(RSF/IFEX) – Ci-dessous, un rapport de RSF: Une liberté sous caution Cent soixante journalistes emprisonnés depuis 1991 Avec le soutien de la Commission européenne Avril 2000 Introduction Traditionnellement, l’Ethiopie est dénoncée par les organisations de défense de la liberté de la presse comme la plus grande prison du continent pour les journalistes. Et, en effet, […]
(RSF/IFEX) – Ci-dessous, un rapport de RSF:
Une liberté sous caution
Cent soixante journalistes emprisonnés depuis 1991
Avec le soutien de la Commission européenne
Avril 2000
Introduction
Traditionnellement, l’Ethiopie est dénoncée par les organisations de défense de la liberté de la presse comme la plus grande prison du continent pour les journalistes. Et, en effet, au 1er avril 2000, huit d’entre eux étaient détenus dans le pays. Quatre sont incarcérés depuis 1997. Ils ont été condamnés pour des délits de presse, mais sont également poursuivis pour « participation à des activités terroristes ». La multiplication des poursuites, ainsi que la confusion qui règne autour de ces dossiers  les avocats eux-mêmes ne sont parfois pas au courant de toutes les affaires concernant leurs clients  rendent toute enquête très difficile. Personne ne sait exactement qui est détenu et depuis quand. Souvent, les journalistes ne connaissent pas le nom de leurs confrères emprisonnés. De la même manière, au ministère de la Justice, on ne sait pas toujours les raisons de l’incarcération de ces journalistes.
Un grand nombre de journalistes éthiopiens sont actuellement poursuivis devant les tribunaux et peuvent donc être arrêtés du jour au lendemain. D’autres, qui ne sont pas poursuivis  parce qu’ils n’écrivent pas sur des sujets sensibles ou qu’ils bénéficient de la protection de proches du pouvoir  ne se soucient guère de la situation de la liberté de la presse dans leur pays. Seuls, quelques rares journalistes se mobilisent véritablement en faveur de leur confrère.
Du 16 au 23 mars 2000, un représentant de Reporters sans frontières s’est rendu en Ethiopie pour enquêter sur la situation de la liberté de la presse et recueillir des informations sur les huit journalistes emprisonnés.
Plus de quatre-vingt titres
On compte une cinquantaine de journaux privés d’informations générales  pour la plupart des hebdomadaires – dans les kiosques d’Addis-Abeba. On trouve également quelques magazines sportifs ou culturels et des publications « soft pornos ». La quasi-totalité de ces titres sont en langue amharique. Six hebdomadaires politiques ou économiques sont en langue anglaise. S’il n’existe pas d’organe de contrôle de la diffusion, tout le monde s’accorde à dire que l’hebdomadaire Menelik est le journal le plus important avec 16 000 exemplaires vendus chaque semaine. La majorité des titres diffusent entre 1 000 et 6 000 exemplaires. Ils sont vendus 1 ou 1,5 birrs (0,13 ou 0,2 euros) et les journalistes gagnent entre 500 et 1 000 birrs par mois (entre 65 et 130 euros). Le 13 mars 2000, l’Association des journalistes de la presse libre éthiopienne (EFJA) a obtenu sa reconnaissance officielle. Cette association, qui regroupe des journalistes de la presse privée, existe depuis 1993.
Le gouvernement possède quatre journaux – deux quotidiens, en amharique et en anglais, et deux hebdomadaires, en langue oromo et en arabe – et quatre Etats en province ont leur propre publication (l’Ethiopie a adopté un système fédéral et compte neuf régions). Il existe également une agence de presse officielle, Ethiopian News Agency.
Le secteur audiovisuel est entièrement contrôlé par l’Etat. La radio nationale couvre l’intégralité du territoire, tandis que la télévision peut être captée par 75% de la population. Environ 500 journalistes travaillent dans les médias d’Etat. Une association  l’Association des journalistes éthiopiens (EJA)  regroupe 300 journalistes de la presse publique.
