(JED/IFEX) – Ci-dessous, un rapport de JED : QUI A TUE L.D. KABILA ? QUAND ET COMMENT ? LE DROIT DU PUBLIC A L’INFORMATION Rapport spécifique rendu public à Kinshasa le 3 mai 2001 à l’occasion de la 10ème journée mondiale de la liberté de la presse « Qui dit que la fausse nouvelle condamnée aujourd’hui […]
(JED/IFEX) – Ci-dessous, un rapport de JED :
QUI A TUE L.D. KABILA ? QUAND ET COMMENT ?
LE DROIT DU PUBLIC A L’INFORMATION
Rapport spécifique rendu public à Kinshasa le 3 mai 2001 à l’occasion de la 10ème journée mondiale de la liberté de la presse
« Qui dit que la fausse nouvelle condamnée aujourd’hui ne peut pas devenir la vérité de demain, et la vérité d’aujourd’hui se révéler mensonge pour l’Histoire ».
(Reporters sans frontières (RSF), La liberté de la presse dans le monde, Rapport 2001)
3 mai 2001
Message conjoint à l’occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse
Par Kofi Annan, Mary Robinson et Koïchiro Matsuura
La liberté de la presse est l’un des piliers de la démocratie, elle-même indispensable à tout développement socio-économique durable.
Ce principe est de mieux en mieux compris et admis depuis ce jour du 3 mai 1991 où, il y a dix ans déjà , des journalistes africains se sont rassemblés dans la capitale de la Namibie, Windhoek, pour un séminaire régional sur la promotion de médias libres et pluralistes. La Déclaration de Windhoek qu’ils signèrent fut la première manifestation d’une série d’engagements, pris région par région, de défendre le droit qu’a toute personne, partout dans le monde, d’exprimer librement ses opinions et d’avoir accès à une diversité de sources d’information indépendantes.
Depuis 1991, la presse est devenue plus indépendante et pluraliste dans bon nombre de pays. Les ondes ont été libéralisées. Les journalistes et autres travailleurs des médias ont gagné en professionnalisme. Et, grâce à l’Internet, de plus en plus de gens disposent désormais d’un accès direct aux moyens de communication de masse. Ces changements ont contribué à l’instauration et au renforcement de la démocratie dans de nombreux pays, en permettant aux citoyens de se faire entendre et, de ce fait même, de participer à la prise des décisions qui déterminent leur propre vie et l’avenir de leur pays.
Mais la liberté d’expression est toujours fragile et n’est jamais définitivement acquise. Dans de nombreuses régions du monde aujourd’hui, elle est menacée par des intérêts politiques, économiques, financiers, militaires, religieux, voire criminels. Les journalistes dont le travail porte atteinte à ces intérêts ne sont pas à l’abri des intimidations, des actes de violence, de l’exil, de la prison, quand ils ne risquent pas d’être exécutés, voire purement et simplement assassinés.
Parallèlement, de nombreux groupes ethniques et religieux – généralement minoritaires – se voient privés de l’accès aux médias qui leur permettraient de donner leur opinion ou d’exprimer leur identité.
L’on sait d’expérience que même les régimes les plus odieux peuvent se gagner un appui populaire s’ils parviennent à museler les médias ou à les manipuler pour susciter la peur et la haine chez les gens. Les médias libres, indépendants et pluralistes ont un rôle indispensable à jouer pour extirper le racisme et la xénophobie. Nous espérons que la Conférence mondiale contre le racisme, la xénophobie, la discrimination raciale et l’intolérance qui y est associée, qui doit se tenir cette année, permettra de trouver les moyens de renforcer les médias libres partout dans le monde et qu’elle rappellera aux professionnels des médias le rôle capital qui est le leur dans l’éducation du public et la promotion de la paix et du respect mutuel entre les peuples.
En cette Journée mondiale de la liberté de la presse en 2001, nous exhortons les décideurs à tous les niveaux à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour veiller à ce que les journalistes puissent accomplir leur travail sans entrave ni crainte, afin que, partout dans le monde, les populations puissent tirer profit de la libre circulation des idées.
Nous demandons instamment aux journalistes d’observer au plus haut degré les règles de leur profession, de refuser de prêter leurs talents aux marchands de haine, et de respecter en toutes circonstances le principe d’impartialité.
