Journaliste Karma Khayat risque pour cela 7 ans de prison et 100 000 euros d’amende.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 21 avril 2015.
Le procès de Karma Khayat est en cours à La Haye devant le Tribunal Spécial pour le Liban (TSL). La journaliste, vice-présidente d’Al Jadeed TV, ainsi que la société mère de la chaîne, New TV S.A.L, sont poursuivis pour outrage et entrave à la justice par le tribunal, chargé d’enquêter sur l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri.
Karma Khayat et la chaîne arabophone d’information Al-Jadeed TV sont accusés par le Tribunal Spécial pour le Liban, depuis avril 2014, d’avoir mis en danger des prétendus témoins confidentiels en les filmant dans un reportage sur le TSL grâce à des informations obtenues anonymement par le média. Ce reportage a pris la forme d’une série de programmes diffusés entre le 6 et le 10 août 2012, et qui n’ont pas été retirés du site internet ni du compte Youtube de la chaîne. Al-Jadeed TV est poursuivi en tant que personne morale, une première dans l’histoire de la justice pénale internationale. Le TSL est le premier tribunal à caractère international créé pour enquêter sur un acte terroriste.
Alors que la journaliste affirme que ce reportage avait pour but de mettre en avant les dysfonctionnements du tribunal – et non pas de mettre en danger les témoins puisque les détails (noms et visages) des personnes étaient floutés -, ce dernier l’accuse mis à mal le tribunal face à l’opinion publique dans sa capacité à protéger les témoins.
Karma Khayat risque pour cela 7 ans de prison et 100 000 euros d’amende.
Alors que le procès s’est ouvert le 16 avril 2015, Reporters sans frontières réitère son soutien à la journaliste libanaise et à la chaîne Al-Jadeed TV et rappelle l’importance de préserver l’information libre au Liban dans un contexte politique et sécuritaire très délicat. « RSF condamne ce procès à l’encontre de la chaine Al-Jadeed TV et de Karma Khayat, coupables d’avoir demandé des comptes au TSL en diffusant au grand public des informations obtenues suite à des fuites, déclare Lucie Morillon, directrice de la Recherche de l’organisation. Il est du devoir de la presse de s’interroger sur le bon fonctionnement de la justice et de favoriser un débat public sur le sujet. »
Les médias internationaux qui ont publié des informations sur le sujet n’ont pas, eux, été inquiétés. C’est le cas de la chaîne canadienne CBC, le magazine allemand Der Spiegel ou les quotidiens français Le Figaro et Libération, qui se sont basés sur des documents confidentiels et des fuites internes au TSL.
L’avocat de la journaliste, Karim Khan, a déclaré que cette dernière ainsi que des employés ont reçu des menaces de mort suite à cette affaire, et Karma Khayat, de son côté, a affirmé haut et fort face au juge le 16 avril 2015 : « Le Tribunal international a été mis en place pour nous et avec notre argent. Contrôler son travail est notre responsabilité”.
Selon nos sources, le reportage mis en cause avait pour double objectif de montrer que des fuites sont organisées au sein du TSL, révélant ainsi des informations confidentielles qui mettent en danger la poursuite normale du procès, et de mettre en lumière le fait que ces témoins “protégés” sont faciles d’accès et n’ont pas été briefés sur la confidentialité de leur statut de témoin.
La première session du procès, au cours de laquelle l’accusation fait entendre ses arguments, a commencé le 16 avril et doit se terminer le 22 avril 2015. Le procès reprendra le 12 mai prochain. Pendant trois jours, la défense pourra alors s’exprimer et présenter ses témoins. La date du jugement n’a pas encore été fixée. Un groupe de soutien, composé notamment de la journaliste française Florence Hartman, s’est déplacé pour assister au procès, en solidarité avec la journaliste et le média.
Karma Khayat et Al-Jadeed TV ne sont pas les seuls visés dans cette affaire au Liban. Ibrahim Al-Amine, rédacteur en chef du quotidien Al-Akhbar, ainsi que la société mère du journal, sont également poursuivis par le TSL pour “outrage au tribunal” et “obstruction à la justice”. Le procès du journaliste et de son organe de presse est prévu à une date encore non déterminée.
Pour rappel, Reporters sans frontières avait rédigé un amicus curiae au TSL lors de l’audience préliminaire pour cette affaire le 13 mai 2014.
Le Liban figure à la 98e place du Classement 2015 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.