Huit journalistes emprisonnés
Tamrat Gemeda (Seife Nebelbal)
En octobre 1997, Tamrat Gemeda, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Seife Nebelbal, est arrêté à Addis-Abeba en compagnie de 105 autres personnes, toutes d’origine oromo. Ils sont conduits à la prison de Nazret (100 km à l’est de la capitale). Quelques mois plus tard, ils sont tous libérés, sauf Tamrat Gemeda qui est transféré à la prison centrale d’Addis-Abeba (Kerchiele). On lui reproche la publication de plusieurs articles dans Seife Nebelbal. Dans l’un d’eux, l’auteur affirmait qu’une milice progouvernementale s’était rendue à Chomo-Dabos (Etat d’Oromia  ouest du pays) où elle aurait subi de lourdes pertes face à un autre groupe armé non identifié. L’hebdomadaire indiquait que le chef de cette milice était mort dans les combats et précisait même le lieu de son enterrement.
En mars 2000, Tamrat Gemeda est condamné à un an de prison pour avoir publié des « fausses informations ». Le journaliste a déjà purgé sa peine, mais comme il est poursuivi pour plusieurs articles, il est toujours incarcéré. Il pourrait, cependant, bénéficier d’une mise en liberté sous caution mais le président du tribunal refuse : il affirme qu’en 1997, Tamrat Gemeda ne s’est pas présenté à une audience et se cachait. En réalité, à cette date, le journaliste était détenu à Nazret. Tamrat Gemeda a écrit aux autorités pour leur demander de confirmer à la cour la date de son incarcération. Le Centre d’investigations criminelles d’Addis-Abeba prétend l’avoir fait, mais la cour affirme n’avoir rien reçu.
Tamrat Gemeda est âgé de 35 ans.
Tesfaye Deressa, Garuma Bekele et Solomon Nemera (Urji)
Le 16 octobre 1997, Garuma Bekele et Tesfaye Deressa, respectivement directeur de publication et rédacteur en chef d’Urji, sont arrêtés à Addis-Abeba. Quelques jours auparavant, ils avaient publié un article qui contredisait une déclaration officielle selon laquelle trois hommes tués par les forces de sécurité, le 8 octobre, faisaient partie du Front de libération oromo (FLO) et étaient impliqués dans des attentats perpétrés par ce mouvement. L’hebdomadaire affirmait que ces trois hommes étaient bien des Oromos (l’un des principaux groupes ethniques du pays) mais n’appartenaient pas au FLO. Garuma Bekele était également le secrétaire général de l’association clandestine Human rights league qui s’attachait à défendre la cause oromo.
Au lendemain de cette arrestation, Solomon Nemera, reporter à Urji est nommé rédacteur en chef. Trois semaines plus tard, il est arrêté, à son tour, par la police. Urji cesse sa publication. L’hebdomadaire n’a toujours pas reparu.
Accusés d’avoir « fabriqué et disséminé des fausses informations », les trois journalistes sont incarcérés à la prison de Kerchiele. A l’automne 1999, Garuma Bekele et Tesfaye Deressa sont condamnés à un an de prison. En février 2000, Solomon Nemera est condamné à la même peine.
Tous les trois sont emprisonnés depuis maintenant plus de deux ans et ont donc déjà purgé leur peine. Ils ne peuvent cependant pas être libérés car ils sont également inculpés, avec quarante-neuf autres personnes, d' »appartenance à des mouvements terroristes » en vertu de l’article 252 du Code pénal. Aucune mise en liberté sous caution n’est possible pour ce type de délit. Ils risquent jusqu’à quinze ans de prison. Leur procès a déjà commencé. Les audiences se déroulent à huis clos. Les familles n’ont pas le droit d’y assister, seul l’avocat peut être présent dans la salle. Ce dernier a demandé au tribunal d’Addis-Abeba de séparer le dossier des trois journalistes de celui des quarante-neuf autres personnes. Il estime qu’ils n’ont fait qu’écrire des articles et ne doivent donc pas être jugés en vertu du Code pénal mais selon la loi sur la presse. Le président du tribunal ne s’est toujours pas prononcé sur le bien-fondé de cette demande.