Et nous demandons instamment à la communauté internationale dans son ensemble de défendre et de protéger ce droit fondamental de la personne humaine – le droit de recevoir et de communiquer l’information, loin de toute censure, quel que soit le support et par-delà les frontières.
Kofi Annan, Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies
Mary Robinson, Haut commissaire aux droits de l’homme
Koïchiro Matsuura, Directeur général de l’Unesco
INTRODUCTION
Le 16 janvier 2001, le Président de la République démocratique du Congo, M. Laurent-Désiré Kabila est assassiné dans son palais officiel de Kinshasa. La version officielle du gouvernement charge un garde du corps qui aurait tiré à bout portant sur le président avant d’être achevé à son tour alors qu’il tentait de fuir. Plus de trois mois après cet événement tragique, le public au Congo ne sait toujours rien de ce qui s’est passé réellement ce jour-là . Au fil des jours et des rumeurs, la version officielle présentée ne résiste pas à l’analyse critique. Les principales interrogations demeurent : qui a tué Laurent-Désiré Kabila ? Quand est-il mort ? Comment est-il mort ?
Journaliste en danger (JED) n’a nullement l’intention de répondre, au travers de ce rapport spécifique, à ces interrogations ou de faire des révélations sur l’assassinat de l’ancien chef de l’Etat congolais. JED n’en a ni le mandat, ni les moyens. Cet événement tragique et tous les autres l’ayant accompagné ou suivi ne sont que des prétextes tombés bien à propos pour défendre et promouvoir la liberté de la presse en République démocratique du Congo(RDC).
Depuis le 17 mai 1997, date de l’arrivée au pouvoir de M. Laurent-Désiré Kabila, JED a fait un malheureux constat : la gestion de la chose publique en République démocratique du Congo relève du secret. Non seulement le public n’est pas réellement informé sur la marche du pays mais aussi certains gouvernants ignorent comment le pays est conduit dans des domaines qui ne relèvent pas de leur champ d’action. Les conseils des ministres sont rares et quand ils ont lieu, les comptes-rendus qui en sont faits au public ne disent presque rien. Ce déni du droit du public à l’information a été manifeste lors de l’assassinat du Président Laurent-Désiré Kabila.
Trois mois après ce meurtre, le public congolais ne sait pas grand chose sur les circonstances exactes de la mort de l’ancien chef de l’Etat, ignorant jusqu’à la date exacte de son décès. Une commission d’enquête a été constituée par le Général-major Joseph Kabila, successeur désigné du défunt président. Elle travaille depuis deux mois dans le secret absolu. Des personnalités sont interpellées et mises en prison dans le secret. Des Congolais sont arrêtés, des étrangers sont tués sans que l’on dise mot au public au nom duquel tout le monde parle. Seule la rumeur tient lieu d’information. Fin avril, des journaux de Kinshasa rapportent, citant des « sources fiables », que le rapport de la commission d’enquête a été déposé sur la table du président de la République.
La divulgation des informations sur les circonstances de l’assassinat du président Kabila porterait-elle un préjudice à l’intérêt du public? JED entend dénoncer cette rétention volontaire de l’information qui viole les articles 8 et 13 de la loi N° 96/002 du 22 juin 1996 et les articles 19 et 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui consacrent le droit des citoyens à être informés et à prendre part à la direction des affaires publiques de leur pays. Comme le dit, si bien, Andrew Puddephatt, directeur général de l’organisation internationale ARTICLE 19 basée à Londres, « l’information est l’oxygène de la démocratie. Si les gens ne savent pas ce qui se passe au sein de leur société, si leurs dirigeants agissent sous le voile du secret, ils ne sont pas en mesure de participer d’une manière positive à la vie de leur société. L’information n’est pas seulement nécessaire au public, elle est un élément constitutif majeur de tout bon gouvernement ».
I. Le droit du public à l’information
I.1. Les standards internationaux
Le droit du public à l’information tire son fondement juridique dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), le Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP)et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP). Ces instruments juridiques de portée internationale ont été ratifiés par bon nombre des Etats dont la République démocratique du Congo (RDC).
