Juin 2023 en Afrique. Tour d'horizon de la liberté d’expression, réalisé sur la base des rapports des membres de l'IFEX et des nouvelles de la région, par Reyhana Masters, rédactrice régionale de l'IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
Deux décisions de justice distinctes, au Nigéria et en Afrique du Sud, sont saluées pour faire progresser la liberté des médias et l’accès à l’information détenue par les organismes publics.
Un « procès-baîllon » déjoué en Afrique du Sud
La décision d’une haute cour sud-africaine de rejeter les poursuites privées engagées par l’ancien président Jacob Zuma contre la journaliste Karyn Maughan et le procureur Billy Downer, et de le condamner à payer les frais de justice, a été saluée comme une victoire par les médias et le monde judiciaire, à l’intérieur et au-delà des frontières de l’Afrique du Sud.
{Traduction: La décision de la Haute cour en faveur du procureur Billy Downer et de la journaliste Karyn Maughan est une victoire pour l’État de droit et la liberté des médias. Cela a aussi fait de Jacob Zuma un éternel perdant, écrit @PieterDuToit ]
La stratégie « Stalingrad » utilisée par Jacob Zuma pour faire taire et intimider les critiques, ainsi que retarder le jugement de son affaire de corruption, a été lancée en septembre 2022. Selon The Conversation : « Zuma avait initialement porté des accusations contre le procureur dans son affaire de corruption, Billy Downer, pour avoir [prétendument] communiqué un certificat médical joint à l’enquête à la journaliste Karyn Maughan. Lorsque la police a refusé de poursuivre Downer, Zuma a engagé des poursuites contre celle-ci pour avoir divulgué l’information ».
Le jugement a beau « renforcer le droit des journalistes de faire librement leur travail de couverture d’affaires judiciaires importantes sans entrave ni harcèlement », la victoire juridique pour la liberté des médias représente un coût lourd.
Outre l’épreuve juridique, Maughan a dû faire face à un déferlement sans fin d’attaques en ligne vicieuses, racistes et misogynes de la part des partisans de Zuma, et en particulier de sa fille Duduzile.
Maughan a expliqué que même si le litige et les harcèlements sur les réseaux sociaux n’ont pas réussi à la faire taire, elle en a été affectée. « J’aimerais écrire que, malgré les pires intentions de ceux qui m’ont harcelée et menacée, je reste indemne. Mais ce ne serait pas vrai. J’ai été ébranlée par cela. Il est difficile d’écrire ces mots, car, quand je les prononce, ils ressemblent à un aveu d’échec. En admettant que les neuf derniers mois ont fait de moi une version plus petite, plus meurtrie et anxieuse de moi-même, j’admettrai que ceux qui ont essayé de me faire taire ont gagné. »
Une victoire pour l’accès à l’information
L’utilisation constante par Media Rights Agenda des litiges stratégiques comme outil pour améliorer l’accès aux droits à l’information a été validée par une décision de justice ordonnant à la Banque centrale du Nigéria (CBN) de payer à l’organisation 1 million de Nairas (2100 USD) et de divulguer les informations qu’elle demandait.
[Traduction: Une division de la Haute cour fédérale d’ #Abuja a ordonné à la @cenbank de payer la somme de 1 million de Nairas à @MRA_Nigeria au titre de dommages pour lui avoir refusé l’accès à des informations demandées au titre de la réglementation sur la protection des données. @EdetOjo @lanreipc ]
En mai 2020, MRA avait écrit à la CBN dans le but de s’assurer que les données des consommateurs étaient protégées. En plus des préoccupations concernant la conformité des politiques de protection des données de l’institution financière avec le Règlement nigérian sur la protection des données (NDPR) de 2019, MRA avait également demandé des informations sur le rapport d’audit détaillé que la CBN a réalisé sur ses pratiques de confidentialité et de protection des données, ainsi que sur les instruments de confidentialité des données et les directives de protection des données pertinentes.
Dans son jugement, le juge Okorowo a convenu avec MRA que « le défaut de la CBN de notifier par écrit à l’organisation [MRA] que l’accès à tout ou partie des informations demandées ne serait pas accordé, ainsi que son défaut d’indiquer les raisons de son refus d’accès et l’article de la loi en vertu duquel le refus a été fait, constituaient une violation de l’article 4(b) de la loi. »
Les droits en ligne et hors ligne présentés lors de la conférence de Windhoek
La liberté d’expression, l’accès à l’information, la liberté de la presse et les droits numériques étaient les thèmes principaux de la récente conférence sur l’information et la communication co-organisée par Fesmedia Africa et la rapporteuse spéciale sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en Afrique, la Commissaire Ourveena Gerveesha Topsy Sonoo, représentant la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, en partenariat avec le bureau de l’UNESCO à Windhoek et le Namibia Media Trust (NMT).
