De Lille à Paris ou Toulouse en passant par La Rochelle, les journalistes plaignants ont signalé avoir fait l’objet de violences alors qu’ils étaient parfaitement identifiables en tant que journalistes (casques et brassards), ne causaient aucun désordre et n’entravaient pas le travail de la police.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 20 décembre 2019.
Face au nombre inédit de journalistes blessés par des membres des forces de l’ordre durant les manifestations des “gilets jaunes”, Reporters sans frontières (RSF) dépose plainte contre X auprès du parquet de Paris aux côtés de treize journalistes victimes de violences policières.
Le 20 décembre, RSF a déposé plainte auprès du parquet de Paris aux côtés de treize journalistes victimes de violences policières pendant les manifestations des “gilets jaunes”, entre novembre 2018 et mai 2019. La plainte vise des violences volontaires et atteintes aux biens commises par personnes dépositaires de l’autorité publique.
De Lille à Paris ou Toulouse en passant par La Rochelle, les journalistes plaignants ont signalé avoir fait l’objet de violences alors qu’ils étaient parfaitement identifiables en tant que journalistes (casques et brassards), ne causaient aucun désordre et n’entravaient pas le travail de la police. Le plus souvent à l’écart des manifestants, certains se sont même présentés aux agents des forces de l’ordre en arrivant sur le lieu de la manifestation.
A La Rochelle, le photographe Xavier Léoty a eu le genou fracturé suite à un tir de LBD le 12 janvier 2019, entraînant 45 jours d’interruption totale de travail (ITT). Jean-Claude Moschetti, un photographe indépendant qui couvrait les manifestations du 19 janvier 2019 à Rennes, a reçu un impact de grenade lacrymogène à l’oeil, suscitant une perte de vision partielle pendant plusieurs jours.
La plupart de ces journalistes déclarent avoir été délibérément visés. C’est le cas du photographe Adrien Lévy-Cariès qui, le 1er décembre 2018, a reçu plusieurs coups de matraque durant une intervention policière dans un restaurant Burger King près de l’Arc de Triomphe à Paris, lui causant un hématome pendant plusieurs jours. A Toulouse, Frédéric Scheiber a été gazé sans motif en plein visage par un CRS le 20 avril 2019, après avoir été visé par un tir de grenade lacrymogène.
“Nous portons plainte aujourd’hui afin que ces violences soient sanctionnées et leurs auteurs condamnés, mais aussi pour amener les pouvoirs publics à revoir en profondeur la gestion du maintien de l’ordre dans les mouvements sociaux, pour qu’enfin les journalistes ne soient plus ciblés par certains fonctionnaires en charge du maintien de l’ordre, déclare Christophe Deloire, secrétaire général de RSF. Les manifestations sont des évènements d’intérêt public qu’il incombe aux journalistes de couvrir pour rendre compte de la réalité du terrain. Il est donc inacceptable qu’ils soient victimes de violences de la part de membres des forces de l’ordre alors qu’ils ne font qu’exercer leur métier.”
“Des journalistes et des photoreporters ont été violentés ou blessés dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions mais l’institution judiciaire ne semble pas s’en émouvoir. Cela est inadmissible, déclare Maître Emmanuel Daoud du cabinet Vigo qui représente les treize journalistes et RSF. La liberté d’information doit être protégée et la justice doit faire preuve de la plus grande célérité pour préserver l’exercice de cette liberté fondamentale.”
Malgré les nombreux appels de RSF aux forces de l’ordre afin qu’elles respectent les règles élémentaires de la liberté de la presse, la situation ne semble pas s’être améliorée et les violences policières n’ont pas faibli : la journée du 5 décembre, premier jour de mobilisation contre la réforme des retraites, a été marquée par un niveau de violence extrêmement élevé envers les journalistes : le photo-journaliste Mustafa Yalcin de l’Agence Anadolu (AA) a par exemple été gravement blessé à l’oeil par une grenade de désencerclement et en a très probablement perdu l’usage, malgré le port d’un casque de protection.
Durant les seuls six premiers mois de manifestations, RSF avait dénombré au moins 54 cas de journalistes blessés, dont 12 sérieusement par les forces de l’ordre au cours de 120 incidents répertoriés. Dès juillet 2017, RSF avait tiré la sonnette d’alarme en saisissant le Défenseur des droits à propos des violences sur des journalistes durant le mouvement “Nuit debout”. RSF avait également dénoncé les violences policières auprès du président de la République le 3 mai 2019. Ce dernier s’est engagé à ce que des « actions soient prises » face aux violences policières commises contre la presse lors des manifestations des « gilets jaunes ». L’organisation avait rencontré le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner le 18 juin 2019 pour demander des mesures concrètes et lui soumettre ses préconisations sur la gestion du maintien de l’ordre.
La France est aujourd’hui à la 32e place au classement mondial pour la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières en 2019.
Pierre Angelergues, journaliste
Valentin Belleville, reporter photographe
François Guénet, photographe
Kevin Figuier, photo-journaliste et rédacteur
Lucas Léger, journaliste
Xavier Léoty, journaliste
Adrien Lévy-Cariès, photographe
Thomas Morel-Fort, photo-journaliste
Jean-Claude Moschetti, photographe
Gabriel Pacheco, photo-journaliste
Frédéric Scheiber, photo-journaliste
Carine Schmitt, photographe
Johan Van Hasselt, photographe