L’article 19 de la DUDH stipule exactement que « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ». Il ressort de ce principe, qui a été adopté dans le PIDCP et la CADHP, que la faculté d’avoir une opinion, un point de vue, une conviction et de l’exprimer c’est-à -dire de le faire connaître, quel qu’en soit le support utilisé, est un droit fondamental lié à l’essence même de l’homme. Ce droit fondamental de l’homme se manifeste aussi par le désir inné de recevoir des informations venant de partout sans restriction. Ainsi donc, priver l’homme, pris individuellement ou collectivement, d’informations est une violation d’un droit de l’homme dont les conséquences se répercutent sur les autres droits.
L’information peut être définie comme l’ensemble des éléments de connaissance qui intéressent l’homme et la société dans son ensemble. L’information émane de diverses sources. Celles-ci peuvent être publiques ou autres. Dans le cadre de ce rapport, nous nous contenterons de l’information émanant des sources publiques, c’est-à -dire des organismes publics quels qu’ils soient. Par information publique, il convient d’entendre « tous les documents détenus par un organisme public, sans considération du support sur lequel ils sont stockés (papier, bande magnétique, enregistrement électronique, etc.), de leur origine (publique) et de la date de leur établissement ». L’expression « organisme public » englobe tous les secteurs et tous les échelons de l’administration. Qu’il s’agisse des collectivités locales, des organes électifs, des institutions issues d’un mandat légal, les entreprises publiques, les institutions judiciaires et les privés assurant des services d’intérêt public.
Neuf principes définissent l’attitude des organismes publics face au droit à l’information. ARTICLE 19 a définit ces normes, sur base de la législation, des normes nationales et régionales, de l’évolution des pratiques des Etats, ainsi que sur les pratiques générales de droit, reconnus par la communauté internationale. La notoriété de ces normes vient du fait qu’elles ont été « formellement approuvées » par le rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté d’opinion et d’expression. Il convient d’en retenir quatre qui cadrent avec l’objet de ce rapport.
Le premier principe est la divulgation maximale. Celle-ci repose sur la règle selon laquelle toutes les informations détenues par les organismes dits publics sont réputées divulgables. Ce principe pose le problème de la liberté de l’information et de l’accès aux sources d’informations officielles. Des experts reconnaissent quelques limites à cette exigence de divulgation maximaliste de l’information. « Lorsqu’une administration publique entend refuser l’accès à l’information, la charge de justifier ce refus devrait lui incomber à chaque stade de la procédure ».
Le deuxième principe est celui de l’obligation de publier. Les organismes publics ont non seulement le devoir de donner l’information à ceux qui la cherchent mais aussi ils ont l’obligation de rendre public les informations présentant un intérêt majeur pour la collectivité. Selon ce principe, les organismes publics ont l’obligation de publier les informations suivantes :
– le fonctionnement de l’organisme public (objectifs, réalisations, états des comptes, etc.) ;
– toutes demandes, plainte ou autre recours direct que le public est susceptible de formuler en rapport avec l’organisme ;
– les moyens par lesquels le public peut contribuer au processus décisionnel ou législatif ;
– la teneur et les raisons de toute décision ayant des incidences sur le public.
Cette énumération n’est pas exhaustive.
Le troisième principe -qui découle des deux précédents – est celui de la promotion de la transparence de l’administration. Puisque les organismes dits publics sont là pour le peuple, ils ont l’obligation d’être à l’image du verre. La transparence doit être une règle d’or. Toute transparence suppose une libre circulation de l’information dans l’organisme. La culture du secret doit être combattue.
Le quatrième principe est celui du régime limitatif d’exception auquel d’ailleurs il est fait allusion dans le principe de divulgation maximale. Les experts reconnaissent quelques rares limites au premier principe. Mais ils précisent aussi que « les exceptions devraient être formulées clairement et limitativement et reposer sur des critères stricts concernant ‘le préjudice’ et ‘l’intérêt public' ». Le droit à l’information peut être restreint dans trois cas de figure :
– L’information concerne un objectif légitime stipulé dans la loi;
– La divulgation risque d’être grandement préjudiciable à cet objectif ;
– Le préjudice susceptible d’être causé à l’objectif est sans commune mesure avec l’intérêt que la connaissance de l’information présente pour le public.
Ces principes concernent tous les pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) et s’appliquent à toutes les fonctions de l’Etat, y compris la sécurité et la défense. « Le soucis d’éviter un embarras aux pouvoirs publics ou de dissimuler un comportement fautif de leur part ne saurait en aucune circonstance servir de justificatif ».