Au début de l’affaire, l’avocat des trois journalistes n’a pas eu l’autorisation de leur rendre visite en prison. Il a dû attendre plusieurs mois avant de pouvoir pénétrer dans la prison de Kerchiele. Mais alors ils n’avaient pas le droit de s’exprimer en langue oromo. La Haute Cour est intervenue et aujourd’hui, l’avocat peut voir ses clients aussi souvent qu’il le souhaite et parler dans n’importe quelle langue. Il a reçu des menaces anonymes qui lui demandaient de ne pas défendre les journalistes d’Urji.
Les familles des trois journalistes leur rendent visite chaque week-end et leur fournissent la nourriture nécessaire pour tous les repas de la semaine. Ils sont détenus dans le même bloc mais pas dans la même cellule. Tesfaye Deressa et Garuma Bekele sont en bonne santé. Solomon Nemera a perdu du poids.
Tesfaye Deressa a 34 ans. Il est fiancé et n’a pas d’enfants. Garuma Bekele a 41 ans. Il est marié et a un fils de 3 ans. Solomon Nemera a 27 ans. Il n’est pas marié et n’a pas d’enfants.
Tilahun Bekele (Fetash)
En septembre 1998, Tilahun Bekele, rédacteur en chef de l’hebdomadaire en langue amharique Fetash, est arrêté dans la capitale. Il est détenu pendant deux mois au Centre d’investigations criminelles de Maekelawi (Addis-Abeba) avant d’être transféré à la prison de Kerchiele.
Tilahun Bekele est poursuivi pour trois délits de presse différents. On lui reproche notamment d’avoir publié un article affirmant qu’une compagnie d’eau minérale éthiopienne était financée par la Central Intelligence Agency (CIA Â Etats-Unis) et qu’elle puisait l’eau dans des sources polluées. L’Eglise orthodoxe a également porté plainte contre lui pour « diffamation ».
Après avoir mené des investigations sur place, Reporters sans frontières a l’intime conviction que Tilahun Bekele n’a jamais écrit ces articles. Il paraît très probable que Tilahun Bekele est une victime du système des « Tapela ». Cette pratique consiste à payer des individus (autour de 50 birrs par mois  6,5 euros) afin d’utiliser leurs noms au moment de l’enregistrement du journal. Ainsi, le nom du rédacteur en chef figurant dans la publication  qui est également le nom de la personne responsable devant la loi  n’est pas celui d’un journaliste mais d’une personne payée pour « prêter » son nom. Plusieurs journalistes, par peur d’aller en prison, ont adopté ce mode de fonctionnement.
Tilahun Bekele a 32 ans. Il est marié et a une fille de 7 ans. Il souffre d’une grippe gastro-intestinale et a perdu beaucoup de poids. Sa famille n’a pas les ressources nécessaires pour lui faire parvenir des médicaments.
Amir Adaweh (La République)
Amir Adaweh est un journaliste de nationalité djiboutienne qui serait emprisonné à Harrar (dans l’est de l’Ethiopie) depuis juillet 1999. Plusieurs sources à Addis-Abeba ont confirmé que ce journaliste serait bien détenu en Ethiopie. De leur côté, les autorités affirment n’avoir jamais entendu parler de cet homme. Au ministère de la Justice, on explique que l’Ethiopie est un pays fédéral et que des personnes peuvent être détenues à Harrar sans que le gouvernement central ne soit au courant.
Amir Adaweh aurait été arrêté alors qu’il se rendait en vacances en Ethiopie. Depuis, sa mère s’est rendue sur place et a eu confirmation de sa détention. Elle n’a pas eu l’autorisation de le voir, mais il serait détenu dans de très mauvaises conditions. L’un de ses gardiens lui aurait tiré dans les jambes.
Amir Adaweh est rédacteur en chef de La République, l’organe du Parti national démocratique (l’un des principaux partis de l’opposition djiboutienne).
Zemedkun Mogus (Atkurot)
Reporters sans frontières n’a pu recueillir que très peu d’informations à propos de ce journaliste. Rédacteur en chef de l’hebdomadaire en langue amharique Atkurot, il est détenu à la prison de Kerchiele depuis mars 1999. On ne connaît pas les raisons exactes de son incarcération.
