Juillet 2022 en Afrique. Un tour d'horizon de la libre expression réalisé par Reyhana Masters, rédactrice régionale de l'IFEX, sur la base des rapports des membres de l'IFEX et des nouvelles de la région.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
La plus grande victoire sur le continent ce mois-ci a été la décision rendue le 14 juillet par le tribunal de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à Abuja, déclarant que la suspension de la plateforme de médias sociaux Twitter par le gouvernement nigérian était illégale. Les nombreuses plaintes distinctes déposées contre le gouvernement fédéral nigérian par des groupes de défense des droits des médias, des journalistes et des particuliers ont été regroupées en une seule action.
[Traduction : C’est une énorme victoire pour les organisations et les individus qui ont intenté cette action en justice, et pour les citoyens nigérians qui se sont vu refuser l’accès. C’est aussi une victoire pour tous ceux qui se battent pour les #droitsnumériques en Afrique et au-delà. @NigeriaGov a fait tout son possible pour gagner ou faire rejeter cette affaire.]
[A L’INSTANT : La Cour @ecowas_cedeao vient de rendre son jugement dans l’affaire #TwitterBan et a déclaré illégale la suspension par le gouvernement nigérian. Ils ont également jugé l’action incompatible avec la Charte africaine et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. ]
La décision du tribunal régional ouest-africain était en faveur des requérants, qui ont fait valoir que leurs droits à la liberté d’expression et à l’accès à l’information avaient été violés lorsque le gouvernement fédéral a unilatéralement fermé Twitter le 5 juin 2021 et criminalisé son utilisation. Le tribunal régional a ensuite conclu que le gouvernement nigérian avait enfreint les lois régionales et internationales telles que l’article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, lorsqu’il a institué la suspension de Twitter.
[Traduction : 1 sur 28 : J’espère que le gouvernement fédéral se conformera pleinement à l’arrêt de la Cour de la CEDEAO dans l’affaire #TwitterBan et qu’il a tiré de précieuses leçons de cette matière, y compris le fait qu’un mensonge ne devient pas vérité prouvée simplement parce qu’un officiel du gouvernement l’a affirmé ! ]
Le tribunal a également ordonné au gouvernement nigérian « de veiller à ce que la suspension illégale ne se reproduise plus et de prendre les mesures nécessaires pour modifier ses lois afin qu’elles soient conformes aux droits et libertés consacrés par la CADHP et le PIDCP ».
L’image publique de Meta et ses pratiques occultes
Les défenseurs des droits humains et de la liberté d’expression saluent la décision de la société mère de Facebook, Meta, et de sa société sous-traitante de modération, Sama, de ne pas imposer le silence au lanceur d’alerte basé au Kenya, Daniel Motaung.
La réponse par e-mail de la directrice du marketing de Sama, Suzin Wold, à l’article de TIME disait : « Nous n’avons pas déposé et nous ne prévoyons pas de déposer une « ordonnance de secret » contre Daniel Motaung ». Cette décision a été communiquée peu de temps après qu’une lettre ouverte signée par des syndicats, des écrivains, des avocats et des défenseurs ait appelé Facebook et Sama « à abandonner leur tentative de faire taire le lanceur d’alerte Motaung ».
[Traduction : NOUS L’AVONS FAIT ! Après une poussée populaire massive, @Meta et @SamaAI ont renoncé à leurs tentatives de bâillonner le brave lanceur d’alerte Daniel Motaung au Kenya ! Une victoire ÉNORME. Ils n’ont pas accepté la défaite avec élégance… Suivez le [FIL] pour plus de détails : 1/6]
Motaung, un Sud-Africain qui travaillait comme modérateur de contenu dans la société sous-traitante du géant des médias sociaux au Kenya, a rendu publiques les conditions de travail pénibles auxquelles lui et ses collègues avaient été confrontés. Il a été brutalement licencié alors qu’il tentait d’organiser les travailleurs en syndicat afin de négocier collectivement un meilleur salaire, de meilleures conditions de travail et un soutien en matière de santé mentale.
Actuellement, Motaung poursuit Facebook et Sama devant un tribunal kenyan pour l’avoir soumis au travail forcé et à la traite d’êtres humains. Lors d’une récente comparution devant le tribunal, les avocats défendant respectivement Facebook et Sama ont exhorté le juge à « sévir sérieusement », dans le but d’empêcher Motaung et ses anciens collègues de parler de l’affaire qui était depuis devant les tribunaux. Le juge a refusé de se conformer à la demande des avocats, exigeant la preuve que Motaung avait enfreint les règles de réserve pour une affaire sous examen devant la justice du Kenya.