Toutes les exceptions au droit à l’information doivent être le fait de la loi. Et quand bien même, » l’organisme public concerné doit encore démontrer que la divulgation (d’une information) est susceptible de porter gravement préjudice audit objectif ». Et même si cela est prouvé, la divulgation est obligatoire « si les avantages de la divulgation l’emportent sur le préjudice. (…) L’objectif légitime doit être mis en regard avec l’intérêt public que présente la divulgation de l’information. Lorsque ce dernier l’emporte, la loi doit prévoir la divulgation de l’information ».
I.2. La loi congolaise
Que dit la loi congolaise sur le droit du public à l’information ? Les modalités de l’exercice de la liberté de la presse en RDC sont définies dans la loi N° 96/002 du 22 juin 1996. Cette loi, promulguée quatre mois avant le déclenchement de la rébellion qui chassera, le 17 mai 1997, le maréchal Mobutu du pouvoir, consacre aux articles 8 et 13 le droit du public à l’information. En effet, l’article 8 stipule que » Toute personne a droit à la liberté d’opinion et d’expression. Par liberté d’opinion et d’expression, il faut entendre le droit d’informer, d’être informé, d’avoir ses opinions, ses sentiments et de les communiquer sans aucune entrave, quel que soit le support utilisé, sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public, des droits d’autrui et des bonnes mœurs ». Quant à l’article 13, il dispose que » L’Etat a l’obligation d’assurer et de rendre effectif le droit à l’information. Les moyens d’information et de communication appartenant à l’Etat sont des services publics dont le fonctionnement est régi par une structure légale indépendante du ministère ayant l’information et la presse dans ses attributions ».
Membre des Nations unies, la RDC a ratifié tous les instruments juridiques internationaux consacrant le droit d’informer et d’être informé. A considérer seulement la loi sur la presse dont question ci-dessus, il est heureux de constater que le souci des législateurs des instruments juridiques internationaux a été pris en compte en ce qui concerne la liberté d’expression. L’article 8 consacre le droit d’être informé même s’il est limité par la loi, l’ordre public, les droits d’autrui et les bonnes mœurs. L’article 13 est plus explicite encore puisqu’il rend l’Etat responsable du droit (du public) à l’information.
II. L’assassinat du Président Laurent-Désiré Kabila
Le 16 janvier 2001, dans la mi-journée, des coups de feu retentissent dans l’enceinte du Palais de Marbre, résidence du président Laurent-Désiré Kabila. Les voisins du Chef de l’Etat qui ne sont pas habitués à ce genre de crépitement s’interrogent. La route reliant Kintambo à Binza/Delvaux et qui longe la résidence présidentielle est bloquée par des chars de combat. Habituellement, cette route est fermée à partir de 18 h00 par une simple barrière gardée.
A la clinique Ngaliema à Kinshasa/Gombe, un hélicoptère atterrit et débarque un corps ensanglanté enveloppé dans un drap. Le personnel médical non essentiel et les malades ambulants sont évacués. Le quartier de la clinique hôpital est quadrillé par des troupes d’Elite. Plus personne n’entre ou ne sort. Même le Grand Hôtel de Kinshasa(ex-Hôtel Intercontinental) est isolé.
RFI (Radio France International) parle de « quelque chose de très grave » qui s’est passé au palais présidentiel à Kinshasa. La rumeur, principale source d’information dans la capitale congolaise, se met en marche. Kitambo/magasin. Dans un taxi, une dame affolée, qui ne pensait qu’à rentrer chez-elle, annonce aux autres occupants que «le président Kabila a été tué par son garde du corps ». La nouvelle se repand comme une traînée de poudre dans la ville. Les communications sont interrompues. Une Jeep équipée de lance-roquettes prend position devant la plus grande société de téléphonie portable, STARCEL.
A la RTNC (Radiotélévision nationale congolaise, chaîne publique) les émissions continuent normalement jusqu’à ce qu’apparais à l’écran le colonel Eddy Kapend, aide de camp du chef de l’Etat. Les yeux hagards, les lèvres sèches, sur un ton sec et autoritaire, l’aide de camps du chef de l’Etat se présente : « (…) c’est le colonel Eddy Kapend qui vous parle de Kinshasa, capitale de la République (…). Il ordonne à toute la hiérarchie militaire, citée nommément, de maintenir les troupes au calme et de fermer toutes les frontières du pays. Sur les raisons de cette déclaration aux allures d’un putsch, le colonel Eddy Kapend ne dit rien. Il promet des informations supplémentaires pour plus tard. Il ne réapparaîtra plus à l’écran si ce n’est, le 23 janvier 2001, dans la garde d’honneur lors des funérailles officielles du président Kabila.
