"Le chaos dans lequel a été plongé le pays et les graves problèmes qui en découlent ont entraîné un grave recul de la liberté de la presse", a déclaré RSF
(RSF/IFEX) – Le 12 avril 2012 – Trois semaines, jour pour jour, après le putsch du 22 mars 2012 qui a renversé le président Amadou Toumani Touré, et alors que le président de l’Assemblée nationale, Dioncounda Traoré, est investi chef de l’Etat par intérim, Reporters sans frontières revient sur les événements survenus à l’encontre des journalistes et dresse un état des lieux de la liberté de la presse au Mali.
“Le chaos dans lequel a été plongé le pays et les graves problèmes qui en découlent – partition de fait du territoire, violations des droits de l’homme, déplacements de populations, insécurité etc – n’ont pas épargné les médias et ont entraîné un grave recul de la liberté de la presse. Agressions et menaces à l’encontre de journalistes, interpellations musclées, difficultés d’accès à l’information, pillages et destructions de matériel ont rythmé les trois dernières semaines. Nous demandons aux nouvelles autorités, chargées du rétablissement des institutions politiques, de s’efforcer de garantir la sécurité des professionnels de la presse sur l’ensemble du territoire, leur accès aux sources d’information, ainsi que le respect de la liberté des médias”, a déclaré l’organisation.
Quasi black-out de l’information au Nord
Presque aucune information sur la situation dans le nord du pays, actuellement sous le contrôle de divers groupes armés, ne filtre au sud ou à l’extérieur du pays. Dans l’ensemble de cette région, seule une radio privée, située à Tombouctou, fonctionne. Des journalistes de Gao, Tombouctou et Kidal ont fui la zone occupée pour se réfugier à Bamako ou dans des pays voisins, comme le Niger. Il en résulte un manque d’informations sur la situation exacte sur le terrain, la situation humanitaire et les conditions de vie des populations civiles.
Face à l’insécurité croissante, certaines diplomaties occidentales, notamment le ministère français des Affaires étrangères, déconseillent aux journalistes de se rendre dans cette partie du pays, en proie ‘à des terroristes en tous genre’.
Même si Reporters sans frontières a toujours déploré que des zones puissent être inaccessibles à la presse, et si l’organisation se bat toujours contre les risques de black-out de l’information, elle est consciente des risques actuels dans cette zone et comprend l’impératif de sécurité qui s’impose aux hommes des médias. Il revient aux rédactions de juger de ce qu’il convient de faire et de prendre toutes les dispositions nécessaires.
Après avoir décrit pendant plusieurs jours, au cours de son émission quotidienne, les événements se déroulant à Gao, ville du nord du territoire malien occupé par les groupes islamistes et les touaregs, le journaliste Malick Alioune Maïga a été ‘passé à tabac’ par des rebelles du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). Selon une vidéo obtenue par l’AFP, ce journaliste de radio locale commentait des images de bâtiments pillés et de fuite de prisonniers, ce qui lui a valu des représailles de la part des rebelles l’exhortant à ‘bien parler d’eux’.
Problèmes persistants à l’ORTM et actes de violence à Bamako
Immédiatement après le coup d’Etat, l’Office de Radiodiffusion-Télévision du Mali (ORTM), à Bamako, a subi de sérieuses dégradations et pillages : ordinateurs endommagés, caméras et effets personnels volés… Avec des conditions de production et de diffusion difficiles, les salariés de l’ORTM poursuivent aujourd’hui leur travail, mais sont toujours sous le contrôle des militaires, qui occupent les locaux de l’entreprise audiovisuelle publique. Interrogé par Reporters sans frontières, Ibrahim Famakan Coulibaly, président de l’Union nationale des journalistes du Mali (Unajom), s’est dit très préoccupé par ‘ce problème sérieux qui doit être résolu avec l’investiture du nouveau Président’.
Omar Ouahmane, grand reporter à la rédaction de France Culture, avait été pris à partie par des militaires putschistes dans la nuit du 28 au 29 mars, alors qu’il rentrait à son hôtel en face de l’ORTM. Attaché à un arbre pendant toute la nuit, l’envoyé spécial avait été menacé de mort par les soldats en raison d’une interview d’ATT diffusée par RFI. Son calvaire a pris fin vers six heures du matin, suite aux ordres d’un officier.
Ecoutez le témoignage du journaliste
Toujours le 29 mars, deux journalistes de l’agence Associated Press (AP), un journaliste de la British Broadcasting Corporation (BBC) et deux journalistes maliens avaient été interpellés et conduits au camp militaire de Kati, à 15 kilomètres, alors qu’ils cherchaient à s’entretenir avec ATT. Les militaires avaient motivé cette arrestation par leur présence dans une ‘zone sensible’. Ils avaient finalement été libérés dans la journée.
Reporters sans frontières espère que les efforts de retour à la normale au Sud feront cesser ce genre d’incidents.
Le reste des médias épargné
A l’exception de l’ORTM, l’ensemble des médias et des journalistes du sud du pays parvient à travailler de manière habituelle, malgré le manque de renseignements sur la situation politique dans le Nord.
Traditionnel moteur pour la liberté de la presse en Afrique, constamment parmi les cinq pays les plus respectueux du travail des journalistes sur le continent, le Mali figurait à la 25e position, sur 179 pays, dans le classement 2011-2012 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières. Les événements de ces trois dernières semaines portent un coup très dur à cette situation et à l’image positive que véhiculait le pays jusque-là.