouvement M5 à » Je lance une fois de plus un appel aux responsables du mouvement M5 pour qu’ils puissent encadrer les manifestations dans l’esprit de la constitution ainsi que des lois et textes relatifs à l’exercice des libertés « .
Les revendications des manifestants
L’une des demandes des manifestants est de voir le président Ibrahim Boubakar Keita démissionner pour son incapacité à lutter contre l’insécurité, la corruption, le chômage en masse et l’aggravation de la situation économique du Mali.
Depuis 2012, le Mali connaît une crise sécuritaire, politique et économique aux multiples facettes. Les pays voisins, dont le Niger et le Burkina Faso, paient également un lourd tribut.
Élu en 2013 à l’issue du long processus de transition de la crise née du coup d’État militaire du 22 mars 2012, le président Keita a entamé son mandat sur la crête d’une vague de soutien populaire. Maintenant, il semble affaibli par les bouleversements de la gouvernance et de la vie publique et sa cote de popularité a chuté ces dernières années. Il faut rappeler que depuis son arrivée au pouvoir en 2013, il a fait l’objet de plusieurs évacuations médicales à l’étranger.
Réaction de la communauté internationale
La communauté internationale a réagi en condamnant la violence affichée par les deux parties et a exhorté le gouvernement à libérer les dirigeants arrêtés afin de faciliter le dialogue.
Une déclaration publiée par les représentants de la CEDEAO, de l’Union africaine, de l’Union européenne et des Nations unies le 12 juillet a condamné » l’usage de force létale dans le cadre du maintien de l’ordre et invite toutes les parties prenantes à la retenue et leur demandent de toujours privilégier le dialogue, la concertation et les canaux pacifique dans la résolution des crises ».
La Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest condamne également, dans les termes les plus forts, les excès des deux parties. Nous trouvons regrettable que les deux parties aient attaqué des journalistes et détruit l’équipement de professionnels des médias qui ne faisaient que leur devoir légitime. Tout en condamnant le meurtre des manifestants, nous demandons que des enquêtes approfondies soient menées sur tous les actes d’anarchie afin que des sanctions appropriées soient appliquées contre les auteurs.