[Traduction : Les groupes internationaux de défense des droits veulent que Meta arrête de bâillonner le lanceur d’alerte sud-africain]
Ironiquement, cela s’est produit le même mois durant lequel Meta a publié son premier rapport sur les droits humains « inspiré par l’exigence des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits humains selon laquelle les entreprises ‘savent et montrent’ qu’elles respectent les droits humains ». Des groupes de défense des droits avaient critiqué le rapport pour n’avoir pas traité des vrais problèmes de droits, comme la monétisation de la vie privée des personnes, et la prolifération de la discrimination et des discours de haine qui ont fait augmenter l’engagement sur la plateforme.
Les journalistes font les frais de la saison électorale
Dans les semaines précédant les élections au Sénégal, au Kenya et en Angola, les médias ont fait les frais de campagnes électorales fébriles. Les reportages partisans de quelques médias se sont juxtaposés à une augmentation disproportionnée des attaques contre les journalistes couvrant les événements liés aux élections – perpétrées par des partisans des partis de chaque côté de la fracture politique.
Sénégal
Parallèlement à l’augmentation significative des agressions verbales et physiques depuis l’année dernière, la récente flambée des agressions contre les médias a contraint une alliance d’associations de journalistes sénégalais, appelée la Coordination des acteurs de la presse (CAP), à faire pression pour un dialogue national.
Les incidents comprennent une agression par des partisans du parti Benno Bokk Yakaar (BBY) contre Ndeye Ngoné Diop, un journaliste de DakarBuzz, et un enregistrement vidéo de Talla Sylla (le coordinateur de l’aile jeunesse du parti au pouvoir) appelant à un incendie criminel contre la chaîne de télévision privée Wal Fadjri, tandis que les journalistes de la chaîne de télévision privée Groupe Futurs Médias (GFM) ont été empêchés de couvrir les préparatifs d’un rassemblement du parti d’opposition par certains membres de ce parti.
[Traduction : IPI appelle les partis politiques du #Sénégal à assurer la sécurité des journalistes avant les élections législatives du 31 juillet. La récente vague d’attaques contre la presse dans un contexte de troubles politiques fait craindre un environnement hostile croissant contre les journalistes. Notre déclaration :]
Outre la publication du Bréviaire du reporter par le Conseil national de régulation de l’audiovisuel du Sénégal et une nouvelle édition en français du Guide du journaliste en période électorale pour soutenir le travail des journalistes, Reporters sans frontières (RSF) a également rappelé aux autorités qu’elles doivent « garantir la sécurité des journalistes, surtout en une période électorale particulièrement sensible qui peut donner lieu à des dérapages et des tensions. »
Kenya
La caractéristique dominante du paysage électoral du Kenya, un vestige des élections de 2017, a été l’intensité alarmante de la désinformation qui, selon le membre d’IFEX CIPESA, « attise les discours de haine, menace l’intégrité électorale et devrait persister bien au-delà du passage aux urnes ». Comme mentionné dans le bilan régional du mois dernier, un rapport détaillé du chercheur de Mozilla, Odanga Madung, est consacré à TikTok et met en évidence l’augmentation choquante des vidéos contenant des discours de haine et de la désinformation politique en rapport avec l’élection. Dans cette mêlée, on découvre le business florissant des influenceurs qui offrent leurs services aux candidats aux élections et contribuent davantage au cycle dommageable de la désinformation.
Ces sujets et de nombreux autres sujets brulants (les droits fonciers, l’impact du COVID-19 sur l’économie, les exécutions extrajudiciaires par la police, les expulsions forcées, la corruption et les droits des femmes et des filles) ont été mis en avant lors des rassemblements des partis et la campagne électorale à l’approche de l’élection présidentielle et des législatives au Kenya.
Mais comme le souligne John Githongo, éminent militant anti-corruption du Kenya et éditeur de la publication analytique en ligne The Elephant : « Il semblerait que le Kenya se prépare à des élections en août qui ne portent en grande partie sur rien. Pas de grande idée, pas de problème qui galvanise ».
Le 19 mai, le Conseil des médias du Kenya (MCK) avait publié une mise en garde soulignant le nombre croissant de profilage des journalistes et de menaces proférées contre les médias par des politiciens. Muthoki Mumo du Comité pour la protection des journalistes (CPJ) s’est entretenu avec un grand nombre de journalistes kenyans qui ont exprimé leurs inquiétudes et confirmé les avertissements du MCK.
[Traduction : Entre mai et juillet, @muthokimumo s’est entretenu avec plus de 50 journalistes kenyans et défenseurs de la liberté de la presse au sujet de leurs préoccupations avant les élections générales du 9 août. #KenyaDecides2022 @pressfreedom a publié les opinions de 6 d’entre eux. ]
Un rapport de suivi des médias par le MCK a reconnu l’amélioration des normes éthiques et professionnelles de reportage « malgré l’ingérence des propriétaires des médias dans le cadrage et la couverture des récits politiques ». Il a également souligné que « les reportages des stations de radio grand public et communautaires sur la politique nationale, régionale et de comté étaient biaisés et en faveur de la politique régionale », et qu’il était nécessaire d’avoir une couverture plus axée sur les problèmes.
