Que faites-vous si vous voulez faire taire quelqu’un mais que votre pays est doté de lois laxistes en matière de diffamation? Vous vous rendez dans un autre pays qui lui, est doté de lois plus dures, à ce qu’il semble. Cette année, à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, ARTICLE […]
Que faites-vous si vous voulez faire taire quelqu’un mais que votre pays est doté de lois laxistes en matière de diffamation? Vous vous rendez dans un autre pays qui lui, est doté de lois plus dures, à ce qu’il semble. Cette année, à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, ARTICLE 19 et Freedom House ont réuni à Londres une table d’experts afin de jeter la lumière sur l’un des dangers grandissants qui guettent la liberté de parole : « le tourisme de la diffamation », pratique qui consiste à rechercher les lois et les tribunaux qui favorisent d’une manière écrasante le plaignant.
Au Royaume-Uni, « centre mondial de la diffamation », dans les affaires de diffamation, le fardeau de la preuve incombe au défendeur, ce qui fait du pays une destination attrayante pour les plaignants désireux de faire taire leurs critiques. De plus, ceux qui gagnent peuvent affirmer avoir vu leur bon droit reconnu par le système judiciaire britannique, qui jouit d’une bonne réputation, ce qui donne beaucoup de poids dans les relations publiques.
C’est ce qu’a fait Sheik Khalid bin Mahfouz, un riche homme d’affaires saoudien accusé de financer des groupes terroristes dans « Funding Evil » (Le financement du mal), un livre de l’universitaire américaine Rachel Ehrenfeld. Bin Mahfouz a porté sa plainte au Royaume-Uni – où il ne s’est vendu qu’une poignée d’exemplaires du livre d’Ehrenfeld – et il a gagné. En 2005, l’auteur a dû présenter des excuses, détruire les exemplaires de son livre et verser à bin Mahfouz des dizaines de milliers de dollars en réparations. Il s’avère que bin Mahfouz a invoqué les lois britanniques pour intenter des poursuites dans plus d’une vingtaine de cas – et que s’il avait poursuivi Ehrenfeld sur son propre terrain, celle-ci aurait été protégée par le premier amendement de la Constitution des États-Unis.
Et il y a l’histoire de Boris Berezovsky, un des milliardaires de Russie. En 1996, il a intenté à Londres des poursuites, qu’il a remportées, contre le magazine Forbes, pour un article intitulé « Godfather of the Kremlin » (Le Parrain du Kremlin) – même si le magazine est basé à New York et qu’il ne vend qu’un nombre minime d’exemplaires au Royaume-Uni.
« C’est une honte qu’un pays comme le Royaume-Uni, qui se présente comme un pionnier de la démocratie, soit le premier port d’attache des riches et des puissants qui veulent non seulement faire taire les autres, mais aussi exiger des réparations pour les critiques qui leur sont adressées », dit ARTICLE 19.
On ne trouvera pas, en Grande-Bretagne, de titres prêtant à controverse. Pour éviter d’éventuelles poursuites devant les tribunaux britanniques, les auteurs choisissent de ne pas vendre du tout de livres litigieux au Royaume-Uni. Selon le juriste britannique Mark Stephens, « Il y a déjà des livres dont les éditeurs annulent la publication parce que l’économie de l’édition est telle que l’industrie n’a pas les moyens de supporter les frais d’une poursuite en diffamation ». La maison d’édition Cambridge University Press a mis au pilon récemment un livre intitulé « Alms for Jihad: Charity and Terrorism in the Islamic World » (Des aumônes pour le Jihad : Charité et terrorisme dans le monde musulman), oeuvre d’un professeur d’université américain et d’un ancien haut fonctionnaire au Département d’État des États-Unis, sur la menace que représente une simple poursuite par – oui – bin Mahfouz.
Le tourisme de la diffamation ne se limite pas au Royaume-Uni, disent ARTICLE 19 et Freedom House. Les systèmes judiciaires fondés sur la common law en Asie, par exemple, permettent aux intérêts financiers influents de tirer un avantage légal énorme, aux dépens de la libre expression. Le financement du terrorisme et les histoires de corruption font souvent l’objet de poursuites.
Heureusement, certains territoires de compétences ont compris l’astuce. Inspiré par l’affaire Ehrenfeld, l’État de New York a adopté le mois dernier la Loi sur le tourisme de la diffamation et le terrorisme (Libel Tourism Terrorism Act). La loi dispose que les jugements de tribunaux étrangers en matière de diffamation ne s’appliquent pas dans l’État de New York, sauf si la loi étrangère sur la diffamation offre la même protection de la liberté d’expression que celle qui est garantie par la constitution de l’État de New York et celle des États-Unis.
Pour en savoir plus sur la tendance au tourisme de la diffamation, aller à :
http://ifex.org/en/content/view/full/93931/ ou, par courriel, à ARTICLE 19 à :
info (@) article19 (.) org ou à Freedom House à : karlekar (@) freedomhouse
(.) org
(PHOTO : Le livre « Alms for Jihad » est l’une des dernières cibles d’un sheik saoudien qui se sert des lois britanniques pour censurer un auteur des États-Unis)
(27 mai 2008)