L’espoir que la réponse autoritaire contre le mouvement pro-démocratique de 2011 au Bahreïn ferait l’objet d’une enquête et que les victimes de violence policières trouveraient justice, c’est effondré, et la situation de la liberté d’expression et des droits de la personne s’est même empirée.
Nous, en tant que défenseurs des droits de l’homme, sommes ciblées pour donner une voix aux groupes marginalisés, aux personnes qui cherchent à prendre les rênes de leur propre destin; notre gouvernement fait tout en son pouvoir pour nous empêcher de nous élever à la hauteur de nos meilleurs idéaux.
Des journalistes et des défenseurs des droits de la personne ont été emprisonnés, des manifestants pacifistes ont été arrêtés et victimes de tortures, et des personnes sont mortes. Dans le même temps, des pays importants tels que le Royaume-Uni et les États-Unis sont de moins en moins enclins à condamner ces abus.
CAPITALE: Manama
POPULATION: 1,43 m
PIB: 32.2 milliards $US
GOUVERNEMENT:
Le Bahreïn est une monarchie constitutionnelle dirigée par le Roi Hamad bin Isa Al Khalifa, qui est devenu émir à la mort de son père en 1999, avant de roi de Bahreïn lors de la constitution du pays en royaume en 2002. Son chef du gouvernement, le premier ministre Prince Khalifa bin Salman Al Khalifa, également membre de la monarchie du Bahreïn, occupe ce poste depuis 1970. Le corps législatif est formé d’un conseil consultatif de 40 membres nommés par le roi, et d’une Chambre des députés élus au suffrage universel d’une quarantaine de membres. Les élections parlementaires de 2014 furent boycottées par le parti d’opposition Al-Wefaq en contestation d’un processus qu’ils considèrent injuste. En leur absence, 37 des 40 sièges ont été remportés par des indépendants. Al-Wefaq a été interdit par les autorités en 2016 et son secrétaire général, <a href= »https://ifex.org/bahrain/2018/06/18/sheikh-ali-salman/ » target= »_blank »>Sheikh Ali Salman</a>, est présentement entrain de purger une peine de prison de quatre ans pour des discours politiques appelant aux réformes du système politique du Bahrain. En 2017, Wa’ad, le dernier principal party d’opposition, a été dissout.
MEMBRE:
Ligue arabe
Conseil de coopération du Golfe (CCG)
Mouvement des pays non alignés (NAM)
Organisation de la Conférence islamique (OCI)
Organisation des Nations Unies
MEMBRES ACTIFS DE L’IFEX DANS CE PAYS
Americans for Human Rights and Democracy in Bahrain (ADHRB)
Bahrain Centre for Human Rights (BCHR)
Gulf Centre for Human Rights (GCHR)
CLASSEMENT DE LA LIBERTÉ DE LA PRESSE:
Indice mondial de la liberté de la presse 2018 de Reporters sans frontières: 166 sur 180 pays
Un clivage religieux profond: les droits de la personne malmenés
L’un des sept États du Golfe, le Bahreïn – dont le nom signifie « deux mers » – est depuis des siècles sous la monarchie Al Khalifa. Avec une population en majorité chiite et dirigé par un roi et une classe dominante et influente sunnites, le pays connait de nombreuses tensions qui se sont traduites en conflits au fil des ans. Une série de manifestations inspirées par les mouvements démocratiques de 2011 en Tunisie et en Égypte, qui se poursuivent encore aujourd’hui, furent les plus dramatiques. En février 2011, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue et furent brutalement réprimées par l’armée. La situation s’est encore dégradée en mars, lorsque le gouvernement a déclaré l’état d’urgence pour une période de trois mois et s’est tourné vers le Conseil de coopération du Golfe pour son soutien. Des troupes saoudiennes furent appelées en renfort pour dissiper les troubles. Au cours de cette période, des centaines de personnes ont été arrêtées, torturées et condamnées. Plusieurs autres ont été assassinées ou sont mortes en détention.