Angola
D’une part, les citoyens angolais prennent la mesure de la mort de l’ancien président Eduardo dos Santos, et d’autre part, ils se préparent pour leur élection la plus disputée à ce jour. La course présidentielle se joue entre l’actuel président Joao Lourenco du Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA), au pouvoir, et le candidat du Front patriotique uni (FPU), Adalberto da Costa Junior, également chef de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA).
[Traduction : Avec des électeurs impatients d’avoir un meilleur gouvernement, les élections en Angola en août seront les plus serrées depuis l’introduction d’élections démocratiques, écrit Alex Vines (@AfricaProg). ]
Les tensions politiques sont à la hausse et il existe de fortes réserves quant au caractère libre ou équitable des élections du 24 août. Se présentant comme un homme de changement, le président Lourenço avait promis d’importantes réformes de la gouvernance et de l’économie de l’Angola, mais ces changements ne se sont pas concrétisés.
Comme le rapporte la World Politics Review :
« C’est dans ce contexte de protestation et de répression que l’environnement médiatique est à nouveau complètement muselé par l’État, qui possède et contrôle la plupart des médias d’audience nationale. Le gouvernement a fermé et confisqué toutes les sociétés de télévision privées et certaines stations de radio au cours de sa croisade anti-corruption, les médias appartenant à l’État servant essentiellement de véhicules de propagande pour le parti au pouvoir. »
Paula Cristina Roque, analyste politique et auteur de Governing in the Shadows: Angola’s Securitised State, [Gouverner dans l’ombre : l’État policier d’Angola], estime que les efforts de la présidence pour garder le pouvoir à tout prix sont au cœur de la gestion de l’État angolais, plus que la gouvernance réelle du pays ou même les intérêts du parti au pouvoir, le MPLA.
Avec l’augmentation du harcèlement des journalistes, Angela Quintal, coordinatrice du programme Afrique du CPJ, a souligné la nécessité pour les journalistes d’avoir « un accès sans entrave aux rassemblements et événements électoraux », et la capacité « de travailler en toute sécurité et sans être menacés ou blessés. »
En bref
Les médias sud-africains ont dominé les lauréats 2022 des prix des médias numériques africains décernés par WAN-IFRA le 12 juillet. Les gagnants comprenaient Media 24, Daily Maverick, Food for Mzansi et Arena Holdings. Pulse Instagram du Ghana a remporté le prix du meilleur engagement du public.
Le procureur général du Malawi, Thabo Chakaka-Nyirenda, a annoncé que deux projets de loi qui abrogeraient les lois sur la sédition seront déposés au parlement. Ces projets de loi modifieront deux lois : la Loi sur le drapeau, les emblèmes et les noms protégés et le code pénal.
La liberté d’expression a reçu un autre coup dur au eSwatini après que la publication en ligne Swaziland News et son rédacteur en chef Zweli Dlamini aient été qualifiés d’« entités terroristes » par le gouvernement du Swaziland. Le journaliste, qui a fui son pays d’origine par peur pour sa vie, est accusé d’incitation à la violence et de tentative de destitution illégale d’un gouvernement légitime.
Cinq membres du personnel du journal en ligne nigérian People’s Gazette ont été arrêtés par la police à Abuja, en lien avec une plainte en diffamation pénale déposée par un ancien haut responsable militaire contre la publication. La police recherchait le directeur général du média, Samule Ogundipe, et l’auteur de l’article, Adefemola Akintade, qui n’étaient pas au bureau au moment de la descente de police. Les membres du personnel arrêtés – John Adenekan, Ameedat Adeyemi, Grace Oke, Sammy Ogbu et Justina Tayani – ont finalement été relâchés le soir même. En condamnant le raid, Media Rights Agenda a appelé le gouvernement fédéral nigérian « à maîtriser les services d’application de la loi », avertissant qu’ils risquaient de devenir un outil permettant aux puissants de harceler les journalistes et les médias.
Toujours au Nigeria : un an après que le journaliste Agba Jalingo ait reçu 73 000 dollars US en compensation de la Cour de justice de la CEDEAO pour son incarcération illégale, le gouvernement nigérian n’a toujours pas honoré la décision.
Danny Kapambwe et Justin Chimpinde ont été condamnés à 24 mois de prison avec travaux forcés par un magistrat de la province de Luapula après avoir été reconnus coupables d’avoir diffamé le président zambien Hakainde Hichilema dans une vidéo sur TikTok. Les deux hommes ont plaidé coupable et ont demandé pardon, mais se sont toujours vu refuser la clémence.
Un vlogueur chinois dénoncé par Runako Celina et Henry Mhango sur BBC Africa Eye pour avoir exploité des enfants malawites pour produire des vidéos racistes a été arrêt en Zambie et extradé vers le Malawi pour faire face à ces accusations.