Des études menées par l'IMI ont permis de constater une forte dégradation de l'état de la liberté d'expression en Ukraine depuis l'arrivée au pouvoir du président Viktor Ianoukovitch en février 2010.
(IMI/IFEX) – Nous, journalistes soussignés, défenseurs de la liberté d’expression et membres de l’Échange international de la liberté d’expression (IFEX), exprimons notre inquiétude face aux pressions croissantes qui menacent la liberté d’expression en Ukraine. Nous nous joignons à nos collègues ukrainiens pour dénoncer la censure et nous demandons à ce que les autorités ukrainiennes cessent d’entraver le travail des médias.
Des études fondées sur l’observation, menées par l’Institut des mass médias (Institute of Mass Information, IMI) et d’autres organisations, ont permis de constater une forte dégradation de l’état de la liberté d’expression en Ukraine depuis l’arrivée au pouvoir du président Viktor Ianoukovitch en février 2010. Les agressions contre des journalistes se multiplient et l’indépendance éditoriale de certains médias importants a été compromise. Les journalistes ont déclaré qu’il leur est interdit de couvrir certains sujets en ondes et que les directions des chaînes exercent des pressions directes afin d’influencer les choix éditoriaux.
Le 6 mai 2010, les journalistes de la chaîne de télévision nationale 1+1 ont exprimé, dans une lettre ouverte, leur préoccupation à l’égard de la censure : « Elle [la direction de la station] nous interdit de couvrir certains sujets et faits. Les reportages qui contiennent des critiques des autorités sont retirés des ondes pour des raisons politiques. La décision finale relative au contenu diffusé est prise non par le rédacteur de nouvelles ou par le rédacteur en chef du service des informations de TSN, mais par le directeur général de la chaîne de télévision 1+1 ».
Nous soulevons également la question préoccupante des tactiques utilisées récemment afin de retirer ses fréquences à la chaîne de télévision TVi. Une chaîne rivale, Inter, propriété de l’épouse du chef du Service de sécurité de l’Ukraine (SBU), a déclaré que les fréquences lui avaient été allouées et qu’elle a déposé en ce sens une demande auprès du Conseil national de radiodiffusion. Ce type d’harcèlement administratif entrave la liberté des médias ; les médias indépendants et le Conseil national de radiodiffusion devraient pouvoir poursuivre librement leurs activités, en vertu des politiques et des procédures de l’industrie.
Le 7 mai 2010, des journalistes à l’emploi de la chaîne de télévision nationale STB ont également dénoncé la censure systémique. Dans une autre lettre ouverte, ils ont indiqué que, depuis l’élection présidentielle, « les priorités ont changé, la couverture critique et indépendante des activités du gouvernement ayant cédé la place à des reportages sur les activités officielles du ministre de l’Éducation Dmytro Tabachnyk, sur l’Organisation des nationalistes ukrainiens et l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (OUN-UPA) et sur l’interprétation officielle de l’Holodomor – la grande famine qui a frappé l’Ukraine en 1932-1933 ».
En avril, les autorités ont tenté de restreindre l’accès des médias à une conférence de presse organisée à Kharkov et réunissant le président ukrainien et son vis-à-vis russe. Les autorités ont interdit au journaliste de renom Moustafa Nayem, du journal en ligne indépendant Ukrainska Pravda, d’assister à la conférence de presse, invoquant des problèmes d’accréditation du journaliste. Pendant cette conférence de presse ont été annoncées des ententes historiques en matière de souveraineté, qui décrivaient le mode de partage des secteurs pétrolier et gazier du pays et qui prolongeaient le bail d’une base militaire russe en Ukraine. On a empêché les journalistes de poser des questions critiques sur ces ententes.
Nous condamnons vigoureusement l’érosion systématique de l’indépendance des médias en Ukraine et nous appelons les autorités gouvernementales et la direction des médias à appliquer les mesures suivantes afin de rétablir dans le pays la confiance à l’endroit de la presse libre, une pierre d’assise de toutes les démocraties fonctionnelles.
1. Nous appelons les autorités ukrainiennes à éviter d’intervenir de façon à compromettre l’indépendance des médias ;
2. Nous invitons les directions de médias, notamment celles des chaînes de télévision STB et 1 + 1, à cesser d’intervenir dans la prise des décisions éditoriales et à permettre à ces médias de traiter de sujets d’intérêt public en toute indépendance ;
3. Nous invitons les journalistes et les médias à définir et à appliquer des politiques éditoriales transparentes qui garantissent la liberté de la presse ;
4. Nous encourageons les journalistes à rapporter les cas d’ingérence dans leur travail aux organismes de surveillance des médias, en citant les dispositions des politiques éditoriales des médias pour lesquels ils travaillent ;
5. Nous invitons les organisations internationales à appuyer publiquement cette déclaration et à exprimer leur solidarité avec les journalistes ukrainiens qui luttent pour la liberté de la presse.
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