[Traduction: Des délégations d’Afrique et du monde se sont rencontrées à Windhoek, en Namibie, pour une conférence régionale sur les droits de l’information et de la communication en Afrique. Jetez un coup d’oeil dans notre galerie photo sur la riche représentation africaine. ]
L’événement de trois jours s’est tenu à Windhoek, en Namibie, et a donné lieu à des discussions animées sur les défis régionaux, notamment le rétrécissement des espaces physiques et en ligne le long de lignes intersectionnelles. Des professionnels des médias, des défenseurs des droits humains, des défenseurs des droits à l’information et à la communication, des fonctionnaires, des universitaires et des chercheurs indépendants se sont réunis pour explorer des sujets tels que les approches holistiques de l’accès à l’information, la liberté d’expression, les droits numériques, la surveillance, le capitalisme, la technologie et le droit à la vie privée en Afrique, ainsi que la manière de construire de solides relations régionales et continentales pour faire face à ces défis et à d’autres. L’événement s’est terminé par une importante déclaration sur les conclusions.
Dans son discours d’ouverture, Peya Mushelenga, ministre namibien de l’Information, a souligné l’importance de protéger les droits humains et les libertés sur Internet à l’ère numérique. Notant que le gouvernement namibien « croit fermement que les droits numériques, l’accès à l’information et la liberté d’expression et de la presse sont des droits humains inaliénables qui doivent être défendus à tout prix », Mushelenga a souligné l’engagement du pays envers les principes contenus dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP).
[Traduction: La première session du 3ème jour a mis l’accent sur l’intégrité électorale. En se référant, entre autres, aux médias et à leurs rôles dans la conformité aux normes. Les médias ont un rôle essentiel à jouer dans la lute contre la désinformation et la mésinformation pour une gestion électorale efficiente.]
En soulignant comment Internet a fait tomber les barrières, permettant à des personnes d’horizons divers d’accéder à des connaissances pour éclairer leurs processus de prise de décision, la directrice du NMT Zoe Titus a expliqué comment la conférence a marqué le début d’un dialogue « qui changera la forme et la nature des campagnes pour la liberté d’expression, l’accès à l’information et les droits numériques sur le continent, en particulier en raison de l’accent mis sur la formulation du concept de « communauté », pour montrer l’inclusion des plus marginalisés. »
AFIC amène l’équité et la redevabilité de l’ATI en Afrique de l’Est
Tout au long du mois de juin, un membre de l’IFEX, l’Africa Freedom of Information Centre, a organisé une série d’ateliers et de dialogues dans toute l’Afrique de l’Est. Les rendez-vous en Éthiopie, en Tanzanie et au Kenya ont été renforcés par les recherches de l’AFIC qui mettent en évidence de nombreuses lacunes systémiques, en particulier en ce qui concerne la sous représentation des entreprises dirigées par des femmes accédant aux marchés publics dans la région. Outre le besoin d’autonomisation par le renforcement des compétences, l’AFIC a souligné la nécessité pour les femmes d’avoir accès à des financements qui leur permettraient de répondre aux exigences des appels d’offres.
{Traduction: Notre rencontre de plaidoyer avec les parlementaires en #Tanzanie a été un succès ! Résultat : les parlementaires vont constituer un groupe pour plaider en faveur des femmes dans l’attribution des marchés publics. Le rapport de notre étude sera enrichi pendant les discussions du budget. Les parlementaires vont accorder priorité à l’inclusion des femmes dans les marchés publics. @IDRC_CRDI ]
Le voyage en Tanzanie s’est avéré être le plus percutant dans l’immédiat, l’Autorité de réglementation des marchés publics (PPRA) du pays ayant annoncé qu’elle modifierait sa loi pour inclure des groupes a besoins spéciaux dans les marchés publics. Dans son échange avec la PPRA, l’AFIC a partagé les idées et les recommandations de son rapport national, qui souligne que seulement 0,002 % des contrats gouvernementaux ont été attribués à des groupes à besoins spéciaux tels que les femmes.
{Traduction: Kyama Eric de @PulseUganda
– Comme médias, nous voulons faire quelque chose au sujet des inégalités dans l’attribution des marchés publics, nous voulons braquer les projecteurs sur cela. Notre économie ne peut pas aller de l’avant lorsqu’une catégorie du peuple est laissée de côté. @GovUganda @nbstv @ntvuganda @newvisionwire @nilepostnews @DailyMonitor ]
En Éthiopie et au Kenya, AFIC a réuni diverses parties prenantes, notamment des partenaires de recherche et les médias, pour diffuser les résultats de la recherche. Le directeur exécutif de l’AFIC, Gilbert Sendugwa, a souligné que la corruption était un obstacle majeur qui empêchait les entreprises dirigées par des femmes de remporter les appels d’offres du gouvernement, et a exhorté les médias à dénoncer en permanence les malversations.