Depuis, de nombreuses manifestations ont été organisées contre la monarchie pour exiger le respect des droits de la personne, qui ont abouti à d’autres arrestations et condamnations. La situation s’est fortement dégradée à partir de la mi-2016 avec la répression du parti de l’opposition chiite, Al-Wefaq, l’arrestation de son l’arrestation de son chef, et des manifestants religieux chiites. En janvier 2017, un moratoire sur la peine de mort, en place depuis 2010, a été levé avec l’exécution de trois hommes chiites reconnus coupables du meurtre de trois policiers lors d’un attentat à la bombe en 2014. Leur procès a été dénoncé comme profondément biaisé et fondé sur des aveux extorqués sous la torture. Les exécutions ont suscité l’indignation et de nouvelles manifestations. Puis en mai, cinq manifestants ont été tués et 300 autres arrêtés par les forces de l’ordre lors d’une manifestation contre l’arrestation d’un dignitaire religieux chiite. En juin, le parti Al-Wafeq a été dissout, accusé de soutenir le terrorisme.
Dans son rapport de 2017, « No one can protect you: Bahrain’s year of crushing dissent», Amnesty International décrit la situation comme une « violation massive des droits de la personne », concernant aussi bien les défenseurs des droits de la personne, que les journalistes, les militants ou les religieux chiites. Plus de 160 personnes ont été arrêtées cette année sans compter les témoignages de torture, de harcèlement et de menaces.
Les promesses de mettre fin à l’impunité restent lettre morte
Pourtant, 2011 s’était conclu sur note d’espérance. Sous la pression internationale, le gouvernement avait mis en place une commission indépendante d’enquête sur les abus commis entre février et juin 2011. En novembre de la même année, la Commission a publié son rapport qui identifiait 26 domaines de réforme pour favoriser la responsabilité du gouvernement, rendre justice aux victimes, la création d’un moratoire sur la peine de mort et la protection des libertés d’expression et de réunion, entre autres. Initialement acceptées par le gouvernement, ces recommandations n’ont pas été suivies, et la situation s’est encore dégradée avec des mesures supplémentaires prises pour renforcer le contrôle de la dissidence par le gouvernement et l’armée. Parmi ces mesures, celle d’avril 2017, modifiant la constitution pour permettre à l’armée de juger des civils, a particulièrement alarmé les observateurs des droits de la personne qui craignent que les opposants au gouvernement puissent être la cible de choix de ces tribunaux.
Les défenseurs des droits de la personne arrêtés, torturés et emprisonnés
Pendant ce temps, aucune enquête sur les homicides et les abus commis par les forces gouvernementales n’a été menée et les victimes n’ont toujours pas obtenu justice. Les abus envers les défenseurs des droits de la personne se multiplient.
• L’une des affaires les plus retentissantes est celle de Nabeel Rajab, un défenseur des droits de la personne et fondateur du Bahrain Centre for Human Rights et du Gulf Center for Human Rights victime de harcèlement et d’arrestations arbitraires. En mai 2012, il a reçu une peine de deux ans d’emprisonnement pour « insulte à un organisme statutaire sur Twitter ». Il a été arrêté de nouveau en juin 2016 pour ses messages sur Twitter critiquant les abus commis par les forces armées bahreïnies au Yémen, dans le cadre d’une coalition contre les rebelles chiites d’al Houthi. Son procès n’ayant de cesse d’être retardé et reporté, il est tenu en détention depuis lors et sa santé s’est considérablement détériorée. Il a reçu une autre peine de deux ans de prison, en juillet 2017, pour ses propos sur la situation des droits de l’homme au cours d’un procès auquel il n’a pas pu assister pour raison de santé. En février 2018, Rajab avait reçu une autre peine de cinq années de prison pour des tweets critiques sur les violations des droits humains de l’Arabie Saoudite pendant la guerre au Yémen et pour avoir documenté des allégations de torture dans les prisons du Bahrain. La culpabilité a été confirmée par la cour d’appel en juin 2018.
• La torture et les mauvais traitements des prisonniers politiques sont souvent mentionnés, et pour les femmes s’ajoute le danger de l’abus sexuel. Par exemple, en juillet 2017, la militante des droits de la personne, Ebtisam al-Saegh, a été arrêtée par la police à son domicile. Deux mois plus tôt, des agents de la sécurité nationale l’avaient arrêté et interrogé au sujet d’une manifestation au cours de laquelle cinq personnes avaient trouvé la mort, et de sa participation à une session du Conseil des droits de l’homme à Genève en mars de la même année, où elle s’était exprimée sur les violations des droits de la personne. À sa libération, elle avait accusé ses interrogateurs de coups et blessures, de menaces et de violences sexuelles. En juillet 2017, elle a été inculpéesous la loi anti-terroristes et était libérée en attendant son procès en octobre 2017.