La guerre des communiqués a commencé dès cet instant. Des officiels à Bruxelles, Paris, Londres et Washington, citant des sources crédibles à Kinshasa, annoncent successivement la mort de Kabila des suites des balles tirées par un de ses gardes du corps. Kinshasa admet la fusillade mais dit que Kabila a été blessé et évacué à l’étranger pour des soins appropriés. Le Zimbabwe, principal allié du gouvernement congolais annonce le décès du président avant de se rétracter. Le 18 janvier 2001 à 20 H00, le gouvernement congolais annonce à la télévision nationale, par la bouche du ministre de la communication, Dominique Sakombi Inongo, la mort de Mzee Laurent Désiré Kabila survenue ce jour là (18 janvier 2001) dans un hôpital de Harare au Zimbabwe. Le président aurait eu le temps de laisser un testament que lira magistralement le ministre de la communication.
Pour illustration, nous reprenons la chronologie des événements du journal belge LE SOIR tirée des archives du site Internet du quotidien :
A cette chronologie du quotidien belge, nous pouvons joindre l’annonce officielle de la mort de Kabila intervenue au cours du journal de 20H00 sur la chaîne publique RTNC. Selon le gouvernement, le président congolais est mort le 18 juin 2001 dans un hôpital de Harare. Des circonstances de la mort, le porte-parole du gouvernement explique qu’un garde du corps est entré dans le bureau du chef de l’Etat et s’est approché de lui comme pour lui parler à l’oreille. C’est à cet instant qu’il a sorti son arme et a tiré à bout portant sur le chef de l’Etat. Le Conseiller économique, Emile Mota, qui était en séance de travail avec le président est sorti pour alerter la garde. Le tueur qui tentait de s’enfuir, a été abattu.
Kabila est inhumé, à Kinshasa, le 23 janvier 2001. Entretemps, le Général-major Joseph Kabila, jusque-là , chef de l’armée de terre a succédé à son père. Un débat est aussi né sur l’identité du nouveau chef de l’Etat. Pour la première fois, depuis l’arrivée de Laurent-Désiré Kabila au pouvoir, la télévision publique fait un zoom sur Mama Safi, l’épouse du président Laurent-Désiré Kabila et maman de Joseph.
III. Le gouvernement et la gestion de l’information sur la mort du Président Kabila
A ce niveau du rapport, il convient d’analyser comment le gouvernement de la République démocratique du Congo a assumé son rôle de garant du droit à l’information du public congolais particulièrement.
Pour répondre à cette question, il suffit d’analyser la chronologie des événements depuis le 16 juin 2001, jour de l’attentat jusqu’à l’inhumation du président Kabila. Cette analyse pourra s’étendre aux événements ayant suivi la mort du chef de l’Etat : la désignation de Joseph Kabila pour succéder à son père, l’assassinat de 11 citoyens libanais, la commission d’enquête sur l’assassinat de Kabila.
Il n’est un secret pour personne que la gestion de l’information sur la mort du président Kabila a échappé totalement au gouvernement. Ou alors, le gouvernement a fait la rétention de l’information au point que c’est l’extérieur, via les chaînes satéllitaires et les radios périphériques, qui a informé le public congolais. Les quelques fois où les officiels congolais sont intervenus, dans les médias congolais ou étrangers, c’était soit pour démentir ce qui a été dit, soit pour confirmer ce qui était déjà connu.