Teshalene Mengesha (Mebruk)
Rédacteur en chef de l’hebdomadaire Mebruk, il est arrêté le 25 janvier 2000 et condamné à un an de prison. Il est détenu à Kerchiele. Sa famille lui rend visite chaque week-end. Il est en bonne santé.
On lui reproche d’avoir publié un article, en 1996, qui annonçait des changements d’affectation au sein des officiers de l’armée éthiopienne. Deux mois plus tard, le gouvernement a effectué les modifications annoncées dans l’hebdomadaire et les journaux d’Etat ont publié l’information. Teshalene Mengesha a déjà été emprisonné durant deux mois en 1996 au Centre d’investigations criminelles de Maekelawi pour cette même affaire. En février 2000, le journaliste a demandé aux autorités de prendre en compte cette période d’incarcération et de ramener sa peine à dix mois de prison. Le gouvernement n’a toujours pas répondu à sa demande.
Teshalene Mengesha a 48 ans. Il est marié et a un fils de 13 ans.
Des journalistes en situation précaire
Pendant cette mission, le vice-ministre de la Justice, Mesfin Girma, a affirmé au représentant de Reporters sans frontières que les journalistes éthiopiens n’étaient plus placés en détention préventive aussi longtemps que par le passé. Il a ajouté qu’aujourd’hui, les journalistes qui sont arrêtés sont libérés presque immédiatement sous caution.
Ce système des cautions permet à un grand nombre de journalistes de rester en liberté et de poursuivre leur activité professionnelle pendant que la justice suit son cours.
En revanche, la lenteur de l’appareil judiciaire et le nombre toujours croissant des plaintes déposées font qu’une grande partie des rédacteurs en chef ou directeurs de publication des journaux privés en amhariques sont en liberté sous caution et peuvent, à tout moment, être condamnés et incarcérés. Beaucoup souffrent de cette situation. Si la plupart affirment qu’ils ne changent pas leur manière d’écrire pour autant, certains avouent qu’ils ont quitté la presse privée pour rejoindre la presse d’Etat en raison de ces pressions.
Depuis 1991 et l’arrivée au pouvoir de l’EPRDF (Ethiopian People’s Revolutionary Democratic Front), plus de cent soixante journalistes ont été, à un moment ou à un autre, derrière les barreaux.
Parmi eux, Tesfa Tegegn, directeur de publication de l’hebdomadaire Ethiop, est poursuivi pour cinq affaires différentes. Elles concernent des articles ou des dessins publiés dans Ethiop ou dans Beza, un autre hebdomadaire en amharique. L’un de ces dessins représentait le Premier ministre, Méles Zenawi, habillé en joueur de football. Il était le « capitaine » de la nouvelle équipe gouvernementale. Ce dessin dénonçait le manque de transparence des élections qui avaient conduit à la mise en place de ce nouveau gouvernement.
Tsegaye Ayalew, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Genanaw, a été arrêté à quatre reprises entre 1995 et 2000. Il est en liberté sous caution, mais reste inculpé de diffamation pour six articles publiés dans son journal. L’un d’eux concernait le cas de deux jeunes enfants qui avaient trouvé la mort en touchant un poteau électrique tombé dans les rues de la capitale. Genanaw accusait la compagnie de gestion des équipements électriques de la capitale (une société publique) de « pure négligence ». Le poteau était resté plusieurs jours au sol avant d’être réparé.
D’autres journalistes, soucieux de préserver leurs familles et de ne pas retourner en prison, ont préféré quitter le pays. Ainsi, une quinzaine d’entre eux ont fui l’Ethiopie ces dernières années. Tous ont obtenu le statut de réfugié politique en Europe ou en Amérique du Nord. Dawit Kebede, le rédacteur en chef de l’hebdomadaire Fiameta, a quitté l’Ethiopie en janvier 2000. Il était poursuivi dans le cadre de douze affaires différentes devant les tribunaux d’Addis-Abeba.