La stabilité du Sénégal
La réputation de longue date du Sénégal en tant que démocratie stable défendant la liberté des médias a pris un coup en juin. Le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) s’est inquiété de « l’évolution des droits humains au Sénégal ces dernières semaines, où au moins 16 personnes ont été tuées, 350 blessées et plus de 500 arrêtées pendant trois jours de manifestations […] ».
{Traduction: 9 morts, stations TV fermées, internet coupé alors qu’une décision d’un tribunal plonge le Sénégal dans le chaos ]
La violence a éclaté le 1er juin, lorsque des partisans d’Ousmane Sonko sont descendus dans la rue pour protester contre la peine de deux ans de prison infligée au chef de l’opposition. Le procès lancé de longue date contre Sonko a été au centre de nombreuses escarmouches entre l’Etat et les citoyens émeutiers. Dans sa documentation des violations contre les médias en 2021 et 2022, Media Foundation for West Africa (MFWA) avait noté le déclin du pays dans le classement de Freedom House, passant de pays libre à pays partiellement libre.
Pris dans la mêlée politique : les journalistes qui rendent compte des évènements politiques, et en particulier des nombreux procès d’Ousmane Sonko. Comme l’a noté la MFWA, « les journalistes semblaient être piégés entre le marteau du parti au pouvoir et l’enclume des militants du parti d’opposition. »
Les dernières victimes médiatiques sont Pape Ndiaye, Serigne Saliou Gueye et Maty Sarr Niang. Ndiaye, détenu depuis mars, et Gueye, arrêté en mai, ont finalement été libérés le 20 juin. Leur libération provisoire est assortie de conditions les obligeant à se présenter au parquet le premier vendredi de chaque mois et à informer le juge de tout changement d’adresse. Il est également interdit à Ndiaye et Gueye de quitter le pays sans autorisation.
Niang, qui fait des reportages sur la politique locale pour le site Internet privé Kéwoulo, reste en détention sans date d’audience prévue. Elle est accusée d’« actes et manœuvres susceptibles de porter atteinte à la sécurité publique » et d’« usurpation de la fonction de journaliste ».
En bref
Des journalistes des régions du nord-ouest et du sud-ouest du Cameroun ont suivi une formation pour renforcer la résilience en temps de crise, organisée par Adisi-Cameroun et facilitée par la Collaboration sur la politique internationale des TIC pour l’Afrique orientale et australe (CIPESA). Les participants ont exploré un éventail de stratégies et de compétences pour identifier et se protéger des menaces, y compris la surveillance et le harcèlement.
Moses Kuria, ministre kenyan du Commerce et de l’Industrie, s’est empêtré dans une tempête médiatique pour ses propos désobligeants contre le Nation Media Group. CPJ rapporte que « dans la vidéo qu’il a publiée sur Twitter le 18 juin, Kuria a menacé de licencier des responsables gouvernementaux qui donnaient de la publicité au Nation Media Group, une société qui possède un certain nombre de journaux et de diffuseurs locaux et régionaux ».
Les liens entre la liberté d’expression et l’espace civique ont été soulignés dans la dissection des élections kenyanes et nigérianes effectuée par Toyin Akinniyi. Elle écrit sur la façon dont les parties prenantes doivent s’investir pour mieux comprendre, encourager et responsabiliser les jeunes à assumer un leadership dans l’espace politique et civique. « Nous devons démontrer un véritable engagement envers les valeurs et les idéaux qui sous-tendent la démocratie, notamment la diversité et la participation inclusive, la justice et l’équité, la liberté d’expression, l’indépendance du pouvoir judiciaire et la liberté de la presse », a-t-elle déclaré.
Citant la province agitée du Nord-Kivu, le gouvernement congolais a demandé officiellement à Karim Khan, procureur de la Cour pénale internationale, d’enquêter sur la recrudescence de la violence et des abus dans la province orientale assiégée.
La rapporteuse spéciale de la CADHP sur la liberté d’expression et l’accès à l’information a écrit au président Mnangagwa du Zimbabwe, pour lui déconseiller de signer le projet de loi d’amendement du droit pénal (codification et réforme). La commissaire Topsy Sonoo a déclaré que « la loi proposée aura pour effet de restreindre l’exercice de droits tels que la liberté des médias et la liberté d’expression, le droit à la vie privée, l’accès à l’information, la liberté de conscience, les droits politiques, la liberté de manifester et de pétition, ainsi que la liberté de réunion et d’association ».
La série « Kizazi Moto : Generation Fire », qui sera lancée par Disney, est acclamée comme une révolution dans le monde de l’animation. La série d’anthologie en 10 parties présente le travail d’animateurs de six pays africains qui se sont inspirés « d’histoires anciennes, des folklores et de paysages urbains contemporains pour présenter des visions de l’avenir d’un point de vue typiquement africain ».