Le premier à informer le public sur ce qui se passait était l’aide de camp du président Kabila, le colonel Eddy Kapend. Son message à la RTNC ne dit rien sur ce qui s’est passé même si son attitude a trahi une gravité de la situation. Le tout-Kinshasa sait déjà qu’il y a eu fusillade au palais présidentiel. La radio trottoir (la rumeur) rapporte déjà que le président a été atteint dans la fusillade. Bien plus, du 16 janvier à l’annonce officielle de la mort du président le 18 janvier 2001, les officiels congolais sont intervenus 5 fois seulement sur les médias congolais (RTNC) :
Le 16 janvier :
– Eddy Kapend pour ordonner la fermeture des frontières,
– M. Gaëtan Kakudji (Ministre de l’Intérieur et N° 2 du régime) pour dire que le chef de l’Etat a décrété un couvre-feu,
Le 17 janvier :
– M. Sakombi Inongo (Ministre de la communication) qui admet que le président a été blessé, qu’il a été transféré à l’extérieur pour des soins appropriés et que Joseph Kabila assure la direction de l’action gouvernementale ;
– M. Théophile Bemba Fundu (Gouverneur de la ville de Kinshasa) pour dire la même chose que Sakombi mais cette fois en langue lingala pour calmer la population de Kinshasa.
Le 18 janvier :
– A 20 H00, le ministre de la communication annonce, dans un message à la nation, la mort du président intervenue le même jour à 10 H00 à Harare. Un testament du défunt est lu à cette occasion.
Entretemps, M. Louis Michel, vice Premier ministre et ministre des affaires étrangères avait déjà , sur RFI et à la RTBF, confirmé le décès du chef de l’Etat et a même donné le programme des funérailles en deux temps (à Lubumbashi et à Kinshasa).
Cinq interventions en trois jours, c’est suffisant pour éclairer la lanterne du public. Le comble dans la situation sous analyse, c’est que les interventions congolaises venaient toujours après des interventions de l’extérieur. De sorte que le Congo subissait l’information venant d’ailleurs avec toutes les couleurs, bonnes ou mauvaises, de ceux qui traitaient et diffusaient les nouvelles. L’information n’est jamais innocente. Elle subit la culture, les humeurs et la vision des choses de celui qui la donne.
La presse écrite congolaise avait disparu des kiosques le 17 et 18 janvier 2001.Des journaux tels que LE PHARE et LE POTENTIEL ont affirmé à JED qu’ils avaient reçu la visite des éléments des services de la Police nationale congolaise et de la sécurité qui leur ont demandé de sortir leurs éditions sans faire allusion à l’assassinat du chef de l’Etat. Ces deux journaux ont préféré ne pas sortir du tout plutôt que de sortir des éditions sans l’information principale. Par contre, certains journaux proches du pouvoir se sont tus simplement parce qu’il ne savait pas quoi dire dans l’imbroglio qui a suivi le meurtre du chef de l’Etat.
IV. Conclusion
Le droit du public à l’information lui a été dénié pendant les événements dramatiques du 16 janvier 2001. Eu égard aux normes internationales du droit du public à l’information telles que présentées dans le premier chapitre de ce rapport, le gouvernement congolais devait-il faire de la rétention de l’information telle qu’elle a été pratiquée ? La divulgation, à temps, de toutes les informations concernant le meurtre du chef de l’Etat avait-elle le risque de produire des effets contraires à l’intérêt public ? Le débat est houleux à ce niveau.
Le culte de la personnalité du chef de l’Etat, pratiqué à outrance par les spécialistes de l’art, avait conduit le commun des mortels et même des membres du régime à ignorer cette triste réalité : tu es poussière, tu retourneras à la poussière. Autrement dit, l’homme est mortel. Qui qu’il soit. Et que la mort d’un homme peut intervenir à tout moment et de diverses manières. Le texte tenant lieu de loi fondamentale depuis la chute de Mobutu, le décret 003, est totalement muet sur la question de la fin des fonctions du chef de l’Etat et sur le mode de succession. Lorsque intervint le meurtre du président Kabila, personne à Kinshasa ne pouvait parier sur la personne qui lui succéderait. Des scénarii apocalyptiques avaient même été envisagés. L’EXPRESS INTERNATIONAL dans son édition N° 2585 du 18 au 24 janvier 2001 ne s’est pas empêché de titrer en couverture : « Après l’attentat contre le président congolais Kabila. LE SPECTRE DU CHAOS ». Cette vision des choses était partagée par bon nombre de capitales occidentales et même par des congolais compte tenu du fait que Kinshasa faisait, depuis trois ans, face à des rébellions qui occupaient, le 16 janvier 2001, près de 50 % du territoire. Face au vide juridique et à la guerre, la panique a donc guidé les stratégies de communication du gouvernement.