• En mars 2018, le ministre de l’Intérieur a annoncé que de nouvelles mesures seraient prises pour « dénicher » les militants qui critiquent les autorités sur les réseaux sociaux. Bien qu’il n’a pas donné des details, sa déclaration était interprétée comme faisant allusion à plus d’expansion de la nasse du ministre de l’Intérieur ciblant tout activisme en ligne.
Journaux interdits, sites Internet bloqués, journalistes déportés et en exile
Il n’est pas surprenant que la liberté de la presse au Bahreïn soit l’une des plus contrôlées au monde, classée 166ème sur 180 pays dans le rapport de Reporters Sans Frontières Classement mondial de la liberté de la presse. La Loi sur la presse du Bahrain prévoit des peines d’emprisonnement pour outrage à la monarchie ou à l’encontre de l’Islam, et pour menace à la sécurité nationale. En 2014, la peine pour outrage au roi a été portée à sept ans de prison. Les sites web sont bloqués, l’accès et l’utilisation de l’Internet par la presse est réglementé, et les journalistes étrangers ont été interdits de séjour ou expulsés pour avoir tenté de couvrir les troubles dans le pays. En juin 2017, l’agence de presse indépendante Al-Wasat fut contrainte de fermer après la publication d’un article considéré comme un acte de « diffamation provenant d’un pays arabe frère » après que plusieurs États du Golfe aient pris des mesures contre les journalistes au milieu de dissensions dans les relations entre le Qatar et d’autres pays de la région. Le journal avait déjà été suspendu en janvier 2017 apparemment pour sa couverture des troubles sociaux à la suite des exécutions.
• Nazeeha Saeed est une victime de lois qui empêchent les journalistes bahreïnies de travailler pour des agences de presse étrangères sans permis. Correspondante de France24 et de la station de radio publique française en langue arabe Radio Monte-Carlo Doualiya, elle a été inculpée en juillet 2016 pour travailler sans permis. Sa demande pour un nouveau permis a été rejetée en mars de cette année. En juillet 2017 elle a été condamnée à une amende de 1000BD, soit l’équivalent de 2 650 $ US. Il est un survivant de tortures infligées en prison en 2011. L’une des cinq personnes qu’elle avait identifiées comme ses tortionnaires a été inculpée, mais acquittée en 2013 par un tribunal dont l’indépendance pourrait être remise en cause. En septembre 2017, elle a reçu une résidence pour écrivains en exil dans le cadre du réseau international de villes-refuges à Paris.
L’armée et le commerce avant les droits fondamentaux
Après que les recommandations de la Commission d’enquête de Bahreïn pour apporter une réponse aux violations de 2011 aient non seulement été ignorées, mais complètement balayées, la déception est d’autant plus grande que les gouvernements étrangers sont aujourd’hui réticents à condamner les violations des droits fondamentaux dans le pays. En juillet 2017, une pétition conjointe signée par des organisations du Bahreïn et de l’étranger a été envoyée au ministère des Affaires étrangères du Royaume-Uni. La piètre réponse à la condamnation de Nabeel Rajab, et le silence sur des attaques sur d’autres défenseurs des droits de l’homme y sont critiqués. Les analystes suggèrent que la nécessité pour la Grande-Bretagne de maintenir de bonnes relations avec ses alliés économiques et d’en trouver de nouveau post-Brexit, et que l’ouverture d’une base navale britannique à Bahreïn en novembre 2016 – apparemment financé en partie par le Royaume – pourrait se trouver derrière cette réticence. De même, bien que le gouvernement américain ait condamné les abus par le passé, sa position peut être sur le point de changer. La cinquième flotte des États-Unis est basée au Bahreïn et les pré-conditions à la vente de chasseurs F16, déterminées sous l’administration Obama, demandant des avancées sur la situation des doits de la personne au Bahreïn, ont été abandonnées en mars 2017 sous le président Trump.
Les avantages purement économiques, la vente de matériel militaire, et la présence dans une région du Moyen-Orient d’importance stratégique semblent avoir plus d’importance que les droits des individus. Pas plus que le fait qu’une élite, en grande partie non élue, y règne et que des abus y soient perpétrés en toute impunité.