Un cadre juridique répressif
L’Ethiopie, comme la plupart des pays du continent, maintient dans sa législation des peines de prison pour des délits de presse tels que la « diffamation » ou la « propagation de fausses nouvelles ». En plus de la loi sur la presse, les autorités peuvent recourir au Code pénal pour condamner encore plus sérieusement les journalistes.
L’article 29 de la Constitution éthiopienne garantit la liberté de la presse. Il affirme que ce droit « inclut la liberté de chercher, recevoir et répandre des informations et des idées de toutes espèces ». La Constitution ajoute que les « médias financés ou contrôlés par l’Etat (Å ) doivent veiller à respecter une diversité dans l’expression des opinions ».
La loi sur la presse n°34/1992 garantit également dans son article 3 la liberté de la presse et interdit la censure. Ce texte définit le cadre général de l’exercice de la profession de journaliste. L’enregistrement d’une publication, par exemple, est relativement aisé. Il suffit d’en faire la demande auprès du ministère de l’Information. La loi protège le secret des sources, sauf en cas d’informations relatives à la « sûreté de l’Etat ou de l’administration ». Certaines sanctions sont prévues dans ce texte. Ainsi, toute personne reconnue coupable de diffamation envers une personne physique ou morale peut être condamnée à une peine d’un à trois ans de prison.
Les autres sanctions relèvent du Code pénal. Ce texte de 1957 prévoit des peines pouvant aller jusqu’à dix ans de prison pour toute personne qui, par ses écrits, « porte atteinte à la sécurité de l’Etat », « incite à la guerre » ou révèle des « informations classées secrètes par l’Etat ». L’article 269 prévoit des peines similaires pour toute personne qui diffuse des informations de nature à « démoraliser l’opinion publique ». D’autres sanctions moins importantes (peines de prison avec sursis, amendes) sont prévues en cas de diffamation ou d’injures envers un particulier.
En juin 1999, le Parlement a adopté la loi sur l’audiovisuel n°178/1999 qui prévoit la création de chaînes de télévision et de stations de radio privées. Au 1er avril 2000, le bureau destiné à attribuer les fréquences à des opérateurs privés n’a toujours pas été mis en place par le gouvernement. Des peines de prison sont prévues en cas de manquement à certaines dispositions (diffusion de publicités, autorisation d’émettre, etc.). Le texte fait référence à la loi sur la presse en ce qui concerne les délits tels que la diffamation.
Des conditions de détention difficiles
A la prison de Kerchiele, Tesfa Tegegn explique qu’il n’avait pas le droit de recevoir des lettres écrites en anglais, ni d’avoir un crayon et du papier. Les prisonniers sont obligés de dormir tête-bêche pour pouvoir s’allonger sur le sol. Plus de 300 personnes peuvent être détenues ensemble dans un même bâtiment. Toutefois, Fekadu Beshah, un ancien journaliste de Tomar, un hebdomadaire en langue amharique, affirme que les autres détenus ont un grand respect pour les journalistes.
L’un d’eux parle de « camp de concentration » à propos de cette prison. Il affirme qu’en 1997, au moment de sa détention, 30 à 40 personnes étaient détenues dans une même cellule et qu’elles n’avaient accès aux toilettes que deux fois par jour. Les détenus malades avaient recours à un sac plastique. Il explique qu’un seul membre de sa famille avait le droit de lui rendre visite, pendant cinq minutes, une fois par semaine.
Iskender Nega, directeur de publication de l’hebdomadaire Menelik, a été victime de mauvais traitements en détention. Conduit dans un commissariat de police en 1996, il a reçu des coups de câble électrique sur la plante des pieds. Il est resté plus d’un mois en isolement total dans une pièce sans lumière.
En 1995, Israel Seboka, directeur de publication de l’hebdomadaire Seife Nebelbal, a été emprisonné pendant 58 jours dans le cachot du commissariat n°4. Une cinquantaine de personnes étaient détenues dans une pièce de 16 mètres carrés à peine éclairée.
Conclusions
Les autorités ont une responsabilité certaine dans la situation de la liberté de la presse en Ethiopie. Dans la majorité des poursuites devant les tribunaux, les journalistes sont incarcérés à la suite de plaintes déposées par des représentants de l’Etat ou des hauts fonctionnaires.