L’intérêt public était certes d’annoncer le meurtre du président mais surtout d’éviter que cette annonce ne crée le désordre et le chaos sur le territoire national (du moins la partie sous contrôle du gouvernement). L’appel au calme lancé par l’aide de camps du chef de l’Etat et l’instauration du couvre-feu ont été suivis et Kinshasa a passé ces tragiques événements dans la sérénité. L’information capitale avait été, tout de même, donnée par d’autres sources sans que celle-ci ne remette en cause, ni l’ordre public ni la sécurité nationale. Donc, le gouvernement pouvait garder l’initiative de l’information au lieu de courir derrière elle comme ce fut, malheureusement, le cas.
Cette rétention de l’information – qui a caractérisé le règne de Kabila père – due à la panique et à un cadre juridique taillé sur mesure a eu des conséquences néfastes pour la marche des affaires publiques après la mort de Kabila :
-La désignation de Joseph Kabila pour succéder à son père a créé des vagues non pas tant à cause du mode de désignation mais plus autour de l’identité de la personne. Pendant tout le règne de l’ancien président, personne, excepté ses intimes, ne connaissait rien sur sa famille. Au cours de la première conférence de presse qu’il avait donnée à Kinshasa, un journaliste avait demandé au chef de l’Etat de présenter « la première dame » du pays. Rien n’y fit. C’est lorsque, à la mort de Kabila, les médias internationaux vont émettre des doutes sur l’identité du fils, que les médias publics, poussés certainement par le gouvernement, vont présenter la maman du nouveau chef de l’Etat et que des compagnons de maquis du père vont défiler à la télévision publique pour apporter leurs témoignages. Une fois encore, on a couru derrière l’information. Joseph Kabila est au pouvoir depuis le 26 janvier 2001 et personne ne sait s’il est marié ou pas. La tradition a tendance à se perpétuer.
– Une commission d’enquête a été constituée pour tirer au clair le mystère de l’assassinat du chef de l’Etat. A part la publication du décret instituant cette commission, aucune information de source officielle n’est venue édifier le public sur la vague d’arrestation de certains proches collaborateurs de l’ancien chef de l’Etat. A tel point qu’un journal de Kinshasa, se fiant à la rumeur, affichait un matin à la Une que l’ancien ministre de la Justice, M.Mwenze Kongolo était aux arrêts dans le cadre de l’enquête sur la mort de Kabila. Curieusement, le soir du même jour, une chaîne de télévision montrait M. Mwenze Kongolo faisant tranquillement son sport dans un terrain de football. Les journalistes n’ont pas accès à l’information sur le travail de la Commission d’enquête. Toutes les informations publiées jusque-là ne relève que des supputations obtenues des sources non identifiables .
– Des citoyens libanais (11 personnes selon diverses sources) sont raflés et exécutés « dans le cadre du crime contre le chef de l’Etat ». Le gouvernement n’en dit rien jusqu’au moment où des médias internationaux en font leur affaire. C’est le président Joseph Kabila qui, à la suite des informations diffusées, admet le crime et explique qu’il s’agit d’un acte isolé de banditisme et que les coupables seront châtiés conformément aux lois de la République. Des corps sont retrouvés et expédiés à Beyrouth.
Recommandations :
Eu égard à tout ce qui précède, Journaliste en danger (JED), recommande :
– Que l’Etat assume son rôle d’assurer et de rendre effectif le droit du public à l’information conformément aux prescrits des normes internationales et de la loi N° 96/002 du 22 juin 1996 ;
– L’obligation pour toutes les institutions publiques (de la présidence de la république aux collectivités locales) de diffuser l’information au public et de permettre, à ceux qui le demandent, l’accès aux sources d’informations ;
– La publication du rapport de la commission d’enquête sur l’assassinat du président Laurent-Désiré Kabila. Si les travaux ne sont pas encore terminés, de rendre compte, périodiquement, de l’évolution des travaux ;
– L’obligation pour le gouvernement de mettre fin à la gestion secrète de l’Etat et de considérer que le refus de donner l’information ou d’y accéder constitue une infraction qui doit être punie ;
– L’arrêt de l’ingérence du gouvernement et des services de sécurité dans le traitement de l’information aussi bien dans les médias publics que privés ;
– La publication des informations d’état civil concernant le chef de l’Etat.
(Copyright mai 2001, JED)