Mais il est également vrai que certains journalistes ne respectent pas les normes déontologiques de la profession. On trouve beaucoup d’articles mal informés ou diffamatoires. D’autres, heureusement beaucoup plus rares, peuvent même s’apparenter à des incitations à la haine ethnique. Trop de journalistes ne se donnent pas la peine d’enquêter véritablement. Aussi, plusieurs titres confondant la rumeur et les faits, la presse éthiopienne a mauvaise réputation. Les autres journaux, qui font sérieusement leur travail et ont réussi à mettre en place de vraies rédactions, souffrent de cette situation. Les autorités en profitent et ont tendance à dénigrer la « presse privée » dans son ensemble.
Il y a un réel besoin de formation tant des journalistes de la presse publique que ceux de la presse privée. Il n’y a aucune filière « journalisme » ou « communication » à l’Université d’Addis-Abeba et seulement une poignée de journalistes ont pu se former à l’étranger. Cependant, une section « journalisme » devrait être mise en place dans une université privée de la capitale à la rentrée prochaine.
Les journalistes ont également un problème d’accès aux informations officielles. La lenteur et la lourdeur de l’administration, doublées d’une réticence certaine à communiquer, font que la recherche d’informations ressemble parfois à un véritable parcours du combattant.
La justice éthiopienne reste très répressive. Le recours au Code pénal permet la condamnation de journalistes à de lourdes peines de prison. En avril 1999, Samson Seyum, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Tequami, a été condamné à quatre ans et demi de prison en vertu du Code pénal. C’est la plus longue peine prononcée pour un délit de presse en Ethiopie depuis 1991. Si plusieurs textes garantissent la liberté d’information dans le pays, les tribunaux continuent à utiliser un Code qui date de l’Empire pour réprimer les journalistes.
Si le nombre de journalistes incarcérés a diminué, passant de treize en janvier 1998 à huit au 1er avril 2000, l’Ethiopie reste la plus grande prison du continent pour les journalistes.
Recommandations
Reporters sans frontières demande aux autorités éthiopiennes :
– de faire en sorte que sept journalistes détenus – Tamrat Gemeda, Tesfaye Deressa, Garuma Bekele, Solomon Nemera, Amir Adaweh, Zemedkun Mogus et Teshalene Mengesha – soient libérés. A la connaissance de l’organisation, ils n’ont fait qu’exercer leur métier tel qu’il est garanti dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par l’Ethiopie,
– de libérer Tilahun Bekele. Selon les informations recueillies par Reporters sans frontières, il n’est que la victime d’une pratique condamnable utilisée par certains journalistes pour se soustraire à leurs responsabilités et n’est en rien responsable de ce qui a été écrit dans Fetash,
– de modifier la loi sur la presse en supprimant les peines de prison pour les délits de presse. L’organisation rappelle qu’en janvier 2000, le rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression a demandé « instamment à tous les gouvernements de veiller à ce que les délits de presse ne soient plus passibles de peines d’emprisonnement, sauf pour des délits tels que commentaires racistes ou discriminatoires ou appel à la violence. Pour des délits tels que « écrits diffamatoires », « insultes » ou « outrage » envers le chef de l’Etat ou la publication d’informations « fausses » ou « alarmistes », les peines de prison sont à la fois répréhensibles et hors de proportion avec le dommage subi par la victime »,
– de mettre en place rapidement un office destiné à attribuer les fréquences audiovisuelles afin que des chaînes de télévision et des stations de radio privées puissent voir le jour.
Par ailleurs, Reporters sans frontières demande aux journalistes éthiopiens :
– de respecter les règles d’éthique et de déontologie professionnelles telles que définies dans la Charte des droits et des devoirs des journalistes adoptée à Munich en 1971,
– de ne plus avoir recours au système des « Tapelas » qui ne fait que semer la confusion et nuit à la réputation des journalistes.
Enfin, Reporters sans frontières demande aux bailleurs de fonds internationaux et notamment à l’Union européenne de conditionner toute aide au gouvernement éthiopien au respect de la liberté de la presse et notamment à la libération des huit journalistes emprisonnés.